Lettre au baron Goswin de Stassart, 24 mai 1821

Paris 24 mai 1821.


Monsieur le Baron,

Je vous envoie joints à cette lettre six exemplaires de mon mémoire accompagnés chacun d'un exemplaire du compte rendu des nouveaux faits qui y sont exposés et de ce que j'y ai ajouté depuis, fait à l'Institut par M. De Lambre. Je vous prie d'abord d'agréer l'hommage de ces deux petits ouvrages qui, j'espère, feront époque dans l'histoire de la physique par la nouveauté des résultats que j'ai obtenus. Comme vous avez eu la bonté de me promettre de faire remettre les autres exemplaires aux personnes qui, dans le royaume des Pays-Bas, s'occupent de la science dont ils sont destinés à étendre une des branches les plus curieuses, il ne me reste qu'à vous offrir tous mes remerciements de ce que vous voulez bien me rendre ce service. Je désire beaucoup que chaque exemplaire du mémoire soit éclairci et complété par le compte rendu : c'est pourquoi je l'y ai joint. J'ai déjà envoyé de ces exemplaires à MM. Van Mons et Bory de Saint-Vincent. Mais il me serait bien agréable que vous puissiez en faire remettre aux professeurs de physique des trois universités de Belgique et, s'il en restaient après ceux dont je vous prie de disposer pour les physiciens que vous pourriez connaître, ce pourrait être pour les professeurs de physique de quelques autres grands établissements d'instruction publique. Je ne sais pas si vous auriez quelques occasions pour ceux d'une ou deux universités hollandaises. Au reste, je m'en rapporte absolument à vous, Monsieur le Baron, pour le choix des personnes à qui vous les remettrez, n'ayant pour but en cela que de répandre la connaissance de mes travaux sur ce sujet.
J'avoue qu'une des personnes à qui j'aurais été très flatté d'en faire parvenir est M. Omalius d'Halloy (3), que j'ai vu autrefois à Paris, mais qui m'a sans doute oublié. Je ne sais où il est actuellement, mais je pense qu'il continue d'aimer les sciences dont il s'est occupé avec les succès les plus honorables.
Je vous prie d'offrir à Mme de Stassart l'hommage de mon profond respect et d'agréer celui de ma vive reconnaissance et de la plus haute considération.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur le Baron, votre très humble et très obéissant serviteur.

A. AMPÈRE

[Adresse]

A Monsieur le Baron de Stassart, hôtel Dubois, rue Traversière-Saint-Honoré, à Paris.

Le mémoire mentionné ci-dessous est le « Mémoire (…) sur les effets des courants électriques (…) », paru dans le volume 15 des Annales de Chimie et de Physique[1]. Ce mémoire fut une étape importante dans la carrière scientifique d’Ampère : il lui permit en effet de fonder une nouvelle branche de l’électricité : l’électrodynamique. Ce mémoire était une réaction à un mémoire du physicien et chimiste danois Hans Christian Oersted paru en août 1820. Ce dernier avait en effet mené avec succès une expérience où un fil électrique placé au-dessus d’une aiguille de boussole fait dévier celle-ci  de son orientation Nord-Sud. Oersted n’arrivait toutefois pas à expliquer ce phénomène de façon satisfaisante. Le physicien François Arago rendit compte de cette expérience lors de la séance de l’Académie des Sciences du 4 septembre 1820 mais rencontra tant l’incrédulité d’une majorité de ses confrères que l’intérêt d’Ampère. Dès le 18 septembre, ce dernier annonça son hypothèse fondamentale sur l’existence de courants électriques dans les aimants. Selon lui, l’orientation habituelle de la boussole est probablement mue par des courants électriques à l’intérieur du globe terrestre, analogues à ceux supposés à l’intérieur des aimants. Il annonçait l’existence de forces d’attraction et de répulsion entre courants électriques. L’expérience décisive eut lieu le 25 septembre, toujours à l’Académie des Sciences. Ampère démontra que deux fils conducteurs enroulés en spirale s’attirent ou se repoussent lorsqu’ils sont parcourus par un courant électrique, suivant le sens de celui-ci. Cette expérience est fondamentale pour la théorie d’Ampère : elle était pour lui la manifestation évidente des effets produits par l’électricité en mouvement[2]. Le 2 octobre, Ampère présenta un mémoire résumant ces deux séances des 18 et 25 septembre.

Ce travail fut donc publié par les Annales de Chimie et de physique (cf. supra) et envoyé à Jean-Baptiste Van Mons, Jean-Batiste Bory Saint-Vincent et au baron de Stassart comme l’atteste la lettre conservée par notre académie. Nous ne savons au juste si Goswin de Stassart diffusa ce mémoire selon les vœux d’Ampère : aucune minute de réponse ne se trouve dans le dossier contenant cette lettre du 24 mai 1821. Par contre, nous savons que Van Mons et Bory Saint-Vincent furent sans doute intéressés par ce mémoire puisque les travaux d’Ampère furent mentionnés dans les Annales générales des sciences physiques publiées par les deux hommes en compagnie de Pierre Auguste Joseph Drapiez[3].

Nous ne savons rien des relations entre Ampère et Jean-Baptiste d’Omalius d’Halloy, la littérature relative aux deux hommes et les archives du second conservés par notre Académie restant muets à ce sujet. Leurs chemins se croisèrent sans doute à Paris (seul endroit où ils vécurent l’un l’autre durant plusieurs périodes) au début du XIXe siècle mais rien ne nous permet de déterminer quand.

 

[1]http://www.ampere.cnrs.fr/correspondance/corr_ampere_affi_lettre.php?lang=fr&table=ampere_corr_main&bookId=602&exp=Amp%E8re,%20Andr%E9-Marie&dest=Stassart,%20Gosvin%20de%20%28baron%29# voici les références des deux parties de ce mémoire : « Mémoire présenté  à l’Académie royale des Sciences, le 2 octobre 1820, où se trouve compris le résumé de ce qui avait été lu à la même académie les 18 et 25 septembre 1820, sur les effets des courants électriques » et « Suite du Mémoire sur l’action mutuelle entre deux courants électriques, entre un courant électrique et un aimant ou le globe terrestre, et entre deux aimants », in Annales de Chimie et de Physique, Paris, Crochard, 1820, vol. 15, p. 59-76, 170-218. Nous n’avons par contre pas trouvé trace du compte rendu évoqué dans la lettre d’Ampère.

[2] BLONDEL C., WOLFF B. : « Ampère jette les bases de l’électrodynamique (septembre 1820-janvier 1821) » : http://www.ampere.cnrs.fr/parcourspedagogique/zoom/courant/electrodynamique/index.php (consultation le 30 septembre 2014).

[3] HOFMAN J.R., André-Marie Ampère, Oxford UK, Cambridge USA, Blackwell, 1995, p. 238, 385. Annales générales des sciences physiques, Bruxelles, Weissenbruch père, 1820, t. 6, p. 128-131, 238-257.

BLONDEL C., A.-M. Ampère et la création de l’électrodynamique, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1982

FRANCESCHINI A et É, « Ampère (André-Marie) », in BALTEAU J., BARROUX M., PREVOST M. dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1936, t. 2, col. 713-720.

GOUPIL M., « Ampère et la chimie physique », in Lyon, cité des savants, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1988, p. 103-119

HOFMAN J.R., André-Marie Ampère, Oxford UK, Cambridge USA, Blackwell, 1995, XIV-406 p.

LOQUENEUX R., Ampère, encyclopédiste et métaphysicien, Les Ulis, EDP Sciences, VII-749 p. (coll. Sciences & Histoire).

POUDENSAN L., « Ampère(André-Marie) 1775-1836 », in Encyclopedia Universalis, Paris, Encyclopedia Universalis, 1996, corpus, vol. 2, p. 229-230.

QUETELET A., « Notice sur M. Ampère, né à Lyon en 1775, mort à Marseille, le 10 juin 1836 », in Annuaire de l’Académie royale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1837, p.134-136.

VALSON C.A., André-Marie Ampère, 1775-1836, Lyon, Paris, Emmanuel Vitte Editeur, 1936, 267 p.

André Marie Ampère

Né à Loyon, France, le 20 janvier 1775 ; décédé à Marseille, France, le 10 juin 1836. André Marie Ampère était le fils d’un commerçant lyonnais1. Il naquit dans la petite localité de Poleymieux où il n’y avait aucune école : le jeune André Marie fut donc élevé sans maître. Il s’intéressa rapidement à l’Histoire naturelle de Buffon grâce à laquelle il apprit à lire. Il dévora également les œuvres majeures de Jean-Jacques Rousseau, l’Encyclopédie et les livres d’histoire présents dans la bibliothèque de son père. Selon Ampère même, la lecture de l’Eloge de Descartes par Thomas fut également l’un des trois évènements marquant de sa jeunesse, avec sa première communion (la religion anima toute son existence) et la prise de la Bastille qu’il voyait comme l’épanouissement des idées de liberté et d’amour du prochain. Il développa aussi un goût précoce pour les mathématiques, dès l’âge de 13 ans pour être tout à fait précis.
Quoiqu’impressionné par la prise de la Bastille, la Révolution française ne lui fut pas toujours favorable : pour prix de sa participation à la révolte de Lyon contre la Convention, son père fut guillotiné en 1793. Cet évènement plongea André Marie dans une torpeur inquiétante que seule la lecture des Lettres sur la botanique de Jean-Jacques Rousseau et de la poésie d’Horace parvint à dissiper.
En décembre 1801, il obtint la chaire de physique et de chimie de l’École centrale du département de l’Ain. L’année suivante, il fit publier son premier ouvrage intitulé : Des considérations sur la théorie mathématique du jeu. Les années suivantes s’avérèrent pénibles pour Ampère : il perdit sa femme (qui lui avait donné un fils) en juillet 1803 et tomba durablement dans une grande tristesse. Il se remaria en 1807 mais cette union (dont il eut une fille) fut malheureuse. Toutefois, les honneurs continuaient toujours de récompenser ses talents. En 1805, il fut nommé répétiteur d’analyse à l’École polytechnique, établissement dont il devint professeur titulaire plus tard. On le désigna également membre du Bureau consultatif des Arts et Métiers en 1806 et inspecteur général de l’université deux années plus tard. De 1807 à 1815, c’est surtout la chimie qui fut l’objet de ses travaux (notamment la cristallographie) mais il ne délaissa pas pour autant les mathématiques. Il écrivit deux mémoires forts réputés sur l’intégration des équations aux dérivées partielles : ces travaux firent grand bruit et l’Institut lui ouvrit ses portes le 28 novembre 1814, à l’instar d’autres sociétés savantes dont notre Académie le 8 octobre 1825. Les facultés l’honorèrent également : on l’autorisa en effet à enseigner la philosophie et il devint professeur suppléant d’astronomie à la faculté des sciences. Il se consacra alors à la physique. L’électrodynamique fut sa principale découverte (cf. analyse)
À côté de ces remarquables découvertes, il faut signaler qu’Ampère se consacra également à l’étude de la littérature ancienne, de l’histoire et surtout de la philosophie. Sa correspondance avec Maine de Biran pendant dix ans constitue la plus grande partie des écrits philosophiques d’Ampère.
Par la suite, il devint professeur au Collège de France en 1828 même s'il dut pour cela renoncer à son poste d’inspecteur général de l’université. Les dernières années de sa vie furent consacrées à l’élaboration d’un Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les connaissances humaines qui sortit de presse en 1834.

1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré principalement de la notice de A. et É. Franceschini et de l’ouvrage de James R. Hofman (cf. orientation bibliographique).

Support : une feuille de papier

 

Hauteur : 254 mm

Largeur : 400 mm

 

Cote : 19345/27