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Lettre à Barthélemy Mercier de Saint-Léger, 18 mars 1766

Paris 18 mars 1766

Je vous recommande, Monsieur et cher ami, la personne qui vous remettra cette lettre et un prospectus. Ce dernier mérite, je crois, d’être annoncé avec avantage dans tous les journaux. Je vous serai bien obligé de lui donner une place honorable dans celui de Trévoux. Je vous embrasse de tout mon cœur
Fréron

[Apostille en haut à gauche, dans une écriture autre que celle de Fréron :]
a l’ab. mercier St Leger

L'analyse de ce document n’est guère aisée : le dossier contenant ce billet ne contient en effet ni le prospectus mentionné ni une quelconque indication sur le porteur de la missive. La consultation de la littérature consacrée à Fréron ne fut pas plus fructueuse…
On peut y voir cependant la collaboration amicale entre Fréron et Mercier de Saint-Léger1, alors rédacteur du Journal de Trévoux ou Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts (…), périodique créé par les jésuites au début du XVIIIe siècle et qui était avec l’Année littéraire un des remparts de l’orthodoxie face au courant philosophique2. Cependant, le temps était loin où Fréron pouvait mener une offensive généralisée contre les philosophes et faire plier ceux-ci comme en 1757-1758 avec l’attentat de Damiens, la parution de De l’esprit d’Helvétius, etc3. En 1766, le rapport de force s’était inversé en faveur des philosophes et cette année vit le commencement de l’étouffement de la tradition par le parti philosophique : Diderot n’avait sans doute pas tort d’indiquer alors qu’ «Il pleut des bombes dans la maison du Seigneur »4 !


1 On trouve d’autres lettres de Fréron à Mercier De Saint Léger datées respectivement du 10 novembre et 4 décembre 1763 et du 21 avril 1765 dans un ouvrage de Jean Balcou (BALCOU J., Le dossier Fréron, Genève, Droz ; Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne, 1975, p. 320, 321, 330).
2 CORNOU F., Élie Fréron (1718-1776). Trente années de luttes contre Voltaire et les philosophes du XVIIIe siècle, Paris, Quimper, Librairie Champion, Le Goaziou, 1922, p. 358.
3 BALCOU J., « Fréron et Malesherbes », in BALCOU J., BARTHÉLEMY S., CARIOU A. (dir.), Élie Fréron. Polémiste et critique d’art, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p. 58.
4 BALCOU J., Fréron contre les philosophes, Genève, Droz, 1975, p. 297-298.

BALCOU J., Le dossier Fréron, Genève, Droz ; Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne, 1975, 422 p.

BALCOU J., « Fréron », in Dictionnaire des journalistes, supplément I, 1980, p. 81-84

BALCOU J., Fréron contre les philosophes, Genève, Droz, 1975, 493 p.

BALCOU J., BARTHÉLEMY S., CARIOU A. (dir.), Élie Fréron. Polémiste et critique d’art, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, 301 p. (Coll. Interférences).

BIARD-MILLÉRIOUX J., L’esthétique d’Élie Catherine Fréron 1739-1776. Littérature et critique au XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, 598 p. (Publications de l’Université de Poitiers. Lettres et sciences humaines, XX).

CORNOU F., Élie Fréron (1718-1776). Trente années de luttes contre Voltaire et les philosophes du XVIIIe siècle, Paris, Quimper, Librairie Champion, Le Goaziou, 1922, 477 p.

DE KERSTIVIEN P, « Fréron (Élie-Catherine) », in PREVOST M., ROMAN D’AMAT R., TRIBOUT DE MOREMBERT H. (dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, Librairie Letouzey et Ané, t. XIV, 1948, col. 1221-1222.

MONSELET C., Fréron, ou l’illustre critique. Sa vie, ses écrits, sa correspondance, sa famille, Paris, Pincebourde, 1864, III-139 p.

NISARD (C.), Les ennemis de Voltaire. L’Abbé Desfontaines, Fréron, La Beaumelle, Paris, Aymot, 1863, VIII-408 p.

VAN THIEGEM P., L’année littéraire comme intermédiaire en France des littératures étrangères, Paris, F. Rieder, 1917, 163 p.

Élie Catherine Fréron

Né à Quimper le 20 janvier 1718, décédé à Montrouge le 10 mars 1776. Élie Catherine Fréron1 était le fils d’un maître-orfèvre et de Marie-Anne Le Campion, cousine éloignée de Malherbe. Il suivit les cours des jésuites à Quimper pour ensuite aller faire sa rhétorique au Collège Louis-Le-Grand en 1735 et commencer son noviciat. En avril 1739, il quitta la compagnie de Jésus. Il commença alors son apprentissage de la critique avec Desfontaines (grand adversaire de Voltaire) et Granet. Jusqu’en 1743, il offrit ses services aux Observations sur les écrits modernes, puis de 1744 à 1746 aux Jugements sur quelques ouvrages nouveaux. Il s’adonna également à la poésie et composa des odes comme par exemple Les conquêtes du roi (1744) ; La renommée (idem) ou encore La journée de Fontenoy en 1745. La même année, il lança son premier périodique, les Lettres de Mme la Comtesse de **** sur quelques écrits modernes. Dans celles-ci, il se livra à une critique acerbe des œuvres des philosophes comme Fontenelle ou Voltaire, ce qui lui valut bon nombre d’ennemis. Les philosophes n’étaient cependant pas ses seules cibles et il eut le tort de badiner au sujet de Madame de Pompadour : il goûta par conséquence aux joies de la détention à Vincennes de janvier à mars 1746. Il rentra à Paris en juin et y devint le collaborateur de Colbert d’Estouteville. Il prit part également à une édition des Contes de La Fontaine. En janvier 1749, il reçut l’autorisation de faire paraître les Lettres sur quelques écrits de ce temps, un périodique conçu avec l’abbé de La Porte. Il s’attaqua d’emblée à Marmontel et Voltaire. Ce dernier réussit à faire suspendre sa feuille et parvint à empêcher qu’il soit nommé correspondant littéraire du roi de Prusse. Les Lettres parurent à nouveau en 1750 avant d’être à nouveau interdite à deux reprises. Fréron obtint cependant la protection du roi Stanislas et fut reçu à l’Académie de Nancy en 1753. Quelques-uns de ses écrits furent réimprimés sous le titre de : Opuscules de M. F***. Il créa en 1754 L’année littéraire, périodique qui lui permit de vivre avec aisance et où il se livrait à une critique virulente des philosophes. Diderot, d’Alembert et Voltaire ripostèrent vigoureusement, surtout le dernier. Le sage de Ferney conçut par exemple une pièce de théâtre (le Café ou l'Écossaise, 1760) où Fréron était moqué sous le nom de Frelon et y était traité de faquin, de lâche coquin, de dogue et nous en passons. Voltaire fit connaître au public les difficultés financières de Fréron et le calomnia également dans ses Anecdotes sur Fréron ou dans une multitude d’autres pamphlets. En se dépensant autant dans la critique de son adversaire2, l’auteur de La Henriade (et avec lui le parti philosophique) reconnaissait indirectement son importance et ses qualités, même si l’on ne retint qu’une seule épigramme du résident de Ferney parmi toutes ces joutes littéraires3 à laquelle Fréron répondit du reste avec beaucoup d’esprit4.
Fréron se maria à deux reprises, la première fois en janvier 1750 avec sa nièce Thérèse Jacquette Guyomar avec qui il eut huit enfants dont Stanislas Fréron, journaliste également, conventionnel et surtout instigateur de la terrible répression de Toulon en décembre 1793. Elle rendit l’âme en 1762 : Fréron n’attendit que deux ans pour serrer à nouveau les nœuds de l’hymen avec Anne Royou, fille de l’un de ses cousins. Il dut supporter les calomnies de son beau-frère, soudoyé par Voltaire.
Il tomba malade en 1773 mais son état se dégrada vers la fin de 1775, au moment où il apprit la révocation du privilège de L’Année littéraire, en perte de vitesse depuis quelques années du fait de la mauvaise réputation de Fréron. Sa suppression le 10 mars 1776 lui assena le coup de grâce : il décéda le même jour.


1 Cette notice biographique est inspirée principalement par la notice de P. De Kerstivien, les ouvrages de Jean Balcou et celui de Charles Nisard (cf. orientation bibliographique).
2 Voltaire et Fréron se disputèrent près de 30 ans, avec une seule pause de 1754 à 1759 (BALCOU J., « Élie-Catherine Fréron (1718-1776) », in BALCOU J., BARTHÉLEMY S., CARIOU A. (dir.), Élie Fréron. Polémiste et critique d’art, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p. 18).
3 « L’autre jour au fond d’un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron ;
Que croyez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva »

4 « Il n’y a pas grand mal à cela, si Voltaire est le serpent. Il m’a tout l’air en effet de crever de rage, et un peu de mon venin » (BALCOU J., BARTHÉLEMY S., CARIOU A. (dir.), Élie Fréron (…), op. cit., p. 17).

Support : une feuille de papier

Hauteur : 167,5 mm
Largeur : 111 mm

Cote : 19346/1809