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Lettre à Rita Lejeune, 21 septembre 1933

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    1bis, rue Vaneau. VIIe
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Littré 57 - 19
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            21 septembre 1933.

                                                                                                     Chère Mademoiselle


Je retrouve sur ma table, en rentrant à Paris hier soir, la brochure que vous aviez eu la gentillesse de m’adresser et dont j’avais déjà pris connaissance à un précédent passage. Excusez le retard de cette lettre : j’étais brusquement reparti en voyage sans avoir pris note d’aucune adresse où pouvoir vous envoyer ce mot ; où pouvoir vous dire avec quel intérêt je vous avais lu, et avec quelle reconnaissance ! Après l’incompréhension, plus ou moins volontaire, du plus grand nombre des critiques, il m’était vraiment réconfortant de vous entendre parler ainsi de pièce « singulièrement riche de pensée », et de me sentir si profondément et complètement apprécié par vous. Du reste, dans tout ce que vous dites de la pièce de Sophocle également, vous faites preuve d’une sureté de jugement et d’une sagacité singulières.
Veuillez croire à ma sympathie bien attentive.
 

                                                                                                                                                          André Gide

Nous voyons ici un Gide particulièrement reconnaissant envers Rita Lejeune. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il répondait en effet à l’envoi d’un article traitant des interprétations de la légende d’Œdipe par quatre auteurs dont André Gide1 à qui Rita Lejeune tresse des lauriers : « La pièce de Gide est singulièrement riche de pensée. Elle laisse loin derrière elle la tragédie de Voltaire et, cela va sans dire, l’œuvre inconsistante de Corneille, qui apparaissent auprès d’elle comme des balbutiements. Seule, elle soutient la comparaison avec Œdipe-Roi de Sophocle par l’importance des thèmes abordés, par la force des caractères et par l’indépendance maîtresse avec laquelle son auteur a traité le sujet. (…) Un des mérites de Gide a été précisément d’avoir assimilé la matière antique relative à Œdipe (…) et d’avoir su admirablement en dégager les aspects susceptibles d’émouvoir les esprits modernes »2. En outre, cette œuvre donne « une interprétation nouvelle du personnage et du mythe d’Œdipe (…) [Gide] est parvenu à amalgamer, dans une même explication, symbolique, les deux éléments jusqu’ici indépendants de la légende grecque, la malédiction qui pèse sur Œdipe et sa réponse au Sphinx ». Certes, le texte de Rita Lejeune n’est pas exempt de reproches : elle souligne en effet « la désinvolture avec laquelle il fait s’exprimer un Créon ou un Ismène, désinvolture qui nuit au genre classique de son œuvre, parce qu’elle n’est pas contenue dans l’idée que nous nous faisons du classicisme » avant de préciser toutefois que « l’auteur met tant d’intelligence dans ces écarts de forme que leur fantaisie a une réelle valeur psychologique et qu’elle remplace, en définitive, toute une longue peinture de caractère »3.
On comprend la satisfaction d’André Gide face à ce qui ressemble fort à un dithyrambe. Il avait effectivement conçu Œdipe en 1929 et en 1930, non sans difficulté. Ce drame en partie autobiographique où la satire est omniprésente4, connut dans un premier temps un succès mitigé : on blâmait Gide d’avoir voulu rivaliser avec Sophocle. Il fallut attendre le troisième festival d’Avignon (1949) pour que le public et la critique, désormais familiarisés avec les procédés de démythologisation, saluent l’ironie de l’œuvre5.

1 « Quatre interprétations de la légende d’Œdipe : Sophocle, Corneille, Voltaire, André Gide », in Revue Franco-Belge, XIII, 1933, p. 223-236 et 362-384.
2 Ibidem, p. 381.
3 Ibidem, p. 383.
4 Satires de la religion catholique, de la famille, des prétentions littéraires et même de la démocratie
5 DEBARD C., « Œdipe », in MASSON P., WITTMANN J.M., Dictionnaire Gide, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 291, 292.

Monographies et notices relatives à André Gide

BEIGBEDER M., André Gide, Paris, Éditions universitaires, 1954, 127 p.

BILLARD P., André Gide et Marc Allégret, le roman secret, Plon, 2006, 322 p.

CAZNETRE T., Gide lecteur : la littérature au miroir de la lecture, Paris, Kimé, 2003, 404 p. (coll. Détours littéraires).

DESCHODT E., Gide, le « contemporain capital », Paris, Perrin, 1991, 335 p.

FONVIEILLE-ALQUIER F., André Gide, Paris, Éditions Pierre Charron, 1972, 135 p. (Coll. Les Géants).

HUBERT E., « Gide (André-Paul-Guillaume) », in PREVOST M., ROMAN D’AMAT R., TRIBOUT DE MOREMBERT H. (dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, Librairie Letouzey et Ané, t. XV, 1982, col. 1473-1478.

LAMBERT J, Gide familier, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2000, 210 p.

LEPAPE P., André Gide le messager, Paris, Éditions du Seuil, 1997, 511 p.

MARTIN C., André Gide ou la vocation du bonheur, t.1, 1869-1911, Paris, Fayard, 1998, 699 p.

MASSON P., WITTMANN J.M., Dictionnaire Gide, Paris, Classiques Garnier, 2011, 457 p. (Coll. Dictionnaires et synthèses).

PAINTER G., André Gide, Mercure de France, 1968, 225 p. (traduit de l’anglais par A. Barker)

PERRIER J.-C., André Gide ou la tentation nomade, Paris, Flammarion, 2011, 191 p.

REID V., André Gide and curiosity, Amsterdam, New York, Rodopi, 2009, 316 p. (coll. Faux titre).

THIERRY J.-J., André Gide, Paris, Hachette, 1986, 210 p.

VAN TUYL J., André Gide and the Second World War, New York, State University of New York Presse, 2006, XII-256 p.

WALKER D. (éd.), André Gide, London and New York, Longman, 1996, VIII-239 p.

Sources éditées

MARTIN C. (éd.), Correspondance d'André Gide avec sa mère, Paris, Gallimard, 1988, 775 p.

Pierre Lachasse, éd., Correspondance Gide Jaloux 1896-1950, Presses universitaires de Lyon, 2004

MARTIN C. (éd.), Correspondance André Gide, François-Paul Alibert, 1907-1950, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1982, XXXIX-522 p.

MARTIN C., MARTIN SCHMETS V. (éd.), Correspondance André Gide, André Ruyters, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985, 2 vol., LVIII-384, 414 p

MASSON P., MILLOT-NAKACH G., Correspondance André Gide, Jean Malaquais 1935-1950 : Précédée de Historique de ma rencontre avec Gide : et suivi de André Gide : notes et notules au fil de la plume par Jean Malaquais, Paris, Phébus, 2000, (coll. D’aujourd’hui).

NIEDERAUER D.J., FRANKLYN H. (éd.), Correspondance Gide Régnier, Presses universitaires de Lyon, 1997, 291 p.

WALKER D. H. (éd.), Correspondance Gide Rouart, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2006, 2 vol., 630, 616 p.

Revues

Cahiers André Gide
, publiés par les Éditions Gallimard depuis 1969. Ces Cahiers contiennent plusieurs correspondances éditées d’André Gide.

 

André Gide

  Né à Paris le 22 novembre 1869, décédé à Paris le 19 février 1951 André Gide naquit dans un milieu aussi aisé que cultivé1. Il apprit très jeune le piano et entra en 1877 à l’École alsacienne. Son parcours scolaire fut quelque peu chaotique, émaillé par un renvoi, la maladie, des voyages ou encore des séjours dans le Midi, en Normandie ou encore en pensionnat. La mort prématuré de son père en octobre 1780 le livra à sa mère dont la moralité rigide le disputait à un caractère très possessif. Dès cette époque, il se lia d’une amitié profonde pour une de ses cousines, Madeleine Rondeaux. Plus tard, en 1888, il devint l’ami de Pierre Louÿs et d’autres jeunes gens, tous passionnés de poésie et de littérature. Ils fondèrent une revue intitulée Potache Revue où ils éditèrent leurs œuvres. Il obtint sans éclat son baccalauréat mais l’essentiel n’était pas là, la fortune de sa mère le dispensant de choisir une carrière. Il laissa donc libre cours à sa vocation littéraire. Son amour pour sa cousine Madeleine lui inspira Les cahiers d’André Walter, paru en 1891 à compte d’auteur. Cependant, il envoya un exemplaire de son roman à Maurice Barrès qui l’accueillit favorablement. Gide fut introduit chez Mallarmé par Barrès et y rencontra les symbolistes. C’est également à cette époque qu’il fit la connaissance de Valéry.
En 1892, il est réformé de l’armée. Il continuait à écrire et fit paraître par exemple les Poésies d’André Walter (1892), le Voyage d’Urien (1893), etc. Il se rendit en Tunisie en 1893 avec son ami Paul-Albert Laurens. Ils y connurent leurs premières relations sexuelles, notamment avec une prostituée. Il y contracta également une affection pulmonaire et se soigna ensuite pendant plusieurs mois en Suisse. Rétabli, il retourna en Afrique du Nord en 1895 et y rencontra pour la deuxième fois Oscar Wilde qui lui fit prendre conscience des tendances réelles de sa sexualité. Sa mère mourut la même année. Aussi triste que soulagé, il se maria alors avec sa cousine Madeleine bien que le mariage ne fut jamais consommé. Au même moment, il collaborait à la revue L’ermitage, première ébauche de la future Nouvelle revue française. Parallèlement, sa plume toujours féconde lui fit concevoir (entre autres) Les nourritures terrestres, à l’origine de la réaction du XXe siècle contre la morale du XIXe. Il était alors en relation avec tous les écrivains et les artistes les plus importants de son temps dont Théo Van Rysselberghe, un peintre et sculpteur belge qui demeura un ami toute sa vie durant. Il se consacra ensuite au théâtre et écrivit à cet effet Saül (1898), Philoctète (1899), etc. Le succès de ces pièces fut néanmoins mitigé et Gide traversa dès lors une période de découragement. Il se ressaisit et écrivit d’autres livres dont La porte étroite, récit en grande partie autobiographique qui lui permit d’obtenir un grand succès. Cette œuvre parut dans la Nouvelle revue française que Gide avait fondée avec plusieurs amis et dirigeait pratiquement. Grâce à cette publication capitale pour l’histoire littéraire française de cette époque, il fit connaître plusieurs futurs écrivains de renom, tant français qu’étrangers. Il y publia également Les Caves du Vatican (janvier-mars 1914).
Au début de la première guerre mondiale, il s’occupa activement du Foyer Franco-belge qui accueillait des réfugiés. Ses relations avec sa femme se détériorèrent suite à la découverte par celle-ci de lettres au contenu scabreux conçues par un amant de son mari. Ils ne se séparèrent cependant pas et, désormais, Gide vécut sa vie sans aucune dissimulation. Après la guerre il fit paraître la Symphonie pastorale (1919) et surtout Corydon (1920) où il fait part de ses idées quant à la sexualité. Si l’auteur considérait cet ouvrage comme le plus important de ses livres, il n’en fit pas moins scandale, comme avec Si le grain se meurt (1924) où Gide y dévoilait ses mémoires. Un an plus tôt, Élisabeth Van Rysselberghe (fille de Théo Van Rysselberghe) lui donna une fille, Catherine. Durant les années suivantes, Gide fit preuve d’une grande activité et l’on vit successivement sortir des presses : Dostoïevzky (1923), Les faux monnayeurs (1925), Le journal des faux monnayeurs (1926), Voyage au Congo (1927), Retour du Tchad (1928), etc.
Dès le début des années 30, il avait commencé à s’intéresser à l’U.R.S.S. Par conséquent, il se rapprocha des écrivains de gauche, prononça des discours au Palais de la Mutualité et collabora à la revue Commune. Il se rendit en Union soviétique en 1936 et prononça un discours sur la Place rouge de Moscou à l’occasion des obsèques de Gorki. Toutefois, malgré l’accueil chaleureux des soviétiques, il rentra très déçu et conçut Retour d’URSS. La parenthèse communiste de son existence se renfermait : un individualiste comme lui pouvait du reste s’accommoder très difficilement des exigences d’un parti.
Madeleine s’éteignit deux ans plus tard : son mari en conçut beaucoup de tristesse, en dépit de leurs relations difficiles. Il écrivit un livre à la mémoire de sa femme intitulé : Et nunc manet in te qui ne fut publié qu’en 1947. Juste avant la Seconde Guerre mondiale, il décida de publier son Journal (1889-1939), son œuvre la plus monumentale avec les volumes qu’il fit publier par la suite.
Dès 1940, il s’établit sur la Côte d’Azur et rompit avec la Nouvelle revue française deux ans plus tard. Il passa ensuite en Afrique du Nord et y collabora avec des revues clandestines comme les Éditions de Minuit ou encore les Chroniques interdites. Après la guerre et un grand nombre de voyages, il se vit couvert d’honneurs avec le prix Nobel de littérature en 1947 ou encore son titre de docteur honoris causa d’Oxford. Il tomba gravement malade en 1949 mais se rétablit et reprit ses notes habituelles sous le titre de Ainsi soit-il. Il voyagea encore pour ensuite s’éteindre le 19 février 1951. Il repose à Cuverville aux côtés de son épouse.


1 Cette notice biographique est inspirée principalement par le texte de E.Hubert (cf. orientation bibliographique).

Support : une feuille de papier

Hauteur : 215 mm
Largeur : 177 mm

Cote : 19349