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Lettre à Adolphe Quetelet, 6 août 1860

Bruxelles, le 6 aout 1860.

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

Je possède une bibliothèque assez considérable qui renferme une section d’ouvrages et de documents concernant l’économie sociale. Cette collection réunie depuis de longues années dans les divers pays est, je pense, l’une des plus complètes qui existent en ce genre ; je n’en connais pas du moins de semblable dans les bibliothèques publiques et particulières que j’ai visitées et dont j’ai parcouru les catalogues en France, en Angleterre, en Allemagne et en Belgique. Il serait à regretter qu’elle fût dispersée. Pour La conserver dans son intégrité et donner en même temps à L’académie un témoignage de mon estime & de mon attachement, j’ai inséré dans mon testament en date du 3 de ce mois, déposé chez Me Rommel, notaire à Bruxelles, la disposition suivante :

“ Je lègue à l’Académie royale des Sciences, des lettres & des beaux-arts de Belgique les “ ouvrages de ma bibliothèque concernant L’économie politique, le Droit pénal et les prisons, “ les établissements de bienfaisance, l’éducation & l’instruction, L’hygiène, La Statistique, à “ la condition d’en conserver L’ensemble & de l’accroître successivement au moyen des dons “ d’ouvrages analogues, de manière à former une section spéciale de publications embrassant “ toutes les branches de l’économie sociale. »
Bien que cette disposition ne doive recevoir d’exécution qu’après ma mort, je ne me considère dès à présent que comme le dépositaire du legs que je fais à l’Académie ; je continuerai à le gérer avec soin, et les accroissements qu’il pourra recevoir augmenteront successivement sa valeur. Si d’ailleurs L’Académie jugeait à propos de prendre à ce sujet quelque mesure conservatoire je me tiens à sa disposition.
Veuillez, Monsieur Le Secrétaire perpétuel, donner connaissance de ce qui précède à L’académie, & agréer L’assurance de mes sentiments respectueux & dévoués.
Ed Ducpetiaux… ”

[Apostille en haut à gauche, dans une écriture autre que celle de Ducpétiaux]
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mort le 21 juillet 1868

Claire Pascaud
Bibliothécaire de l’Académie royale de Belgique

Édouard Ducpetiaux meurt le 21 juillet 1868, mais ce n’est qu’en septembre 1880, après le décès de sa femme, que l’Académie fut mise en possession des ouvrages d’économie politique et sociale de la bibliothèque du défunt, ainsi que de la collection complète de ses ouvrages. Suite à ce don, le Secrétaire perpétuel, M. Jean-Baptiste Liagre, écrivit au Ministre, le 16 septembre 1880, que « la Bibliothèque de l’Académie prend une telle extension que les chambres attribuées à ce service au second étage n’offrent déjà plus d’emplacement. D’ici à l’année prochaine, il y aurait lieu d’examiner si d’autres parties du Palais ne pourraient être réservées pour les nombreux envois de livres que l’Académie reçoit journellement ». C’est dire l’accroissement des ouvrages lié à ce legs. Cependant, dans une lettre en date du 4 juin 1894, Charles Potvin constatait que depuis la réception du legs, le fonds d’ouvrages en sciences politique et sociale n’avait pas été accru comme le stipulait Édouard Ducpetiaux dans son testament.

La valeur qu’Édouard Ducpetiaux attribuait à sa bibliothèque n’est pas exagérée. Tous les domaines cités dans son testament sont documentés dans le millier d’ouvrages qui la compose. Intéressé très tôt par la réforme de la justice, il a rassemblé les ouvrages de tous les précurseurs qui protestèrent contre l’abus du système répressif encore en application dans la première moitié du XIXe siècle et qui proposèrent des réformes : Beccaria, le premier, dans son ouvrage : Dei delitti e delle pene (édition de 1780) ; le vicomte Vilain XIIII, avec son Mémoire sur les moyens de corriger les malfaiteurs fainéans à leur propre avantage et de les rendre utiles à l’État (1775) ; John Howard qui, dans État des prisons, des hôpitaux et des maisons de force (trad. de l’anglais, Paris, 1788), propose des modifications à appliquer aux prisons afin qu’elles soient un lieu de sûreté où les inculpés attendent d’être jugés et où les condamnés subissent la peine qui leur a été infligée, où il y ait autant de cellules que de criminels, où les femmes soient séparées des hommes et les jeunes des vieux criminels et des délinquants endurcis. Édouard Ducpetiaux était également en possession d’autres ouvrages sur la réforme qui s’amorçait en Angleterre, en Suisse, aux États-Unis, en France avec Charles Lucas. Parlant le français, l’anglais et l’allemand, il était en contact avec des réformateurs de toute l’Europe occidentale et des États-Unis et effectua des voyages d’étude à l’étranger, en France dès 1828, en Allemagne et en Suisse en 1832, en Angleterre en 1835.

Devenu inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance, Édouard Ducpetiaux publia des rapports sur le système pénitentiaire en Belgique et des ouvrages sur la réforme qu’il initia. Il continua à rassembler de la documentation sur les prisons européennes et américaines, en particulier grâce à sa participation aux Congrès pénitentiaires. On trouve dans ce fonds les plans des nouvelles prisons construites selon les idées réformatrices : la prison cellulaire de Bruchsal (Grand-Duché de Bade), celles de Pentonville en Angleterre, de Louvain en Belgique, de Genève entre autres.
Sa bibliothèque comporte également une riche documentation sur les colonies agricoles (en France, la colonie de Mettray, fondée en 1839, imitée dans les principaux pays européens, par exemple), le patronage des libérés, la question de la peine de mort et les statistiques judiciaires.

Au total, environ 180 000 pages et des dizaines de plans couvrent de manière exhaustive les prisons et la politique pénitentiaire en Europe et aux Etats-Unis au milieu du xixe siècle, une époque capitale dans l’évolution des politiques pénitentiaires.

En contact au cours de ses études, à l’Université de Liège en particulier, avec les idées du mouvement socialiste utopique, Édouard Ducpetiaux possédait, dans sa bibliothèque, les œuvres complètes de Charles Fourier, de nombreuses brochures sur la doctrine de Saint-Simon, sur l’École sociétaire, des ouvrages sur le chartisme, mouvement réformiste anglais d’émancipation ouvrière et des écrits ou discours de Robert Owen, théoricien socialiste britannique.

L’éducation était un autre sujet d’intérêt pour Édouard Ducpetiaux et de nombreux livres ou fascicules traitent des crèches qui apparurent en France, en Belgique, en Allemagne peu avant le milieu du xixe siècle, des écoles maternelles, connues également sous le nom de salles d’asile, des méthodes d’éducation originales comme les écoles lancastriennes, la méthode enseignée par Pestalozzi ou l’enseignement mutuel, des écoles normales pour les instituteurs qui commencent à se développer en Europe, de l’enseignement spécifique destiné aux sourds-muets et aux aveugles, dont il s’occupait en tant qu’inspecteur des institutions de bienfaisance. De nombreux documents concernent l’Université libre de Bruxelles qu’il a défendue depuis sa fondation en 1834 et l’éducation des adultes (éducation musicale, bibliothèques et sociétés de lecture, suisses essentiellement, musées et plus particulièrement musées d’économie domestique).

Édouard Ducpetiaux, dans le cadre de ses fonctions d’inspecteur général des établissements de bienfaisance, s’occupa de la réforme des maisons d’aliénés et des hôpitaux. Dès 1832, il proposa une réforme des maisons d’aliénés, après avoir établi un état de la question en Belgique : De l’état des aliénés en Belgique, et des moyens d’améliorer leur sort ; extrait d’un rapport adressé au Ministre de l’Intérieur, suivi d’un Projet de loi relatif au traitement et à la séquestration des aliénés (Bruxelles, 1832). De nombreuses brochures concernent en outre la colonie d’aliénés de Gheel, en Campine, où était tenté un traitement original, les fous étant logés chez les habitants et laissés en liberté une partie de la journée.

Convaincu de l’importance des associations ouvrières d’entraide pour l’amélioration de la condition des classes laborieuses, nombre de documents en sa possession concernent les sociétés de secours mutuels (des ouvriers typographes, des ouvriers de la Vieille Montagne, …), les caisses de prévoyance (des instituteurs par exemple), les caisses d’épargne, les caisses de retraite, les sociétés de crédit collectif, les monts-de-piété, les associations d’ouvriers, de comptables du commerce et de l’industrie…

Signe évident de l’attention et du soin qu’Édouard Ducpetiaux portait à sa bibliothèque, la plupart des ouvrages sont reliés : plats cartonnés, plats et doublures en papier marbré au petit peigne, dos en cuir, portant le nom d’auteur et le titre, ou le thème du volume, estampés en lettres dorées.

Claire Pascaud
Bibliothécaire de l’Académie royale de Belgique

JUSTE T., « Notice sur Édouard Ducpetiaux, membre de l’Académie », in Annuaire de l’Académie royale de Belgique, 37e année, Bruxelles, 1871, p. 197-256.
Notice en ligne : cliquez ici.

AUBERT R., « Ducpétiaux (Antoine-Édouard) », in Biographie nationale, Bruxelles, Académie royale de Belgique, t. XXXII, 1964, col. 154-176 (avec références biographiques).
Notice en ligne : cliquez ici.

RUBBENS E., Édouard Ducpétiaux (1804-1868), Louvain, 1922-1934, 2 t., 287-218 p.

VANHULLE B., « Dreaming about the prison: Édouard Ducpétiaux and Prison Reform in Belgium (1830-1848) », in Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, vol. 14, n°2, 2010, p. 107-130.

Claire Pascaud
Bibliothécaire de l’Académie royale de Belgique

Édouard Antoine Ducpétiaux

Édouard Ducpetiaux est né à Bruxelles, le 29 juin 1804, dans une famille aisée de la bourgeoisie. Durant ses études, à Bruxelles, Paris, et dans les universités de Liège et de Gand, il fut influencé par les idées de Lamennais et par les socialistes utopiques.

En 1827, il publia De la peine de mort (Bruxelles, 1827). Édouard Ducpetiaux s’inscrivait dans un large mouvement en faveur de la transformation du système pénal, l’abolition de la peine de mort étant un des éléments de la réforme d’un système répressif en un système pénitentiaire. Édouard Ducpetiaux fut accusé de faux, contrefaçon, escroquerie et calomnie, et finalement acquitté, pour son ouvrage : Apologie de la peine de mort par M. C. Asser,… (Bruxelles, 1828), dans lequel il réfutait les arguments de M. Asser en faveur du maintien de la peine capitale.

Collaborateur au libéral Courier des Pays-Bas, Édouard Ducpetiaux publia un article vigoureux pour dénoncer l’expulsion de deux journalistes français, et fut condamné à un an de prison. Libéré le 27 janvier 1830, il joua un rôle important lors des journées révolutionnaires mais son écartement de la commission chargée de préparer la Constituante et son échec à l’élection au Congrès national marquèrent la fin de sa vie politique active, même s’il continua à s’y intéresser. Le 29 novembre 1830, Édouard Ducpetiaux fut nommé, par le gouvernement provisoire, Inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance. En raison de ses articles sur la peine de mort, il était alors considéré comme l’un des hommes les plus compétents pour mener la réforme pénitentiaire. Doué d’une grande capacité de travail, d’un grand sens pratique et d’une mémoire étonnante, il se révéla un excellent administrateur. Outre les prisons civiles et militaires, Édouard Ducpetiaux avait sous son autorité les maisons de détention et de réclusion de force, les hôpitaux, les établissements de bienfaisance, les dépôts de mendicité et les colonies agricoles.

Édouard Ducpetiaux fut également l’un des promoteurs des congrès internationaux de bienfaisance. Ayant montré ses compétences lors de l’organisation du IIe congrès pénitentiaire international de Bruxelles en 1847, il fut sollicité pour organiser le premier congrès international de bienfaisance à Bruxelles en 1856. Ce fut un succès, dû à ses compétences d’organisateur, aux nombreuses relations qu’il avait su nouer, à un travail incessant. Il fut de nouveau secrétaire du congrès qui se tint l’année suivante à Francfort et s’occupa également du congrès à Londres en 1862. Dans le domaine social, il ne fut ni un doctrinaire, ni un révolutionnaire, mais il a travaillé inlassablement au relèvement matériel et moral des classes laborieuses.

Durant les dernières années de sa vie, Édouard Ducpetiaux intervint plus sur le plan politique. Il se rattachait depuis sa jeunesse à la fraction unioniste du parti libéral. Revenu à la foi catholique, il se heurta à la branche anticléricale de ce parti. La rupture fit suite à la publication, en 1858, de son mémoire : La question de la charité et des associations religieuses en Belgique, dans lequel il prônait la nécessité de l’alliance de la charité privée et de l’assistance publique. Pour s’assurer plus de liberté d’action, Édouard Ducpetiaux obtint, en 1861, démission honorable de ses fonctions d’Inspecteur général des établissements de bienfaisance et des prisons. Après avoir assisté en septembre 1862, au congrès annuel des catholiques allemands, il se consacra à l’organisation d’un congrès international catholique en Belgique dans le but de rassembler les catholiques pour défendre dans tous les domaines leurs intérêts communs. Le premier congrès se tint à Bruxelles du 18 au 22 août 1863 et fut un immense succès, grâce aux brillants conférenciers qu’il avait pu persuader de participer. Il contribua à donner à ces congrès une orientation catholique libérale. Malade, il épuisa ses forces dans la préparation du IIIe congrès de Malines qui se tint en septembre 1867 et il mourut à Bruxelles le 21 juillet 1868.

Claire Pascaud
Bibliothécaire de l’Académie royale de Belgique

Lettre

Support : feuille de papier, 1 pli

Hauteur : 212 mm
Largeur : 273 mm

Cote : 3189

 

Portrait

Portrait gravé par Joseph Demannez avec un fac-similé de la signature d’Édouard Ducpétiaux paru dans l’Annuaire de l’Académie royale des Sciences, des Lettres, et des Beaux-Arts de Belgique, 1871, entre les pages 196 et 197.