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Lettre à Joseph Servan de Gerbey, 25 août 1792

Je vous remercie, mon cher Collegue, de la communication que vous me faites. Il est certain que l’apposition des scellés sur le dépôt des affaires étrangères à Versailles, peut mettre quelque interruption dans le service de mes bureaux. Cependant comme ce service n’est pas habituel, si vous jugez qu’il importe à la chose publique d’y laisser les scellés, je serai loin de m’y opposer. On pourra toujours dans un besoin urgent en obtenir sa levée. Au reste je m’en refere à votre prudence et surtout à votre patriotisme éclairé. Le salut du peuple doit être notre première regle.

Le ministre des affaires étrangeres
LeBrun

Ce 25 à 8h. 

[Apostille en haut à gauche, dans une écriture autre que celle de Lebrun :]
LeBrun

La datation de ce document ne pose guère de problèmes puisque les scellés du dépôt des archives du Ministère des Affaires étrangères furent levés peu de temps après l’investiture de Lebrun en tant que Ministre des Affaires étrangères, soit le 13 septembre 1792. La Lettre de Lebrun date donc du 25 août 1792 et rejoint le contenu d’une de ses lettres au Conseil général de Versailles du 27 août dans laquelle il prétendait ne désapprouver en rien la mise sous scellés du dépôt des Affaires étrangères, à condition toutefois de les faire lever si l’on avait besoin de quelques documents. Les scellés avaient été posés le 17 août suite à la journée révolutionnaire du 10 août 1792 où le peuple prit le Palais des Tuileries, siège du pouvoir exécutif. La nouvelle de cette journée ne pouvait laisser indifférent le Conseil général de Versailles qui, entre autres mesures, décida d’apposer les scellés sur le dépôt susdit1. Il est plus compliqué par contre d’identifier le destinataire de ce courrier. Toutefois, nous pensons qu’il s’agit sans doute d’un autre ministre, vu l’utilisation de l’expression « mon cher collègue », et plus précisément du ministre de la Guerre, Joseph Servan. Les Hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères de Versailles, érigés entre 1759 et 1763, étaient en effet des hôtels jumeaux2. En outre, les scellés avaient été posés en même temps sur les deux hôtels ; rien d’étonnant donc que les ministres de la Guerre et des Affaires étrangères se soient concertés à ce sujet. La levée de ces scellés évoquée plus haut fut cependant le fait de Joseph Servan seul3. Selon nous, il existe aussi une autre hypothèse : on sait en effet que Pierre Lebrun avait travaillé au sein du Ministère des Affaires étrangères en tant que premier commis4. Dès lors, s’adressait-il à un ancien collègue du ministère ? Cette supposition nous semble malgré tout moins plausible. Il conviendrait certainement de confronter l’autographe mis en évidence ici avec d’autres correspondances du Ministère des Affaires étrangères pour nous prononcer définitivement.

Quoiqu’il en soit le propos de Lebrun est un peu étonnant : est-il si indifférent pour un ministre que son personnel n’ait pas accès aux archives du ministère ? Il est bien évident que non et il faut peut-être voir dans cette attitude l’indécision et le manque de caractère relevé par Suzanne Tassier en son temps, malgré, par ailleurs, toutes les qualités qu’elle reconnaissait volontiers à l’ancien journaliste5. Le contexte y était aussi pour quelque chose : le 10 août venait de se dérouler, les massacres de septembre allaient bientôt avoir lieu : plus que jamais, la prudence était de mise et il convenait sans doute de provoquer le moins de remous possibles et cela d’autant plus que Lebrun était l’objet depuis quelques temps déjà d’une campagne hostile de la part des Montagnards, Robespierre et Danton en particulier.

1 BASCHET A., Histoire du Dépôt des archives des affaires étrangères à Paris au Louvres en 1710 ; à Versailles en 1763 et de nouveau à Paris en divers endroits depuis 1796, Paris, Plon et Compagnie, 1875, p. 379, 380.
2 Voir à ce sujet : BAUDEZ B., MAISONNIER E., PÉNICAUT E. (dir.), Les Hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères à Versailles, Paris, Nicolas Chaudun, 2010, 279 p., ill.
3 BASCHET A., op. cit., p. 380, 381.
4 MASSON F., Le département des affaires étrangères, 1787-1804, Paris, p. 161-163.
5 TASSIER S., Histoire de la Belgique sous l’occupation française en 1792 et 1793, Bruxelles, Falk fils, Van Campenhout, 1934, p. 49.

BASCHET A., Histoire du Dépôt des archives des affaires étrangères à Paris au Louvres en 1710 ; à Versailles en 1763 et de nouveau à Paris en divers endroits depuis 1796, Paris, Plon et Compagnie, 1875, XXVIII-590 p.

BAUDEZ B., MAISONNIER E., PÉNICAUT E. (dir.), Les Hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères à Versailles, Paris, Nicolas Chaudun, 2010, 279 p., ill.

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Pierre Lebrun (dit Lebrun-Tondu)

Né à Noyon, baptisé le 27 août 1754, mort à Paris le 27 décembre 1793.

Pierre Lebrun-Tondu naquit dans une famille bourgeoise de Noyon. Grâce à une aide financière des chanoines de la ville, il mena des études au sein du collège de celle-ci et rejoignit ensuite le collège Louis-le-Grand, à Paris. Il devint clerc tonsuré et adopta à ce moment le nom de Lebrun. Montrant d’heureuses dispositions pour les mathématiques, il entra à l’Observatoire royal de Paris. Il renonça toutefois aux vœux définitifs pour rejoindre les rangs de l’armée qu’il quitta elle-même assez vite. Il s’installa dans la Principauté de Liège en 1781. Il entra alors dans l’imprimerie de Jean-Jacques Tutot où il occupa successivement les postes de prote puis de rédacteur pour le Journal Historique et politique et La feuille du jour.

En 1785, il fonda, en collaboration avec l’imprimeur J. Smits, le Journal général de l’Europe. Ils obtinrent tous deux la protection du gouvernement des Pays-Bas autrichiens mais s’abstinrent de toutes démarches envers celui de la Principauté de Liège, plus conservatrice. Il est vrai que le contenu du journal ne se limitait pas à l’énumération des nouvelles de l’étranger. Le lecteur avait affaire à ce que l’on nomme aujourd’hui un « journal engagé », dans la droite ligne des idées nouvelles du xviiie siècle. On y trouve en effet des convictions physiocratiques affirmées, des défenses répétées de la liberté du commerce, un attachement à la séparation des pouvoirs, etc. Le journal s’imprima dans un premier temps au sein de la Principauté. Ils jugèrent cependant plus prudent de gagner Herve en juillet 1786 suite à leurs attaques répétées contre les autorités liégeoises, dans un contexte d’agitations prérévolutionnaires. Herve faisait à l’époque partie du Duché de Limbourg et donc des Pays-Bas autrichiens : Lebrun et ses associés venaient donc y chercher la protection d’un gouvernement dont ils ne cessaient de louer la politique réformatrice. Ces autorités tiraient donc elles-mêmes grand bénéfice de cette protection et cela d’autant plus que le Journal général de l’Europe, rencontrant un vif succès, était diffusé en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Hollande, en France et, bien entendu, dans l’entièreté des Pays-Bas autrichiens. La défense des réformes de l’empereur dans nos régions valurent aux rédacteurs du journal l’animosité et les attaques des conservateurs en 1787, dans le contexte des premiers soulèvements des « patriotes ». Un décret du conseil souverain de Brabant, paru le 4 juin 1787, interdit la publication du journal, suivi le 27 juin d’un autre décret similaire émanant du Conseil du Hainaut. Lebrun alla plaider la cause de son journal avec succès : sa publication reprit en janvier 1788. Toutefois, par la suite, la politique de plus en plus autoritaire de l’empereur fut critiquée par le journal : le divorce fut consommé quand Lebrun, après avoir loué les débuts de la Révolution française et de la Révolution liégeoise, apporta son soutien aux patriotes belges. Il dut fuir les Pays-Bas fin 1789 et regagna la Principauté de Liège alors aux mains des révolutionnaires liégeois. Il y obtint la nationalité liégeoise et fut élu conseiller suppléants du Conseil général de la Ville de Liège tout en continuant la publication de son journal. La restauration du pouvoir épiscopal par les autrichiens en janvier entraîna sa fuite de Liège et lui fit gagner Paris. Il y continua la publication de son journal et fréquenta Brissot et surtout Dumouriez. Le 18 décembre 1791, on le vit à la tête d’une délégation de liégeois solliciter de l’Assemblée nationale l’autorisation de former une légion de réfugiés pour augmenter le nombre des défenseurs de la Nation française. Il rédigea également le Manifeste des Belges et Liégeois unis, imprimé en avril 1792.

Après la journée du 10 août 1792 qui marqua la chute de la royauté, Lebrun fut nommé Ministre des affaires étrangères au sein du Conseil exécutif provisoire, poste qu’il occupera jusqu’au 21 juin 1793. Après la victoire de Valmy du 20 septembre 1792, il songea à une paix immédiate avec la Prusse et mena des négociations secrètes en ce sens. Comme celles-ci échouèrent, il devint partisan de la guerre de conquête et par celle-ci, il entendait particulièrement l’annexion de la Belgique et des Pays-Bas. La première fut effectivement annexée un peu après la bataille de Jemappes du 6 novembre 1792 et Breda tomba le 1e février 1793. Dumouriez dut cependant se replier ensuite et évacuer la Belgique après la bataille de Neerwinden du 18 mars 1793. Instiguée par le clan girondin avec lequel Lebrun avait tissé des liaisons étroites, cette politique de conquête marquait donc le pas. Ses liaisons continues avec les Girondins lui occasionnèrent rapidement des ennuis : dès la fin de l’année 1792, il était dénoncé par les Montagnards, dont Danton et Robespierre. Plus tard, son nom fut ajouté à un décret de mise en accusation des 22 députés girondins daté du 2 juin 1793. Il fut malgré tout maintenu en fonction provisoirement. Il profita de cette parenthèse pour fuir. Il fut cependant arrêté à Paris le 2 nivôse an ii (22 décembre 1793) et traduit devant le Tribunal révolutionnaire 5 jours plus tard. Accusé de complicité avec les girondins et d’être responsable de la perte de la Belgique, il fut condamné à mort et exécuté le lendemain. Il avait rédigé lui-même sa défense qui fut publiée en l’an iv sous le titre des Mémoires historiques et justificatifs de mon ministère.

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