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Lettre à Alfred-Auguste Cuvillier Fleury, 21 janvier 1841

A M. Cuvillier Fleury

Avant de vous envoyer ce remerciement, monsieur, j’ai voulu relire votre remarquable article. Ce que vous écrivez doit toujours être relu. Votre pensée est de celles qui appellent la méditation.
Je suis fier, monsieur, que mon esprit ait quelques points de contact avec le vôtre ; vous êtes un digne et consciencieux penseur. Nous différons encore d’avis sur quelques questions, mais je suis convaincu que le temps nous rapprochera tout à fait. Ce n’est pas seulement pour moi une conviction, c’est une espérance, car le jour où nos deux pensées adhéreront en tout et se comprendront avec une sympathie absolue, ce sera pour moi plus que de la joie, monsieur, ce sera du bonheur.
Vos éloges me touchent vivement. J’y sens votre cœur. J’y démêle une sorte de fraternité qui me charme. En effet, monsieur, nous aimons les mêmes choses, les mêmes titres et presque les mêmes hommes. Comment n’aurions-nous pas un jour les mêmes idées ? En attendant, permettez - moi de vous le dire, dans l’œuvre désintéressée en France que je tâche d’accomplir, c’est une joie pour moi que l’adhésion d’une âme noble et sérieuse comme la vôtre.
Recevez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma haute et affectueuse considération.

Victor Hugo.


28 janvier 1841.

[adresse au verso]
Monsieur Cuvillier - Fleury
Précepteur de M. le duc d’Aumale
Aux Tuileries

Cette lettre au ton aimable répondait certainement à un article de Cuvillier-Fleury inséré dans le Journal des débats du 4 janvier 18411 à l’occasion de la parution en 1840 d’un recueil de poèmes de Victor Hugo intitulé Les rayons et les ombres et reprenant des textes écrits après 1830.

Il est vrai que Cuvillier-Fleury ne tarit pas d’éloges au sujet des talents de l’auteur du recueil susdit. Il est étonnant toutefois que le journaliste du Journal des débats commence son article en louant : un « homme de lettres complétement étranger aux espérances et aux calculs de la vie publique » alors que, précisément, le recueil de Hugo débute par un texte intitulé Fonction du poète où l’auteur des Misérables se prononce clairement pour la participation du poète à la vie de la cité. Cuvillier-Fleury n’aurait-il lu que la première partie de la Fonction du poète, réservée à l’exposé du retrait hors du monde ? L’ennuyeux est que la seconde partie s’inscrit en faux contre ce dernier et est six fois plus longue que la première2… Comment pourrait-il en être autrement ? Victor Hugo, entre 1836 et 1840, s’inquiétait de ne jouer aucun rôle public et désirait que les choses changent3… Alors, pourquoi donc Hugo semble-t’il si satisfait de l’article d’un homme ne rendant pas le sens exact de ses textes ? Il est fort probable que les passages relatifs à l’indispensable élévation d’Hugo au rang des immortels de l’Académie française4 soient à l’origine de cet enthousiasme. Quoique de culture classique, Cuvillier Fleury déclare en effet que le style du poète doit être représenté au Quai Conti, au même titre que les autres. Il lui conseillait également de s’abstenir de changer d’une quelconque manière5. Cet appui en provenance d’un journal influent à trois jours de son élection à l’Académie6 a sans doute donné beaucoup de satisfaction à Victor Hugo. Depuis 1836 en effet, il s’était dépensé sans compter pour devenir académicien et avait essuyé pas moins de quatre échecs7. Comme décrit plus haut, Hugo désirait en effet participer à la vie publique et son modèle était Chateaubriand, qui fut pair de France, ambassadeur et ministre des affaires étrangères. Cependant, pour obtenir la pairie sous le règne de Louis-Philippe, il fallait impérativement être académicien8.

Qu’importe donc les différences relevées par Hugo dans sa missive. Il était sans doute très satisfait de cet appui et cela d’autant plus qu’il était l’objet d’une haine tenace de la part d’une partie de la presse qui le poursuivait sans relâche du fait de son statut quasi prophétique9. Cuvillier-Fleury et Hugo ont-ils fini par partager les mêmes idées comme semble l’espérer le second à la fin de sa lettre ? Pas vraiment : les évènements politiques postérieurs à 1848 les sépareront bien davantage encore que les questions artistiques de 1841. On trouve en effet un long portrait à charge de l’écrivain des Misérables dans les Portraits politiques et révolutionnaires de Cuvillier-Fleury10, une compilation de textes de cet auteur parue en 1852. Publié dans un premier temps en juin 185011, ce réquisitoire dénonce la rupture de Victor Hugo avec la droite au tournant des années 1849 et 185012. Selon le journaliste, Hugo sombrait ainsi dans la « démagogie » et le socialisme, conséquence logique de sa fidélité au romantisme13. Mieux même, en plus d’être le premier romantique, Hugo fut le premier des socialistes : la lecture des œuvres antérieures à 1848 plaide selon lui pour cette hypothèse14. Toutefois, quoique déplorant cet état de fait à de maintes reprises, Cuvillier-Fleury reconnaît toujours le talent de Hugo15 mais le met en garde contre un risque de décadence, suite inévitable à ses yeux en raison du côté malsain de la « démagogie »16.


1 Journal des débats politiques et littéraires, 4 janvier 1841, p. 3.

2 HOVASSE J.M., Victor Hugo, Avant l'exil : 1802-1851, Paris, Fayard, 2001, p. 741-743.

3 MAUROIS A., Olympio ou la Vie de Victor Hugo, Paris, Librairie Hachette, 1985, p. 289.

4 « Il devrait suffire à un homme de lettres d’être illustre, pour entrer à l’Académie (…) Quand un écrivain donne d’une illustration incontestable frappe à sa porte, je le dis sans vouloir manquer de respect à l’Académie, la porte doit s’ouvrir à deux battans, comme dans je ne sais plus quel conte des Mille et Une Nuits, où une parole magique fait tomber verroux et serrures devant les pas du héros », in Journal des débats politiques et littéraires, op. cit., p.3.

5 « Toutes les illustrations littéraires sont sœurs. Elles peuvent se détester, mais elles doivent vivre ensemble. L’Académie est leur mère commune », in idem.

6 Nous n’avons pu déterminer cependant si cet appui eut une quelconque influence.

7 HOVASSE J.M., Victor Hugo, Avant l'exil&nbsp: 1802-1851 (…), op. cit, p. 811.

8 MAUROIS A., Olympio ou la Vie de Victor Hugo, op. cit., p. 259, 260.

9 HOVASSE J.M., Victor Hugo, Avant l'exil  1802-1851 (…), op. cit, p. 744.

10 CUVILLIER-FLEURY, Portraits politiques et révolutionnaires, Deuxième édition, Paris, Michel Lévy Frères, 1852, t. II, p. 20-41.

11 Ibidem, p. 20.

12 Voyez à ce sujet : HOVASSE J.M., Victor Hugo, Avant l'exil : 1802-1851 (…), op. cit, p. 1034-1097.

13 CUVILLIER-FLEURY, Portraits politiques et révolutionnaires, op. cit., p. 23.

14 Ibidem, p. 27.

15 Ibidem, p. 34, 39.

16 Ibidem, p. 39, 40.

Œuvres complètes de Victor Hugo.

SEEBACHER J., ROSA G. (dir.), Œuvres complètes de Victor Hugo, Paris, Robert Laffont, 1985, 15 vol.

Ouvrages relatifs à Victor Hugo.

DECAUX A., Victor Hugo, Paris, Éditions France-Empire, 2001, 1036 p.

FREY J.A., LASTER A., A Victor Hugo encyclopedia, Westport, Greenwood Press, 1998, XXII-305 p.

GALLO M., Victor Hugo, XO éditions, 2001, 2 t., 493-509 p.

GASIGLIA-LASTER D., Victor Hugo, celui qui pense à autre chose, Portaparole, Rome, 2006, 94 p. (coll. Petites biographies).

GOHIN Y., Victor Hugo, Paris, Presses universitaires de France, 1987, 125 p. (coll. Que Sais-je ?).

GUILLEMIN H., Victor Hugo par lui-même, Paris, Édition du Seuil, 1962, 191 p. (coll. Ecrivains de toujours).

HOVASSE J.M., Victor Hugo, Avant l'exil : 1802-1851, Paris, Fayard, 2001, 1366 p.

HOVASSE J.M., Victor Hugo, Pendant l'exil : 1851-1864, Paris, Fayard, 2008, 1285 p.

LASTER A Victor Hugo, Éditions Belfond, 1984, 191 p.

LAURENT F., Victor Hugo : espace et politique (jusqu'à l'exil : 1823-1852), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 282 p. (Coll. Interférences).

MAUROIS A., Olympio ou la Vie de Victor Hugo, Paris, Librairie Hachette, 1985, 569 p.

PREVOST M.L., Victor Hugo, l'homme-océan [exposition présentée à Paris, par la Bibliothèque nationale de France dans la grande galerie du site François-Mitterand, du 20 mars au 23 juin 2002], Paris, Bibliothèque nationale de France, Seuil, 2002, 368 p. (http://expositions.bnf.fr/hugo/index.htm)

ROSA A., Victor Hugo, l'éclat d'un siècle, Éditions Messidor, 1985, 219 p. [lire en ligne].

STEIN M., Victor Hugo, Paris, Le Cavalier bleu, 2007, 127 p.

TROUSSON R., Le Tison et le flambeau. Victor Hugo devant Voltaire et Rousseau, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1985, 281 p.

VAN TIEGHEM P., Dictionnaire de Victo Hugo, Paris, Librairie Larousse, 1970, 255 p. (coll. Les dictionnaires de l’homme du XXe siècle).

Il existe nombre d’ouvrages consacrés à Victor Hugo et la Belgique. Voici quelques références :

CAMBY J., Victor Hugo en Belgique, Paris, Librairie E. Droz, 1935, 126 p.

CHARLIER G., LIEBRECHT H., VIVIER R., « Victor Hugo et la Belgique. Exposés présentés à la séance publique annuelle du 25 octobre 1952 », in Bulletin de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Bruxelles, 1952, p. 176-215 (Contributions de Gustave Charlier, Henri Liebrecht et Robert Vivier).

Les éditeurs belges de Victor Hugo et le banquet des " Misérables " Bruxelles 1862 [ Exposition, organisée par l'Université Libre de Bruxelles, avec la collaboration du Crédit Communal, au Musée Wellington à Waterloo du 18 avril au 11 mai 1986 ], Bruxelles, Crédit Communal de Belgique, 1986, 94 p., ill.°

GOFFIN M.-L., La Belgique vue par Victor Hugo, Bruxelles, office de publicité, 1945, 79 p.

HOVASSE J.M. (éd.), Bruxelles & Victor Hugo. Écrits et correspondance, Bruxelles, Le Cri édition, 1994, 32 p.

HOVASSE J.M., Victor Hugo chez les belges, Bruxelles, Le Cri édition, 1994, 143 p.

Victor Hugo. Bruxelles et la Belgique. Exposition, salle ovigale de l'Hôtel de Ville du 22 mars au 28 avril 1985, en commémoration du centenaire de la mort de l'illustre poète.
[ organisée par Comité belge Victor Hugo, avec le Crédit Communal ], Bruxelles, Crédit Communal de Belgique, 1985, 104 p.


Cuvillier-Fleury Alfred-Auguste

BIRE E., Portraits littéraires, Lyon, E. Vitte et Perrussel, 1888, p. 309-356.

Notice de l’Académie française disponible ici.

 

Victor Hugo

Né à Besançon 26 février 1802, décédé à Paris le 22 mai 1885. Victor Hugo était l’enfant d’une mère royaliste et d’un père républicain. Pour cette raison et bien d’autres encore, le couple connut quantité de heurts qui ne furent pas sans influencer le jeune Victor. L’influence de sa mère fut cependant prépondérante : il se distingua rapidement par des opinions royalistes bien affirmées. Sa génitrice lui permit cependant de lire ce qu’il désirait, ne jugeant aucun livre dangereux, même ceux des philosophes du XVIIIe siècle.

Après le cycle de « grammaire » puis celui des « humanités » et enfin la classe de « rhétorique », il rejoint le collège Louis-le-Grand où il s’attela à l’étude des mathématiques. Il se mit à versifier précocement et se fit remarquer en participant en 1817 à un concours annuel de poésie de l’Académie française. Le Secrétaire perpétuel de l’époque ne manqua pas louer les talents précoces du jeune Hugo. Dès lors, ce dernier n’eut plus pour ambition qu’une carrière littéraire. Il se fit remarquer par la famille royale qui le rétribua à plusieurs reprises pour diverses pièces de circonstance.

Son premier roman, Han d’Islande, parut en 1823 et fut accueilli avec circonspection par la critique. Cela n’entama en rien sa créativité et, dès lors, les œuvres se succédèrent : Cromwell (1827), Les Orientales (1829), Dernier jour d’un condamné (1829), Notre Dame de Paris (1831), etc. Il commençait à être connu et acquit une certaine aisance matérielle qui ne fut pas démentie par la chute de Charles X, bien au contraire. Il comprit bien vite cependant que la nouvelle monarchie de Louis-Philippe ne pourrait se maintenir, conscient des tensions sociales entre une bourgeoisie apeurée et un peuple de plus en plus porté à l’insurrection. Dès lors, la question sociale sera, si pas une obsession, du moins un de ses sujets de prédilection : il épouse la cause du peuple et entend que ce dernier soit éclairé, que les personnes d’origine populaire deviennent des citoyens à part entière. Le théâtre devint aussi à l’époque l’objet de toutes ses attentions : il fit jouer Marion Delorme (1831), Le Roi s’amuse (1832), Lucrèce Borgia (1833), etc.

Écrit en 1843, Les Burgraves, sonna l’arrêt momentané de l’écriture théâtrale de Hugo et jamais plus il ne vit ses œuvres jouées de son vivant. Entretemps, il avait rejoint les rangs de l’Académie française en janvier 1841, après plusieurs essais infructueux. Le chemin des honneurs continua ensuite puisqu’il devint membre de la Chambre des Pairs en avril 1845. Peu après, il commença la rédaction des Misérables, un travail de longue haleine qui ne connut son terme qu’en 1862. La révolution de 1848 avait en effet interrompu son œuvre et la politique l’absorba presque entièrement jusqu’en 1851. Il participa au retour à l’ordre en 1848 et se présenta aux élections pour la constituante : il fut élu en juin. En mai 1849, il rejoignit l’Assemblée législative mais s’éloigna rapidement de la droite qu’il jugeait incapable d’envisager un quelconque progrès social. Parallèlement il se livrait à de violentes attaques contre l’Église catholique et ses visées sur l’enseignement mais, surtout, critiquait les ambitions du futur Napoléon III. C’est alors qu’il devint républicain, sans réserve aucune.

Lors du coup d’État de 1851, il tenta vainement de provoquer un soulèvement populaire et n’eut d’autre issue ensuite que de s’enfuir en Belgique en décembre. Commença alors un long exil qui ne prit fin qu’un peu moins de vingt ans plus tard. En Belgique, il fit publier en août 1852 Napoléon le petit, violent pamphlet contre le nouveau souverain français. Il continua ensuite son œuvre littéraire avec la parution des recueils de poèmes Les Châtiments (1853), Les Contemplations (1856) ou encore La Légende des siècles (1re série parue en 1859). Son œuvre romanesque prit également de l’ampleur avec la sortie des Misérables en 1862. Ce roman lui valut un grand succès mais il ne s’arrêta pas en si bon chemin puisqu’il rédigea en 1864 et en 1865 Les travailleurs de la mer avant de commencer Quatrevingt-treize, roman qu’il ne termina cependant qu’en 1874.

Son exil prit fin avec la disparition du second empire : il revint à Paris en septembre 1870 et y fut l’objet d’un accueil triomphal. Il participa à la défense de Paris assiégé et fut ensuite élu à l’Assemblée nationale en 1871. Il désapprouva vivement la répression de la Commune de Paris. Il se présenta alors aux élections de début 1872 mais échoua. Il devint sénateur en 1876 et, à la tête de l’extrême gauche de l’assemblée, défendit inlassablement l’amnistie des communards. Sa popularité était alors à son zénith : pour son quatre-vingtième anniversaire, il fut l’objet d’un hommage des corps constitués, de la population parisienne et de délégations tant de France que de l’étranger. En 1878 cependant, une congestion cérébrale diminua considérablement ses activités intellectuelles : tous les ouvrages postérieurs à cet événements avaient été préparés avant cet incident (La Légende des siècles, Les Quatres Vents de l’Esprit, Torquemada, etc.). La fin de sa vie ne fut qu’une succession de deuils : tous ses fils le précédèrent dans la mort, de même que sa maîtresse, Juliette Drouet.

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