Lettre à Adolphe Quetelet, circa mars 1853
Monsieur
Je ne sais si c’est le soleil de mars - je ne sais si c’est la brusque variation de la température mais - tant il y a que je suis lit – et que pour vous écrire ces trois lignes la tête me tourne très fort.
Prenez moi donc en pitié Monsieur et agréez mes regrets bien sincères de ne pouvoir inaugurer avec vous le cercle artistique.
Veuillez je vous en supplie me dire à quel jour est fixé la seconde séance.
Veuillez agréer Monsieur l’assurance de mes sentiments distingués.
Alexandre Dumas
Lundi à midi.
[annotation au crayon]
À Adolphe Quetelet
Alexandre Dumas père honora notre pays de sa présence en 1838 et de 1851 à 1853[1]. En 1838, il ne fit qu’y passer. Une lettre de recommandation de Ferdinand, fils du roi des Français Louis-Philippe, lui permet de rencontrer le roi Léopold Ier, par ailleurs beau-frère du même Ferdinand. Il arriva à Bruxelles en août et rencontra le roi. L’entrevue fut cordiale et il assista avec le couple royal au jubilé de la ville de Malines, un spectacle qui l’impressionna vivement. Fils d’un soldat républicain qui maudissait Napoléon, il se rendit ensuite à Waterloo pour, entre autres choses, méditer sur ce lieu qui vit l’Empire s’effondrer. Avant de se rendre à Aix-La-Chapelle, il passa ensuite par Anvers (où il se délecta des nus brugeois), Gand, Bruges et, enfin, Liège[2].
Il reviendra en Belgique à la fin de l’année 1851, non pour un court séjour d’agrément comme en 1838 mais pour fuir ses créanciers. En effet, il avait été déclaré en faillite le 10 décembre et menacé de prise de corps : il n’eut d’autre choix que l’exil et, comme beaucoup de ses compatriotes dans la même situation, choisit notre pays pour destination, et sa capitale pour être tout à fait précis. Il choisit d’abord l’Hôtel de l’Europe, à l’angle de la Place royale tout en aménageant luxueusement une maison située au numéro 73 du boulevard de Waterloo. La pendaison de crémaillère du 7 avril 1852 fut rapportée par la presse bruxelloise[3]. Est-ce là que Quetelet fit la connaissance de l’écrivain français ? Possible mais rien ne nous permet de le prouver. Monsieur Jean-Jacques Droesbeke, biographe d’Adolphe Quetelet[4], nous a indiqué que ce dernier aimait inviter à souper les Français de passage à Bruxelles, spécialement les écrivains. Le dossier contenant la lettre ci-dessus ne nous indique rien de tel mais cela ne relève pas de l’impossible. Il est possible aussi qu’ils se soient rencontrés au sein du Cercle artistique et littéraire (ancêtre de l’actuel Cercle Gaulois) dont Adolphe Quetelet était justement le président depuis sa fondation le 23 novembre 1847[5]. On comprend que ce dernier aurait aimé voir l’inauguration de la section littéraire du cercle assurée par : « un des plus illustres représentants de la littérature française[6] ». Il n’en fut rien visiblement et la minute d’une lettre de Quetelet du 3 avril 1853 indique que l’auteur des Trois Mousquetaires ne fut guère assidu aux séances du Cercle artistique et littéraire dont il semble avoir fait partie[7]. Il quitta Bruxelles peu de temps après pour ne plus jamais y revenir.
[1] SAFA I., « Dumas ou la conscience européenne », dans LEDDA S. et SCHOPP C. (dir.), Alexandre Dumas, Paris, Éditions de l’Herne, 2020, p. 173.
[2] ZIMMERMANN D., Alexandre Dumas le Grand, Paris, Phébus, 2001, p. 366-368.
[3] SCHOPP C., Dictionnaire Dumas, Paris, CNRS, 2010, p. 73,74.
[4] À paraître dans les suppléments de la Nouvelle biographie nationale prochainement.
[5] Idem.
[6] Minute de la lettre d’Adolphe Quetelet invitant Dumas à l’inauguration de la section littéraire, Bruxelles, 11 mars 1853, Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 17986/915.
[7] Idem.
BIET C., BRIGHELLI J.-P. et RISPAIL J.-L., Alexandre Dumas ou les aventures d'un romancier, Paris, Gallimard, 1991, 208 p.(coll. Découvertes Gallimard/Littératures, n° 12).
FILLAIRE B., Alexandre Dumas, Auguste Maquet et Associés, Paris, Bartillat, 2009, 137 p. (nouvelle édition revue).
HAMEL R. et MÉTHÉ P., Dictionnaire Dumas, Index analytique et critique des personnages et des situations dans l'œuvre du romancier, Montréal, Éditions Guérin Littérature, 1990, LX-979 p.
LACOUTURE J., Alexandre Dumas à la conquête de Paris, Bruxelles, Éd. Complexe, 2005, 247 p.
LEDDA S., Alexandre Dumas, Paris, Gallimard, 2014, 350 p. (coll. Folio. Biographies, 117).
MAUROIS A., Les trois Dumas, Paris, Hachette, 1957, 503 p.
SCHOPP C. (éd.), Alexandre Dumas. Correspondance générale, Paris, Classiques Garnier, 4 tomes, 2014-2021 (coll. Correspondances et mémoires. Série Le Dix-neuvième siècle, 6).
SCHOPP C., Alexandre Dumas, le génie de la vie, Fayard, Paris, 1997, 622 p. (nouvelle édition revue et augmentée).
Schopp C., Dictionnaire Dumas, Paris, CNRS, 2010, 660 p.
ZIMMERMANN D., Alexandre Dumas le Grand, Paris, Phébus, 2001, 714 p. (nouvelle édition revue et augmentée).
Alexandre Dumas
Support : 1feuille pliée en deux
Hauteur : 212 mm
Largeur ; 272 mm
Cote : 17986/915
