Lettre à Rozanne Bourgoing, 27 décembre 1841

Chère Rozanne,

Tu es bien gentille de m’avoir répondu tout de suite, et d’avoir fait ce que je te demandais. Je me flatte aussi que Don José, nous lit du coin de l’œil. J’approuve bien ses précautions, mais je compte, au fond du cœur, sur ses sympathies. Tu dois être contente de moi, c’est-à-dire de la quantité de papier que je remplis dans cette Revue. Je ne t’ai pas floué[e] sous ce rapport-là. Quant à la qualité, c’est autre chose ; mais j’y fais de mon mieux.

Fais toujours ton possible pour augmenter la liste de nos abonnés, bien qu’elle s’arrondisse déjà à la satisfaction des intéressés. Pour nous, ce n’est pas une affaire d’argent. Si c’en était une, je ne t’aurais pas dit de t’abonner. Mais c’est un sentiment de propagande et de conviction, que tu dois bien comprendre sans que je me justifie d’avantage [sic].

Je suis écrasée de travail, et n’ai que le temps de t’embrasser, mais je t’embrasse bien fort et de toute mon âme. Une bonne poignée de main à ton mari. De ta santé tu ne me dis pas un mot, comme si ce n’était pas l’important pour moi. Cet oubli te force à me réécrire, rue Pigale, 16.

À toi.

George


Adresse : Madame Rozanne Bourgoing
A Roanne
Loire

Cachet : Paris, 27 décembre 1841

La lettre du 27 décembre 1841 est envoyée à Madame Jeanne-Rose-Marie Petit (1802-1893), dite Rozanne, épouse de Joseph Bourgoing (1780?-1848), désigné dans le courrier sous l’appellation « Don José »1. George Sand fait la connaissance de Rozanne, en 1835, à La Châtre (Berry) et noue rapidement une amitié durable avec la jeune femme, à laquelle elle dédicace Metella2. A la mort de son premier époux, en 1848, Rozanne se remarie avec Alexandre de Curton3, attaché au cabinet de Napoléon III, à la direction des dons et des secours. Elle s’installe alors à Paris et collabore à la Démocratie Pacifique, journal fondé en 1843 par le fouriériste Victor Considérant4.

George Sand évoque ses contributions à une nouvelle revue, vraisemblablement la Revue Indépendante. Durant l’été 1841, Sand soumet selon son habitude son nouveau roman, Horace, au directeur de la Revue des Deux Mondes, François Buloz. Mais le roman défend des thèses socialistes, que Buloz n’entend pas publier dans son journal : le directeur exige de multiples coupures, auxquelles Sand ne peut se résoudre. La rupture est consommée entre l’écrivain et la Revue des Deux Mondes. Sand souhaite alors fonder un nouveau périodique littéraire - la Revue indépendante - moins complaisant envers le pouvoir en place. L’auteur réunit la somme nécessaire et s’associe à Pierre Leroux et Louis Viardot. Le premier numéro paraît en novembre 18415.

Sand rappelle la discrétion dont Joseph Bourgoing doit faire preuve, envers la Revue Indépendante. Directeur des Contributions indirectes à La Châtre de 1833 à 1838, à Roanne de 1839 à 1841, et à Vienne de 1842 à 1847, Bourgoing ne peut recevoir ouvertement une revue fort peu ministérielle, et encore moins lui témoigner sa faveur6.

Sand précise que Rozanne Bourgoing doit lui écrire au 16, rue Pigalle, où elle s’installe entre l’automne 18397 et l’automne 18438.


Katherine Rondou
Collaboratrice scientifique à l'Université Libre de Bruxelles
Maître-assistant de langue française à la Haute Ecole Provinciale de Hainaut - Condorcet


1 SAND G., Lettres d’une vie, choix et présentation de BODIN T., Paris, Gallimard, 2004, p.1256.
2 HARKNESS N. et al., George Sand/ Intertextualité et Polyphonie II: Voix, Image, Bern-Berlin-Frankfort-New York-Paris-Vienne, Peter Lang, 2010, p.165.
3 Le livre et l’estampe, revue semestrielle de la société des bibliophiles et des iconophiles de Belgique, 1970, V, 61-68, p.65.
4 SAND G., Histoire de ma vie, édition établie par REID M., Paris, Gallimard, 2004 ; DIAZ B., « Des dangers de la publication : George Sand face aux femmes qui écrivent », in AURAIX-JONCHIERE P. et al., Histoire(s) et enchantements, Hommages offerts à Simone Bernard-Griffiths, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2009, p.159-172 ; CAORS M., George Sand et le Berry, Paris, Editions Royer, 1999, p.115.
5 REID M., George Sand, Paris, Gallimard, 2013, p.160-161.
6 SAND G., Correspondance, textes réunis, classés et annotés par LUBIN G., Paris, Garnier, 1969, vol. 5, p.531 ; VIERNE S., George Sand, la femme qui écrivait la nuit, Cahier romantique, février 2004, vol. 9, p.87.
7 REID M., George Sand, op. cit., p.143.
8 Ibidem, p.148.

BARRY J.A., George Sand ou le scandale de la liberté, Paris, Seuil, 1984, 567 p. (coll. Points. Biographie ; traduit de l'anglais par Marie-France de Paloméra).

CAORS M., George Sand et le Berry, Paris, Editions Royer, 1999, 292 p. (coll. Saga. Lettres).

DE BOISDEFFRE P., George Sand à Nohant, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2000, 239 p. (coll. Maison d’écrivain).

DIAZ B., « Des dangers de la publication : George Sand face aux femmes qui écrivent », in AURAIX-JONCHIERE P. et al., Histoire(s) et enchantements, Hommages offerts à Simone Bernard-Griffiths, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2009, p.159-172. 

HARKNESS N. et al., George Sand/ Intertextualité et Polyphonie II: Voix, Image, Bern-Berlin-Frankfort-New York-Paris-Vienne, Peter Lang, 2011 (coll. French studies of the Eighteenth and nineteenth centuries).

REID M., George Sand, Paris, Gallimard, 2013, 375 p. (coll. Folio. Biographies).

SAND G., Histoire de ma vie, édition établie par REID M., Paris, Gallimard, 2004, 1670 p. (coll. Quarto).

SAND G., Lettres d’une vie, choix et présentation de BODIN Thierry, Paris, Gallimard, 2004, 1312 p. (coll. Folio Classique).

George Sand

Amandine Aurore Lucile Dupin naquit à Paris, le 1er juillet 18041. Fille d’un officier d’Empire, mort en 1808, elle grandit auprès de sa grand-mère à Nohant. Elle épousa le baron Casimir Dudevant en 1822, et lui donna deux enfants en 1823 et 1828 (Maurice et Solange). Le mariage se solda par un échec, et en 1831, Aurore rejoignit, à Paris, Jules Sandeau, son amant depuis 1830. Elle entra au Figaro et publia, sous le pseudonyme de Jules Sand, Rose et Blanche (1831), en collaboration avec Sandeau. Son premier succès, Indiana, parut en 1832, sous le nom de Georges Sand, cette fois. Elle publia ensuite régulièrement, sous le pseudonyme définitif de George Sand (Valentine 1832, Lélia 1833, etc.). A partir de 1833, elle fit paraître l’essentiel de sa production dans la Revue des Deux Mondes : nouvelles, Lettres d’un voyageur (1834-1836), Jacques, roman par lettres (1834), etc.

Parallèlement à cette intense activité créatrice qui lui offrit son indépendance financière (situation rare pour une femme de lettres), George Sand multiplia les voyages (Italie, Majorque, etc.), les amitiés (Balzac, Flaubert, Liszt, Berlioz, Delacroix, etc.) et les liaisons (Alfred de Musset, Michel de Bourges, Charles Didier, Frédéric Chopin, etc.), et fréquenta assidûment les milieux artistiques et littéraires. Elle séjourna de plus en plus souvent à Nohant, à partir de 1836.

Sa production des années 1830, à l’esthétique romanesque, fut marquée par la protestation féminine contre la société masculine, notamment à travers la dénonciation du mariage, assimilé à une prostitution légale. La découverte du socialisme utopique et spiritualiste en 1839 influença les œuvres postérieures, porteuses de convictions et d’un idéal social : Spiridion (1839), Les sept cordes de la lyre (1839), etc. Elle rompit avec la Revue des Deux Mondes et fonda, avec d’autres intellectuels (Pauline Viardot, Pierre Leroux, etc.), la Revue Indépendante, où elle publia divers romans en feuilleton (Consuelo 1842-1843, etc.). Elle s’investit dans un premier temps dans la révolution de 1848, mais peu encline à l’action, se retira à Nohant dès le mois de mai.

Elle écrivit ses romans rustiques, inspirés par l’oralité et la tradition paysanne, dans sa propriété berrichonne : La Mare au Diable (1846), La Petite Fadette (1849), François le Champi (1850), etc. Ils chantent les vertus de l’innocence rurale, dans un style soutenu agrémenté d’expressions populaires.

George Sand revint brièvement à Paris, en 1851, mais quitta la capitale dès le coup d’Etat, et ce jusqu’en 1868. Elle se tint en retrait de sa réputation de républicaine, et ce même durant la Commune. De 1849 à sa mort, en 1865, le graveur Manceau vécut avec elle, à Nohant et à Palaiseau. Elle éduqua les filles de son fils Maurice : Aurore (née en 1866) et Gabrielle (née en 1868), en poursuivant son activité littéraire (La ville noire 1861, Mademoiselle de La Quintinie 1863, Nanon 1872, etc.). Elle mourut à Nohant en 1876.


Katherine Rondou
Collaboratrice scientifique à l'Université Libre de Bruxelles
Maître-assistant de langue française à la Haute Ecole Provinciale de Hainaut - Condorcet


1 Martine REID, George Sand, Paris, Gallimard, 2013 ; Joseph BARRY, George Sand ou le scandale de la liberté, Paris, Seuil, 1984 (1977) ; Pierre de BOISDEFFRE, George Sand à Nohant, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2000.

Support : une feuille de papier

Hauteur : 206 mm
Largeur : 328 mm

Cote : 19346/1680