Lettre à Monsieur Grand, 28 septembre 1772
à Stockholm le 28 septembre 1772.
Monsieur Grand. Le séjour que vous avez fait dans mes Etats, me donnent quelque droit sur les sentiments dont vous venez maintenant de m’assurer. Mais je ne suis pas moins aise d’en avoir la certitude par la lettre que vous m’avez écrite, au sujet de la Révolution qui vient de se passer ici. Si le peuple d’Hollande, comme vous le dites, prend quelque part à cet évènement, c’est un juste retour de la bonne opinion que j’ai d’une nation dont l’équité, la justice et la droiture ont dans tous les temps éclairé les vues, et conduit les mouvements. Comptez toujours sur ma bienveillance ; et sur ce je prie Dieu qu’il vous ait dans sainte garde, étant Monsieur Grand votre très affectionné.
Mystérieuse à plusieurs égards, cette lettre adressée à un dénommé Grand1 semble assurer au jeune monarque de Suède et de Finlande l’appui de la Hollande suite à la « révolution » évoquée ici. Par « révolution », il faut entendre le coup d’État fomenté par Gustave III en août 1772. Cet évènement qui se déroula sans effusion de sang mit fin à ce que l’on a appelé l’« Ère de la liberté » (1718 -1772) où l’essentiel du pouvoir était entre les mains de la Diète (ou Riksdag) et du Conseil d’État et où la vie politique était animée par une lutte entre deux factions dirigés par l’aristocratie, l’une étant nommée « Les Bonnets » (inféodée à la Grande Bretagne et à la Russie) et l’autre « les Chapeaux » (stipendiée par la France). La « révolution » royale de Gustave III donna une nouvelle constitution au pays, un texte qui réduisait les pouvoirs de la Diète et du Conseil d’État et augmentait ceux du roi. On n’avait toutefois pas affaire à un absolutisme au sens strict du terme : si le Conseil perdait son influence politique pour n’être plus qu’un organisme consultatif, la Diète conservait ses attributions législatives. Toutefois, le roi disposait d’un pouvoir prépondérant, contraire à l’effacement du pouvoir royal sous l’ « Ère de la liberté »2.
Quoiqu’il en soit, ce coup d’État, salué par la plupart des philosophes français3, ne fut pas sans déplaire à plusieurs cours qui trouvaient leurs intérêts dans l’ancien contexte institutionnel. La Russie, la Prusse et le Danemark surtout semblaient prêts à intervenir militairement pour mettre fin au nouvel ordre des choses suédois. Il n’est pas impossible que le dénommé Grand avait promis une aide mais de qui exactement ? Nous l’ignorons mais, face à une telle adversité, il était sans doute agréable pour Gustave de pouvoir compter sur une autre aide que celle de la France, son alliée. Toutefois, la littérature consacrée à cet épisode de l’histoire suédoise ne nous dit rien au sujet d’une quelconque aide hollandaise : il faut sans doute y voir une promesse sans lendemain. Le contexte international et les dissensions entre les trois puissances susdites tournèrent cependant en faveur du souverain suédois qui ne dut faire face à aucune agression militaire4.
1 Son identité nous est restée inconnue.
2 NORDMANN C., Gustave III. Un démocrate couronné, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1986, p. 54-57 ; NORDMANN C., « L’époque moderne » (partie de l’article Suède), in Encyclopaedia universalis, Corpus, 21, Paris, Encyclopaedia universalis, 1996, p. 756.
3 NORDMANN C., Gustave III, op. cit., p. 54.
4 Ibidem, p. 61-76.
BLUCHE F., Le despotisme éclairé, Paris, Hachette, 1969, 388 p. (coll. Pluriel).
GEFFROY A., Gustave III et la cour de France suivi d’une étude critique sur Marie-Antoinette et Louis XVI apocryphes, Paris, Didier et Compagnie, 1867, 2 t., 414-490 p.
GERSHOY L., L'Europe des princes éclairés, Saint-Brieuc, Presses bretonnes, 1982, 295 p. (reproduction en fac-similé de l’édition de 1966, tradut de l’anglais par José Fleury, coll. Imago mundi, 14).
« Gustave III », in TULARD J., FAYARD J.-F., FIERRO A. (dir.), Histoire et dictionnaire de la Révolution française, Paris, Robert Laffont, 2002
LÉOUZON LE DUC L., Gustave III roi de Suède 1746 - 1792, Paris, Amyot, 1871, 382 p.
NORDMANN C., « L’époque moderne » (partie de l’article Suède), in Encyclopaedia universalis, Corpus, 21, Paris, Encyclopaedia universalis, 1996, p. 754-756.
NORDMANN C., Gustave III. Un démocrate couronné, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1986, 307 p. (coll. Économies et Sociétés)
VAUCHER P., Le despotisme éclairé, 1740-1789, Paris, Tournier et Constans, 1954, 108 p.
VON PROSCHWITZ G. (éd.), Gustave III par ses lettres, Norstedts, Stockholm ; Paris, Jean Touzot, 1986, 428 p.
Gustave III de Suède
Né à Stockholm le 24 janvier 1746, décédé à Stockholm le 29 mars 1792. Gustave était l’aîné des quatre enfants d’Adolphe-Frédéric de Holstein-Gottorp, roi de Suède, et de Louise Ulrike de Prusse, sœur de Frédéric II de Prusse1. De constitution chétive, l’enfant vécut des premières années difficiles. Sur le plan intellectuel toutefois, il se fit remarquer par une grande précocité et reçut une éducation soignée. La faiblesse de son père à la tête de l’État l’agaçait déjà, d’autant plus encore quand il songeait à son oncle de Postdam. En 1766, pour sceller la réconciliation avec le Danemark, il fut marié avec Sophie-Madeleine, fille du roi de Danemark. Ce mariage ne fut toutefois consommé qu’en 1775, Gustave nourrissant une haine ancestrale envers la cour de Danemark. En 1766 également, il constitua une Cour et s’attela alors à une réflexion constitutionnelle. Pour ménager certaines susceptibilités, il se gardait cependant de manifester son penchant pour un gouvernement royal fort. En 1771, il effectua un voyage en France : il fut accueilli chaleureusement par Louis XV et Choiseul avec qui il discuta de la future politique suédoise. Leurs vues étaient très similaires et le futur coup d’État s’ébauchait dans les conversations… Gustave fut également reçu tant par l’Académie des Sciences que par l’Académie française et rencontra Grimm, Quesnay, Mirabeau père, Rousseau, etc. Conscient du pouvoir de la coterie des philosophes sur l’opinion publique, il s’appliqua à recueillir leurs bonnes grâces : il s’agissait d’avoir leur soutien pour combattre les pamphlets en faveur de la noblesse suédoise financés par Frédéric II de Prusse. Il quitta Paris en mars 1771, plus charmé que jamais par la vie parisienne et les fastes de Versailles.
À son retour au pays (avec un détour par la Prusse où il promit à son oncle de ne rien changer à la constitution suédoise), il dut composer avec l’hostilité de la noblesse et les interminables conflits entre les deux partis suédois, les Chapeaux et les Bonnets. Jouissant d’une grande popularité, il décida de procéder en août 1772 à une « révolution » royale qui mit fin au régime constitutionnel de l’ « Ère de la liberté » (cf. analyse). Son pouvoir renforcé lui permit de mener une politique de réformes ambitieuses souvent mue par un réel désir de progrès économique et social. En distribuant de grandes quantités de grains, il combattit en premier les terribles famines ravageant le pays suite à une série de récoltes calamiteuses. Il abolit également la torture dès le 27 août 1772. Deux ans plus tard, il instaura une liberté de la presse, certes limitée et qui le fut davantage encore en 1785. Sur le plan économique, on assista à un relâchement du mercantilisme en faveur d’une liberté plus ou moins large des échanges et du commerce bien que le protectionnisme conservait toujours de nombreux supporteurs. L’enseignement fut développé et une commission d’Éducation nationale fut créée en 1778. L’État fut renforcé ainsi que les forces armées de terres et la flotte de guerre. En 1781, la liberté religieuse fut accordée aux chrétiens non luthériens.
À partir du début des années 80 cependant, un mécontentement grandissant se manifesta. Les mauvaises récoltes et une imposition toujours plus importante plongeaient les paysans dans la misère. Le Tiers Etat dans son ensemble se plaignait des dépenses militaires et des fastes de la Cour. Tout comme la petite noblesse, le Tiers se lamentait également de la préférence du monarque pour la vieille noblesse. En outre, l’Eglise se plaignait de la tolérance et voyait d’un mauvais œil les bonnes relations du souverain avec la papauté et beaucoup de catholiques. Le Danemark et la Russie soufflaient également sur les braises en stipendiant un parti antiroyaliste pour gêner le roi. Devant ce mécontentement grandissant, Gustave III choisit une diversion bien commode, si souvent utilisée depuis et avant cela : la guerre. Si un premier projet d’invasion de la Norvège (alors sous domination danoise) fut écarté, il profita de la guerre entre la Turquie et la Russie pour attaquer cette dernière. Tenu par un traité d’alliance avec la Russie, Le Danemark vint au secours de celle-ci et attaqua la Suède par la Norvège. L’intervention diplomatique de la Prusse et de la Grande Bretagne permit toutefois d’obtenir de Copenhague la fin des hostilités et une déclaration officielle de neutralité. La guerre avec la Russie continuait toutefois et les frais engendrés par ce conflit fit envisager au monarque suédois d’exiger des privilégiés (et notamment de la noblesse, cerveau de l’opposition au roi), une participation accrue à l’effort fiscal. C’est là que l’État monarchique, centralisateur et niveleur devait frapper. Gustave III renforça donc son pouvoir avec l’Acte d’union et de sûreté (21 février 1789). Cet Acte permettait au Roi de mener la politique extérieure selon son bon vouloir, de disposer de l’initiative des lois et d’avoir la haute main sur l’armée. Il permettait également aux roturiers d’accéder aux hautes fonctions publiques tout en restreignant les privilèges de la noblesse. On en vint bien vite à accuser le roi d’être un nouveau despote mais Gustave III entendait bien briser la résistance nobiliaire et prendre au besoin des résolutions de plus en plus énergiques, à la limite de la légalité. La noblesse ne pouvait que réagir : elle fomenta un complot et le souverain reçut un coup de pistolet lors d’un bal masqué durant la nuit du 15 au 16 mars. Il succomba à ses blessures deux semaines plus tard.
Terminons en signalant que, si certains ont établi un rapprochement entre l’Acte susdit et la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, il n’en reste pas moins que Gustave III se révéla rapidement hostile à la Révolution française, au point de songer à un projet de coalition contre la France. Ce projet lui aurait permis en outre une nouvelle diversion permettant la fin de l’opposition de la noblesse. Celle-ci mit fin comme l’on sait à cet ultime projet belliqueux.
1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré de la biographie de Gustave III conçue par Claude Nordmann (cf. orientation bibliographique).
Lettre
Support : une feuille de papier
Hauteur : 229 mm
Largeur : 379 mm
Cote : 19346/2116
Portrait
Gustave III. Roy de Suede Né le 24 janvier 1746.
Peint par Rathin ; Gravé par Duchenne ; A Paris ches Esnauts et Rapilly, Rue Saint Jacques à la Ville de Coutances.
Légende : « Il scut réduire en maître un Sénat Plébeïen, Au soin de proteger les droits du Citoïen. Liant ses bons sujets au char de sa puissance, Il en fit des heureux par leur obéissance. »
Cote : 19346/2116