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Lettre à Marc Aurèle Gracchus, baron de Selys Longchamps, 31 octobre 1944

Ostende, le 31 Octobre 1944

27 Rue de Flandre

Monsieur de Selys Longchamps

Secretaire perpétuel

Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux Arts

de Belgique Palais des Académies

Bruxelles

 

Monsieur et honoré Confrère.

 

En réponse à votre lettre de 24 Octobre 1944, j’ai

l’honneur de vous faire savoir que depuis le 10 mai 1940

je n’ai jamais participé à aucune exposition, depuis cette

date aucun de mes tableaux n’a quitté ma demeure ;

je me suis tenu à l’écart de toute manifestation

artistique ou autre, observant une stricte neutralité.

J’espère que ceci vous donnera entière satisfaction

et vous prie de croire, Monsieur et Honoré Confrère, à

l’assurance de mes sentiments les plus distingués.

 

Baron James Ensor

 

 

 

Tanguy Ons

Université catholique de Louvain

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Académie royale de Belgique a continué de fonctionner. Ce bon fonctionnement est assuré par le Secrétaire perpétuel, le Baron de Selys Longchamps. La guerre en elle-même n’affecte pas l’Académie puisque la mobilisation ne touche pas le personnel. Cependant, le fonctionnement n’est pas optimal en raison du départ des académiciens en exode, les problèmes de communications voire le décès de certains membres. Dans ces conditions, les réunions des différentes classes sont organisées de manière officieuse1. En décembre 1940, les académiciens s’étant exilés durant la Bataille des 18 jours sont provisoirement suspendus et c’est l’autorité allemande qui décide s’ils peuvent reprendre ou non leurs activités. L’autorité allemande demande la réintégration des académiciens allemands radiés en 1919, mais rien n’est fait, car l’administration de l’Académie a décidé de n’effectuer aucune nomination en temps de guerre. Les publications se poursuivent, mais celles-ci sont relues et éventuellement censurées par les services de propagande2.

Lors de la libération, l’Académie, comme toute autre institution, se voit missionnée d’effectuer une épuration au sein de ses membres3. Le 17 octobre 1944, de Selys Longchamps envoie la circulaire suivante aux différentes Classes :

«  L’Académie doit sévir contre les membres qui auraient manqué de patriotisme… Le prestige de l’Académie rend souhaitable qu’aucun reproche ne puisse lui être adressé. Il faut agir avec rapidité de telle manière que la presse, l’opinion ou même l’autorité supérieure n’aient pas à rappeler son devoir moral à l’académie… Aussi ai-je la désagréable mission de vous prier de me faire savoir si à votre connaissance des critiques ou des observations défavorables ont été formulées sur l’attitude patriotique de l’Académie ou de ses membres en particulier, ou si des actes de ceux-ci ont donné prise à des jugements valant la peine d’être relevés. C’est pour moi une pénible obligation de constituer des dossiers, mais elle est indispensable »4.

Durant la guerre, les œuvres de James Ensor ont été exposées plusieurs fois en Allemagne, que ce soit à Düsseldorf, Darmstadt, Berlin ou Sarrebruck5. Dès lors, ce courrier est une réponse à la circulaire du secrétaire perpétuel afin de lui expliquer qu’il n’est pas responsable si ses œuvres se sont retrouvées dans des expositions d’art flamand organisées par les services de propagande. La lettre est d’ailleurs accompagnée d’un article publié dans Le Matin d’Anvers du 8 novembre 19446 expliquant que le baron « proteste à juste titre contre le fait que certaines de ses toiles ont été exposées »7 en Allemagne. En effet, Ensor « a refusé de participer personnellement à aucune exposition organisée durant l’occupation »8 ainsi que de s’entretenir « avec des Allemands ou avec ceux qui tentaient d’entrer en contact avec lui en leur nom »9. En réalité, les tableaux qui ont été exposés par les Allemands appartenaient à des particuliers et à des collections officielles. Même si James Ensor est l’auteur de ces œuvres, il n’en était plus le propriétaire et n’était plus garant de leur utilisation. Ses œuvres et son nom ont donc été associés à l’occupant sans son accord. Dans ces conditions, le Ministère de l’Instruction a décidé que les membres de la Classe des Beaux-Arts ne pouvaient pas être poursuivis en justice pour collaboration intellectuelle.

On remarque que cette lettre n’a pas été rédigée par James Ensor et que seule la signature est de sa main10. Très prolifique dans les années 1930, Ensor est à l’origine de huit carnets autographes dans lesquels il a recopié ses correspondances entre 1933 et 1939. Cependant, il devient plus discret après la guerre et ne répond que très rarement à ses correspondants. On peut supposer que l’auteur matériel est l’un des domestiques d’Ensor : Auguste Van Yper ou Ernestine Mollet. Les agendas annotés mentionnés par Robert Croquez dans Ensor en son temps en 1970 sont d’ailleurs de la main de Van Yper et non des originaux de James Ensor11. Ce changement d’attitude vient peut-être de l’état de santé d’Ensor, éventuellement aggravé par la guerre et par un mode de vie casanier, et qui le fatiguait peut-être trop pour tenir des correspondances régulières.

 

1 GOTOVITCH J., « La Thérésienne 1940-1944. Elite de la nation ? », dans Bulletins de la Classe des Lettres et des sciences morales et politique, t. 25, 2014, p. 96-97.

2 Ibid., p. 101-106.

3 Ibid., p. 110.

4 Circulaire du Secrétaire perpétuel à tous les membres, 17 octobre 1944, Archives de l’Académie Royale de Belgique, n° 1827.

5 GOTOVITCH, J., op. cit., p. 112.

6 L’article est postérieur à la lettre. Nous ne savons pas qui les a joints ensemble.

7 Collaborateur malgré lui, dans Matin d’Anvers, 8 novembre 1944, Archives de l’Académie Royale de Belgique, n° 14596.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 ROBERTS-JONES P., « Ensor et l’Académie », dans Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, 6e série, t. I, 1990, p. 71.

11 Les milles pages autographes de James Ensor ou les carnets inconnus du peintre, Bruxelles, (1989), Archives de l’Académie Royale de Belgique, n° 14596.

 

 

Tanguy Ons

Université catholique de Louvain

BECKS-MALORNY U., James Ensor, 1860-1949. Les masques, la mer et la mort, 2002.

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ENSOR J., Mes écrits, 5ème éd., Liège, 1974.

HOSTYN N., Ensor. La collection du Musée des beaux-arts, Ostende, Gand, 1999.

LALOT C., Un Ensor bruegélien ? Analyse historiographique de l’ancrage de l’œuvre d’Ensor dans la tradition flamande, Université catholique de Louvain, 2009 (Mémoire de Master en Histoire de l’art et archéologie).

LEBRUN A., Le premier Ensor (1880-1889). Entre réalisme, impressionnisme et japonisme, Université catholique de Louvain, 2015 (Mémoire de Master en Histoire de l’art et archéologie).

LEGRAND F.-C., Derrey-Capon, D. et Ollinger-Zinque, G., James Ensor, Tournai, 1999.

LEGRAND, F.-C., « Ensor », dans Biographie nationale, t. 12, 1977, col. 228-240.

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OLLINGER-ZINQUE G. et BAUTHIER D., Ensor, Bruxelles, 1999.

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TAEVERNIER A., James Ensor. Catalogue illustré de ses gravures, leur description critique et l’inventaire des plaques, Anvers, 1999.

TRICOT X., Lettres, Bruxelles, 1999.

TRICOT X., , James Ensor : sa vie, son œuvre. Catalogue raisonné des peintures, Bruxelles, 2009.

VERHAEREN E., James Ensor, Bruxelles, 1908.

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Tanguy Ons

Université catholique de Louvain

 

Baron James Sidney Édouard Ensor

James Sidney Édouard Ensor est né le 13 avril 1860 à Ostende et est décédé le 19 novembre 1949 dans la même ville. Il peint ses premiers tableaux en 1876 et entre à l’Académie de Bruxelles l’année suivante. Il installe son premier atelier dans une mansarde à Ostende en 1880 et participe à sa première exposition en 1881 au cercle La Chrysalide où il essuie des critiques négatives.1 Ensor est progressivement écarté des salons traditionnels de par son avant-gardisme. En 1884, il compte parmi les fondateurs du Cercle des XX. Ce cercle a pour objectif de permettre à des artistes progressistes d’être exposés sans être perturbés par les exigences d’un jury.2 Le cercle est dissous en 1893 et est remplacé par La Libre Esthétique à laquelle Ensor participe également.3

À partir de 1900, James Ensor produit moins d’œuvres mais continue toujours à se faire exposer. Il s’essaye également à la musique avec notamment la composition du ballet-pantomime intitulé La gamme d’amour.4

James Ensor est élu correspondant de la Classe des Beaux-Arts le 5 juillet 1923 et devient membre titulaire de la section de peinture le 8 janvier 1925. Malgré vingt-six années à l’Académie, James Ensor n’a jamais participé aux séances de la Classe, évoquant divers problèmes de santé pour justifier ses absences. De là, nous pouvons constater que James Ensor était soucieux de sa santé, bien qu’il puisse s’agir de prétextes pour éviter les déplacements5.

Le 5 juin 1924, James Ensor est désigné par la Classe des Beaux-Arts pour rédiger la notice nécrologique du peintre Alfred Verhaeren6, cousin du poète Émile Verhaeren7. Ensor dira à ce propos que « Ce travail est pour moi plein de charme et d’agrément, car j’aime parler des belles couleurs et j’aime surtout louer, en style de peintre, nos beaux coloristes. »8 Cependant, Ensor espérait voir sa notice publiée dans l’Annuaire de l’Académie tandis que la Commission de la Biographie nationale la destinait au Bulletin de la Classe. L’Annuaire étant une publication destinée et utilisée par l’intégralité des académiciens, l’auteur pouvait y voir le moyen d’être lu par une audience plus importante. La Commission refuse néanmoins de publier la notice dans l’Annuaire dû à la plume personnelle et peu académique de James Ensor, objet de la polémique. Finalement, la notice est publiée dans le Bulletin de 19259, mais Ensor n’en aura pas fait la lecture de sa publication en séance plénière comme il est coutume de le faire10.

Lorsque James Ensor publie Mes écrits en 1925, l’œuvre contient un Discours pour la réception à l’Académie Royale de Belgique, daté de la même année. Ce texte n’est pas un discours académique puisque l’Académie ne pratique pas « l’éloquence de l’installation ou de la réception »11 ni une intervention retranscrite puisque le peintre n’a jamais participé à aucune réunion. Les deux hypothèses proposées par le baron Philippe Roberts-Jones, secrétaire perpétuel de 1985 à 1999, sont qu’il s’agit soit d’un discours préparé qu’Ensor a publié faute d’avoir pu le prononcer, soit d’un discours imaginaire12.

    En 1929, James Ensor est anobli au rang de baron par le roi Albert Ier à l’occasion de l’exposition inaugurale du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles13. Le baron James Sidney Edouard Ensor décède de maladie à Ostende le 19 novembre 1949 à l’âge de 89 ans14. Il est inhumé au cimetière Notre-Dame des Dunes à Mariakerke.

 

Tanguy Ons

Université catholique de Louvain

 

1 DELVAUX P., « Notice sur James Ensor, membre de l’Académie », dans Annuaire de l’Académie, t. 129,1963, p. 215-216.

2 LEBRUN A., Le premier Ensor (1880-1889). Entre réalisme, impressionnisme et japonisme, Université catholique de Louvain, 2015 (Mémoire de Master en Histoire de l’art et archéologie), p. 17.

3 Ibid., p. 27.

4 LEGRAND, F.-C., « Ensor », dans Biographie nationale, t. 12, 1977, col. 231.

5 ROBERTS-JONES P., « Ensor et l’Académie », dans Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, 6e série, t. I, 1990, p. 51.

6 « Séance du 5 juin 1924 », dans Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, t. VI, 1924, p. 53.

7 Emile Verhaeren a lui-même rédigé une monographie sur James Ensor en 1908.

8 Lettre au Secrétaire perpétuel, M. Paul Pelseneer, 6 août 1924. Archives de l’Académie Royale de Belgique, n° 14596.

9 ENSOR J., « Notice sur Alfred Verhaeren, membre de l’Académie », dans Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, t. VII, 1925, p. 110-115.

10 ROBERTS-JONES P., op. cit., p. 51-57.

11 Ibid., p. 57.

12 Ibid., p. 57-58.

13 LALOT C., Un Ensor bruegélien ? Analyse historiographique de l’ancrage de l’œuvre d’Ensor dans la tradition flamande, Université catholique de Louvain, 2009 (Mémoire de Master en Histoire de l’art et archéologie), p. 29.

14 Ibid., p. 29.

Support : 1 feuille de papier

 

Hauteur : 254mm

Largeur : 201mm

 

Cote : ARB 14596

 

Tanguy Ons

Université catholique de Louvain