Copie d'une lettre envoyée à divers ambassadeurs et ministres, 27 mai 1940

Copie

Aux Ambassadeurs d'Espagne
d'U.S.A.
d'Italie
du Japon et de Chine

Aux Ministres de Finlande
de Grèce
de Hongrie
du Portugal
de Roumanie
de Yougoslavie
et de Suède

 

Bruxelles, le 27 mai 1940

 

                Monsieur l'Ambassadeur

                Je me permets d'attirer la bienveillante attention de Votre Excellence sur le cas de l'Union Académique Internationale dont le siège est au Palais des Académies, rue Ducale 1, à Bruxelles. Votre pays étant membre de ce corps savant, auquel il a déjà apporté une collaboration très appréciable, j'ose espérer que Votre Excellence voudra bien joindre ses efforts à ceux des représentants diplomatiques des autres pays collaborant à l'Union Académique Internationale, les belligérants exceptés, pour que le Palais des Académies, siège du Secrétariat administratif de l'Union, de ses archives, de la Bibliothèque particulière de l'Union et d'une partie des stocks de ses publications, soit préservé de toute occupation.

                Normalement, la Session annuelle de l'Union Académique Internationale (XXIe Session) aurait dû se tenir à Bruxelles [sic] du 15 au 18 du présent mois, mais les événements en ont décidé autrement. Les membres de l'Union seront sans doute unanimes pour souhaiter que l'Union Académique Internationale [sic], qui compte déjà 20 années d'activité féconde, soit sauvegardé, car elle représente l'un des trop rares terrains où les savants du monde entier peuvent se rencontrer, apprendre à se connaître et à s'estimer.

 

                Veuillez agréer [sic], Monsieur l'Ambassadeur, l'assurance de ma plus haute considération.

 

                Le secrétaire administratif de l'Union Académique Internationale,

                (Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Belgique)1

 

[Note de l'archiviste au crayon rouge en haut à droite, mentionnant "U.A.I.", pour Union Académique Internationale, et soulignant le mot "copie"]

 

1 Le secrétaire administratif de l'Union Académique Internationale est également de facto le Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de Belgique

A la lecture de ce document, on peut se demander pourquoi l’idée d’une occupation du Palais des Académies par les troupes Allemandes rend si fébrile le Secrétaire perpétuel. A ce sujet, il est bon de rappeler que lors de la Première Guerre mondiale, le Palais des Académies fait l'objet d'une occupation par les troupes Allemandes. Transformé en hôpital de campagne, le Palais va, pendant quatre années, subir de considérables dégâts, les pires qu'il ait connu. Et lorsque l'Académie retrouve en 1918 les locaux dont elle a été chassée en 1914, elle ne peut que constater l'ampleur des dommages, auxquels s'ajoutent les vols de métaux dits "stratégiques" mais aussi de médailles, de livres, et d'archives. A terme, le désordre, la saleté, et les destructions ont profondément altéré le prestigieux cachet dont jouissait le Palais des Académies1.

Ce n'est donc pas sans surprise que le 27 mai 1940, alors que Bruxelles devient une zone occupée, le Secrétaire perpétuel, Marc-Aurèle de Selys-Longchamps, prend les devants pour que les locaux de l'Académie Royale de Belgique soient préservés de toute occupation. Pour arriver à ses fins, il cherche à obtenir le soutien de l'Union Académique Internationale, siégeant également au Palais des Académies. Cette institution, dont la Belgique est un membre fondateur (depuis 1919), cherche à réunir les milieux scientifiques internationaux séparés par la Première Guerre mondiale et à promouvoir la recherche scientifique. Il en émane une aura scientifique, mais également politique par son internationalisme, aspect que le Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale (qui est aussi de facto Secrétaire administratif de l'Union Académique Internationale), compte bien utiliser à son avantage. Ainsi, de Selys-Longchamps va prendre contact avec douze Etats-membres de l'Union Académique Internationale2 (laissant volontairement de côté les nations belligérantes que sont la France, le Royaume-Uni, et l'Allemagne) en espérant pouvoir compter sur les relations diplomatiques de ces douze nations pour faire pression sur l'Allemagne et éviter toute occupation des locaux. D'autre part, le Ministère des Travaux Publics, également contacté par le Secrétaire perpétuel, affirme son soutien, s'engageant à fournir à l'Occupant des bâtiments en substitution au Palais des Académies si besoin est3.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que ces lettres sont portées à pied (et non postées, puisque beaucoup de moyens de communication sont dans un état chaotique, comme la poste ou les trains). L’urgence et l’importance de l’affaire justifie aisément une telle implication de la part du Secrétaire perpétuel. A terme, et même s'il ne reçoit la réponse que de cinq membres4, de Selys-Longchamps peut se réjouir de ne recevoir presque que des réponses positives, puisque seuls les Etats-Unis ne vont pas soutenir le Secrétaire perpétuel dans sa démarche, se réfugiant derrière un soutien purement formel, et l’argument que Gouvernement des Etats-Unis ne peut accorder sa protection qu'aux citoyens américains (ainsi que leurs biens et intérêts), adoptant ainsi une stratégie de quasi-stricte neutralité, caractérisant la politique extérieure des Etats-Unis jusqu'à leur entrée en guerre officielle en 1941. Pourtant, les Etats-Unis, en tant que membre de l'Union Académique Internationale, ont longtemps joué un rôle de médiateur dans le monde scientifique et académique5.

Au final, les craintes de l'Académie Royale de Belgique ne sont apaisées que le 12 juin 1940, recevant un pli de l'Ortskommandatur Brüssel – Quartieramt6, affirmant que, comme tout bâtiment abritant des œuvres d'art, il n’est l'objet d'aucune occupation militaire, permettant ainsi à l’Académie Royale de Belgique d’y tenir ses réunions et d’y poursuivre sa mission. Mais si tout au long de la guerre l’Académie répond par la négative aux demandes de location et de réquisition des salles du Palais des Académies, elle ne peut empêcher la réquisition de ses locaux du premier au 4 septembre 1944, qui devient une place forte de l’Armée allemande censée retenir la poussée alliée venue libérer la ville, sans y parvenir7

 

 

- FIFILS Vincent

 

1 Le Nain L., “Rapport succinct sur l’état du Palais des Académies après le départ des Allemands”, Bulletins de la Classe des Sciences de l'Académie Royale de Belgique, 1919, 1, p.31-35.

2 Espagne, Etats-Unis d'Amérique, Italie, Japon, Chine, Finlande, Grèce, Hongrie, Portugal, Roumanie, Yougoslavie, Suède.

3 Fifils V., L’Académie Royale de Belgique face à la Seconde Guerre mondiale. Simple accommodation?, s.l., s.e., 2019, (Travail de séminaire inédit – Université Libre de Bruxelles), p. 7-8.

Bardez R., Bertrams K., L'Union Académique Internationale, un laboratoire de la diplomatie scientifique de l'entre-deux-guerres, s.l., s.e., s.d., p.9.

TDA, 994, Secrétaire Administratif de l'Union Académique Internationale (Secrétaire perpétuel de l'Académie) aux Ambassades d'Espagne, des U.S.A., d'Italie, du Japon, et de Chine; et aux Ministres de Finlande, de Grèce, de Hongrie, du Portugal, de Roumanie, de Yougoslavie, et de Suède, 27 mai 1940.

4 Chine, Japon, Yougoslavie, Danemark, U.S.A.

5 TDA, 994, Premier secrétaire de l'Ambassade de la République de Chine à Bruxelles au Secrétaire perpétuel, 28 mai 1940.

TDA, 994, Chargé d'affaires de l'Ambassade du Japon en Belgique au Secrétaire perpétuel, 28 mai 1940.

TDA, 994, Chargé d'affaires de la Légation royale de Yougoslavie en Belgique au Secrétaire perpétuel, 30 mai 1940.

TDA, 994, Ministre de la Légation de Danemark à Bruxelles au Secrétaire perpétuel, 05 juin 1940.

TDA, 994, Ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique à Bruxelles au Secrétaire perpétuel, 05 juin 1940.

Fifils V., L’Académie Royale de Belgique face à la Seconde Guerre mondiale. Simple accommodation?, loc.cit..

6 L'Ortskommandatur Brüssel – Quartieramt est l’entité gérant les affaires administratives au niveau de la localité, de la ville (en l’occurence gérant Bruxelles); et est une subdivision du Militärverwaltung in Belgien und Nordfrankreich, l'administration militaire d'Occupation allemande, gouvernant la Belgique et le Nord de la France. "Ortskommandanturen", dans Lexikon der Wehrmacht. [En ligne]. <http://www.lexikon-der-wehrmacht.de/Gliederungen/Kommandantur/GliederungOK.htm>. (Consulté le 30 octobre 2019).

7 Fifils V., L’Académie Royale de Belgique face à la Seconde Guerre mondiale. Simple accommodation?, op.cit., p. 8 & 29-30.

Bardez R., Bertrams K., L'Union Académique Internationale, un laboratoire de la diplomatie scientifique de l'entre-deux-guerres, s.l., s.e., s.d., 19 p.

Brien P., "Marc-Aurèle-Gracchus Baron de Selys Longchamps", Annuaire de l'Académie Royale de Belgique pour 1965, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1965, p. 59-137.

Brien P., "Marc-Aurèle-Gracchus Baron de Selys Longchamps", Biographie Nationale. Supplément (IX), Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1971, t.37, col.727-736.

Coomans de Brachène O., Etat présent de la Noblesse Belge : Annuaire de 1998 (Sa-Sel), Bruxelles, Etat présent a.s.b.l., 1998, 211 p. 

Fifils V., L’Académie Royale de Belgique face à la Seconde Guerre mondiale. Simple accommodation?, s.l., s.e., 2019, (Travail de séminaire – Université Libre de Bruxelles), 53 p.

Gotovitch J., "La Thérésienne 1940-1944, élite de la Nation?", Bulletin de la Classe des Lettres et Sciences Morales et Politiques de l'Académie Royale de Belgique, 25, 2014, p. 91-115.

Le Nain L., “Rapport succinct sur l’état du Palais des Académies après le départ des Allemands”, Bulletins de la Classe des Sciences de l'Académie Royale de Belgique, 1919, 1, p.31-35.

Yans M., Inventaire des archives de Sélys Longchamps, Bruxelles, Archives Générales du Royaume, 1971, 353 p., (Archives de l’Etat à Liège. Inventaires).

 

Marc-Aurèle-Gracchus, Baron de Selys-Longchamps

Zoologiste et spécialiste de la biologie marine, Marc-Aurèle-Gracchus de Selys-Longchamps nait à Paris le 30 juin 1875. Arrière-petit-fils de Jean-Baptiste Julien d’Omalius d’Halloy (l’un des créateurs de la géologie en Europe), et petit-fils de Michel Edmond de Selys Longchamps (l’un des pères fondateurs de la zoologie en Belgique), de Selys-Longchamps est un homme amené à marcher dans les pas de ses ancêtres, et à gravir les rangs du monde académique. D’abord curieux jeune homme intéressé par les sciences, il obtient son doctorat en Sciences de l’Université de Liège en 1901. Dès 1912, de Selys-Longchamps, alors assistant, devient le successeur d’Auguste Lameere à la chaire de «Biologie en rapport avec les sciences sociales», avant d’être chargé, en 1919, de celle d’embryologie et de morphologie animale. Il ne quitte ses fonctions professorales en mai 1936 que pour devenir Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de Belgique, institution avec laquelle il est alors familier depuis un peu plus de dix ans, puisque nommé correspondant en 1925 et élu membre en décembre 1929. 

Décrit comme un Secrétaire perpétuel dévoué, ponctuel, juste, ouvert d’esprit, et silencieux de l’Académie Royale de Belgique, il ne manque jamais à ses devoirs, et surtout pas face aux contraintes ou difficultés auxquelles il doit faire face pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi confronté aux réquisitions de locaux comme de métaux; face aux pénuries de papier, aux dangers des bombardements, de Selys-Longchamps agit toujours pour assurer la pérennité des missions menées par l’Académie Royale de Belgique. Cet homme volontaire et consciencieux n’hésite jamais à prendre les choses en main personnellement, comme lorsqu’à la veille de la Libération de Bruxelles, le Palais des Académies occupé par les troupes allemandes et devenu place forte, il décide de descendre lui-même le catalogue sur fiches dans les caves pour l’y protéger. 

En tant que Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de Belgique, Marc-Aurèle de Selys-Longchamps est également le secrétaire aminitratif de l’Union Académique Internationale, entité créée en 1919 (avec pour objectif de promouvoir la recherche scientifique et diffuser ses résultats dans un monde divisé et isolé suite à la Grande Guerre), et dont le siège est situé au Palais des Académies de Bruxelles. Cette double fonction, de Selys-Longchmaps va l’assurer jusque juin 1948, année où il demande d’être déchargé de ses fonctions, gagné par une affection des yeux.

Si en 1936, son absence avait été regrettée par ses étudiants, elle l’est tout autant en 1948 auprès de ses pairs académiciens, mais elle l’est encore plus le 11 mai 1963, lorsqu’il s’éteint à l’âge de 88 ans. 

 

 

- FIFILS Vincent

Papier carbone 

Hauteur : 282mm

Largeur : 216mm

Cote : 994