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Lettre à Adolphe Quetelet

Je suis fâché, très fâché, mon cher collègue, de ne pas m'être trouvé hier chez moi, lorsque vous y êtes venu avec l'envoyé de ce malheureux Dandelin, qu'on persécute parce qu'il vaut mieux que ceux qu'on lui préfère. Pour vous, je m'en dédommagerai demain à notre assemblée, mais comment faire pour m'aboucher avec votre compagnon ? Obligez-moi, en m'en procurant les moyens. Je vous livre toute ma journée, seulement prévenez-moi de l'heure, et je vous attendrai. Je voudrais avoir des renseignements au sujet de notre intéressant affligé et lui envoyer du moins des paroles de consolation.

 

Adieu à demain

 

Charles-François

 

[Adresse]

 

A Monsieur

Monsieur Quetelet etc.

 

 

Chez lui

 

Nous n’avons pu déterminer de quoi parlait exactement le vicomte de Nieuport dans le document ci-dessous[1] et il y a trop d’incertitudes pour que nous puissions le dater ne serait-ce qu’approximativement, malgré la lecture attentive des biographies de Nieuport, Quetelet et Dandelin et de certaines de leurs archives conservées par notre institution.

Quoiqu’il en soit, le ton bienveillant de cette missive n’indique que trop les bonnes relations liant les trois hommes. Dandelin était un ami de longue date de Quetelet : ils se connaissaient depuis le lycée. Après un court passage par la poésie et le théâtre, les deux amis se consacrèrent aux mathématiques et remplirent les volumes de mémoires de l’Académie de Bruxelles récemment rouverte (1816) et dont ils devinrent membres en 1820 (Quetelet) et 1822 (Dandelin). Cette collaboration fut profitable et connut un certain retentissement à ce point que l’on parlait à l’étranger des « théorèmes belges » pour parler de leurs travaux. Quetelet n’eut de cesse d’aider son vieil ami quand il le pouvait, comme par exemple en 1825 où il lui obtint un poste de professeur à l’Université de liège ou encore aux lendemains de la Révolution belge quand il fallut protéger Dandelin de ses choix politiques.

Une si grande amitié ne liait sans doute pas Quetelet et de Nieuport mais (ce n’est pas déchoir) bien plutôt une grande estime partagée. Quand il s’installa à Bruxelles en 1819, le premier envoya un exemplaire de sa thèse de doctorat au second et lui rendit visite ensuite. Bien des années plus tard, Quetelet se souvenait toujours de cette première entrevue avec émotion :

« Je trouvai un beau vieillard, d’une taille élevée, d’un parler brusque, mais plein de franchise et de bienveillance. Il me reçut avec bonté : ma jeunesse et mon goût pour sa science de prédilection l’intéressèrent en ma faveur; il avait commencé par me recevoir comme un père, et, peu à peu en causant de sciences, il finit par se mettre à mon niveau et à me parler en véritable ami des divers objets de mes études. Dans un âge avancé, il avait conservé toute l’ardeur, toute la vivacité de la jeunesse ; quand la conversation s’animait, on s’apercevait facilement à ses mouvements d’impatience, au tremblement de ses mains, à l’agitation de toute sa personne, que sa langue ne suffisait pas à rendre toutes les pensées qui se présentaient presque en même temps à son esprit. Son parler était vif, coupé, plein d’images; j’ai connu peu d’hommes qui eussent un langage plus pittoresque. Sa figure, dont les traits n’étaient pas sans noblesse et dont la teinte, brunie par les feux du midi, contrastait avec la blancheur de ses cheveux, avait une expression animée ; ses yeux étaient petits et bleus, mais pleins de vivacité. Quand la discussion s’échauffait, son geste même avait de l’éloquence, et il ne fallait pas attendre sa réplique pour connaître le fond de sa pensée[2]. ». Enthousiasmé par la qualité du travail de Quetelet, de Preud’Homme d’Hailly usa de son influence pour le faire devenir membre de notre Académie en 1820. En aidant également Quetelet dans sa carrière naissante, il entendait favoriser le développement des mathématiques dans nos régions, tant désavantagées dans ce domaine[3].

 

[1] Il n’est de moment plus pénible pour l’historien que celui où, face un document, il ne peut l’interpréter fidèlement faute d’indices suffisants. Plusieurs voies s’ouvrent à lui mais il est impossible d’en privilégier une en particulier. Nous nous garderons donc d’ennuyer le lecteur avec d’éventuelles hypothèses, craignant trop l’erreur qui mettrait à bas toute l’interprétation…

[2] Quetelet A., Sciences mathématiques et physiques chez les Belges au commencement du 19e siècle, Bruxelles, Thiry-Van Buggenhoudt, 1866, p. 103. Droesbeke J.-J., Adolphe Quetelet, passeur d’idées, à paraître prochainement dans la collection de la Nouvelle biographie nationale.

[3] Droesbeke J.-J., Adolphe Quetelet, op. cit.

BIGWOOD G., « Nieuport (Charles-François-Ferdinand-Florent-Antoine Le Prudhomme d'Hailly, vicomte de), dans Biographie Nationale, t. XV, Bruxelles, 1899, col. 712-717.

L-Z-E, « Nieuport (Charles-François-Ferdinand-Florent-Antoine Le Prudhomme d'Hailly, vicomte de) », dans Nouvelle Biographie générale, t. 38, Paris, 1862, col. 66-68.

MAWHIN J., « Les mathématiciens: Deux hommes du génie », dans HASQUIN H. (dir.), L’Académie impériale et royale de Bruxelles, ses académiciens et leurs réseaux intellectuels au XVIIIe siècle, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2009, p. 77-87,

PRINCE DE GAVRE, « Eloge du Commandeur de Nieuport », dans Nouveaux mémoires de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, t. 4, 1827, p. I-XVII.

QUETELET AD., Histoire des sciences mathématiques et physiques chez les Belges, Bruxelles, M. Hayez, imprimeur de l’Académie royale, 1864, p. 99-109.

QUETELET AD., « Notice sur le commandeur de Nieuport », dans Annuaire de l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, Bruxelles, 1835, p. 95-100.

QUETELET AD., Sciences mathématiques et physiques chez les Belges au commencement du XIXe siècle, Bruxelles, H. Thiry-Van Buggenhoudt, imprimeur-éditeur, 1866, p. 333-343.

RADELET-DE GRAVE P., « de Nieuport, Charles-François », dans HASQUIN H. (dir.), L’Académie impériale et royale de Bruxelles, ses académiciens et leurs réseaux intellectuels au XVIIIe siècle, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2009, p. 196-199.

DE REIFFENBERG, « Nieuport (Charles-François-Ferdinand-Florent-Antoine de Preud’homme, d’Hailly, vicomte de) », dans Biographie universelle, ancienne et moderne, supplément, t. 75, Paris, L.-G. Michaud, éditeur, 8, 1844, p. 403-406.

VAN INNIS G, « Le Commandeur de Nieuport à Bruxelles. Son séjour à la Place Royale naissante ; son entrée et ses travaux à l'Académie Impériale et Royale (1777-1794)  », dans Bulletin de la Classe des Lettres, Académie royale de Belgique, 5e série, t. 68, 1982, p. 108-142.

 

Charles-François de Preud'Homme d'Hailly, vicomte de Nieuport, commandeur de l'ordre de Malte

Né à Paris le 13 janvier 1746, décédé à Bruxelles le 20 août 1827

Le vicomte de Nieuport fit de brillantes études au sein du très réputé Collège Louis le Grand (Paris) où il acquit une bonne formation en mathématiques. De retour dans nos régions après ses études, il devint lieutenant au corps de génie mais se lassa bien vite des garnisons dans les forteresses de Hongrie, de Transylvanie et du Bannat. Il réussit donc à représenter l’Ordre de Malte à la cour de Bruxelles comme ministre plénipotentiaire. Selon Quetelet, son goût pour les sciences l’aurait alors mis en contact avec d’Alembert, Condorcet, Bossut et d’autres scientifiques connus de son temps.

Durant les années 70, il ambitionna de rentrer à l’Académie de Bruxelles en concevant un mémoire de géométrie et un autre traitant d’un problème simple d’équations différentielles, tous deux présentés à la séance du 16 septembre 1777. Le 14 octobre de la même année, il était nommé membre de l’Académie. De Nieuport s’intéressa ensuite à la mécanique en présentant deux travaux sur la mécanique des voûtes en 1778 et en 1780. En 1779, il avait également rédigé un mémoire consacré à une machine propre à élever des fardeaux considérables lu à la séance du 13 avril. Il s’intéressa une dernière fois à la géométrie différentielle dans un Mémoire sur les codéveloppées des courbes présenté le 6 novembre 1780. Très assidu jusqu’au début de 1784, sa présence aux séances de la compagnie devinrent très rares. Durant la période française, il publia ses Mélanges mathématiques (1794 et 1799) et fit son entrée à l’Institut de France en 1806. D’autres sociétés savantes étrangères lui ouvrirent les portes comme l’Institut royal d’Amsterdam, l’Académie zélandaise de Flessingue, l’Académie de Stockholm, etc.

À la réouverture de l’Académie de Bruxelles, il fut réintégré comme presque tous les survivants de l’Académie du XVIIIe siècle. On lui confia le poste de directeur dont il s’acquitta jusqu’à sa mort. Durant la séance du 13 janvier 1817, il fit instaurer deux classes comme à l’Institut de France, l’une s’occupant des sciences et l’autre d’histoire et de littérature ancienne. Malgré son grand âge, le vicomte fit preuve d’un incroyable dynamisme au sein d’une Académie qui peinait à reprendre vie. Pour le premier volume des mémoires paru en 1820, il conçut pas moins de 6 mémoires sur un total de 18. Ces travaux traitaient de calcul intégral pur et de mécanique. Plus étonnant est le mémoire reprenant ses observations suscitées par sa lecture approfondie de Platon.

 

Buste en marbre conçu par Charles Geefs et reçu par l’Académie en octobre 1874.

Hauteur : 68 cm ; largeur 54,5 cm ; profondeur : 33, 5 cm

Photo Luc Schrobiltgen

Support : feuille de papier

Hauteur : 197 mm

Largeur : 250 mm  

Cote : 17986/1901