Lettre à Emmanuel de Las Cases, 14 décembre 1825
La Grange 14 décembre 1825
Parmi quelques livres égarés, je regrette, et je cherche le septième volume de la biographie des contemporains. J’aimerais bien à penser qu’il a été prêté à Monsieur de Las Cases, ainsi que le douzième volume d’un ouvrage intitulé l’Honneur français. S’il avait les livres ou l’un d’eux, je le prierais de m’en informer pour que je ne les cherche pas ailleurs. J’irais les reprendre à dire un des premiers jours du mois prochain et en présentant mes respects à madame de Las Cases je prie le père et le fils d’agréer mes amitiés
Lafayette
Monsieur le comte de Las Cases
[Apostille en haut à droite d’une écriture différente de celle de La Fayette : « général Lafayette »]
Écrite du château de La Grange Bléneau peu de temps après un séjour tout aussi triomphal qu’épuisant aux États-Unis1, cette missive nous donne peu de renseignements au sujet des relations entre le comte de Las Cases et La Fayette, pas plus d’ailleurs que la littérature consacrée au héros de la Guerre d’indépendance des États-Unis qu’il nous a été donné de consulter2.
Cependant, quiconque a déjà dépouillé les Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette (…)3 jugera que son ton est quelque peu distant, à comparer par exemple aux lettres chaleureuses envoyées à Simon Bolivar à la même époque4. Il faut garder à l’esprit que les relations entre Napoléon et La Fayette furent tout sauf amicales5. Il est donc possible que Las Cases, fidèle serviteur de l’ancien empereur, suscitait la méfiance de l’ancien dirigeant de la Garde nationale ou encore n’ait pas joui d’une grande considération de sa part, même si ils pouvaient se rencontrer à l’occasion et échanger des livres comme l’indique ce courrier6. Il n’est pas impossible aussi que le passage du Mémorial de Sainte-Hélène consacré à La Fayette n’ait guère plu à ce dernier. Las Cases avait en effet retranscrit ce commentaire peu avenant tenu par Bonaparte : « La Fayette était encore un autre niais ; il n’était nullement taillé pour le haut rôle qu’il avait voulu jouer. Sa bonhomie politique devait le rendre constamment dupe des hommes et des choses (…) »7. Publié en 1823, il nous semble peu probable que La Fayette n’en ait pas pris connaissance ni conçu quelques ressentiments à ce sujet. Nous ne pouvons cependant rester qu’au stade des conjectures faute d’autres sources nous permettant de nous prononcer avec certitude.
1 ARLET J., Le général La Fayette, gentilhomme d'honneur, Paris, l'Harmattan, 2008, p. 210-214. UNGER H. G., Lafayette, Hoboken, NJ, Wiley, 2002, p. 349-361.
2 La bibliographie de Philippe Olivier (Cf. orientation bibliographique) ne donne du reste aucune référence à ce sujet et les deux tomes des Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette (idem) ne reprend aucune lettre adressée à l'auteur du Mémorial de Saint-Hélène.
3 Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette publiés par sa famille, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1838-1839, 2 t., 531-616 p.
4 Ibidem, t. 2, p. 399-401.
5 GENDRON F., « La Fayette », in SOBOUL A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 2005, 1989, p. 625.
6 Le premier est le septième volume de la Biographie nouvelle des contemporains ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers; précédée d'un tableau par ordre chronologique des époques célèbres et des évènements remarquables, tant en France qu'à l'étranger, depuis 1787 jusqu'à ce jour, et d'une table alphabétique des assemblées législatives, à partir de l'assemblée constituante jusqu'aux dernières chambres des pairs et des députés, conçu par A.V. ARNAULT, A. JAY, E. JOUY et J. NORVINS et sorti de presse en 1822 (Paris, 1822, 469 p.). Nous n’avons pas réussi à identifier précisément L’honneur français évoqué par La Fayette.
7 CHARAVAY É., Le général La Fayette 1757 - 1834, Paris, La Société, 1898, p. 543.
Articles et monographies relatifs au marquis de La Fayette
ARLET J., Le général La Fayette, gentilhomme d'honneur, Paris, l'Harmattan, 2008, 262 p.
BARDOUX A., Études sociales et politiques. La jeunesse de La Fayette, 1757-1792, Paris, C. Lévy, 1892, XVI-409 p.
BARDOUX A., Études sociales et politiques. Les dernières années de La Fayette, 1792-1834, Paris, C. Lévy, 1892, VII-433 p.
BINAUD D., L'épopée américaine La Fayette, La Rochelle, La découverte, 2007, 364 p.
CHAFFANJON A., La Fayette et sa descendance, Berger Levraud, 1976, 326 p.
GENDRON F., « La Fayette », in SOBOUL A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 2005, 1989, p. 624-626 (rééd. Quadrige, 2005).
GOTTSCHALK L.R., Lafayette and the close of the American Revolution, Chicago, University of Chicago Press, 1942, XIV-458 p.
GOTTSCHALK L.R., Lafayette between the American and the French Revolution (1783-1789), Chicago, London, University of Chicago Press, 1965, IX-461 p.
GOTTSCHALK L.R., Lafayette comes to America, Chicago, London, University of Chicago Press, 1965, XI-184 p.
GOTTSCHALK L.R., Lafayette joins the American army, Chicago, London, University of Chicago Press, 1965, XV-364 p.
GOTTSCHALK L.R., MADDOX M., Lafayette in the French Revolution, Chicago, Londres, University of Chicago Press, 1969-1973, IX-414, XI-586 p.
GUENIFFEY P., « La Fayette », in FURET F., OZOUF M., BACZKO B., Dictionnaire critique de la révolution française, Paris, Flammarion, 1988, pp. 258-266.
LATZKO A., Le général Lafayette, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1935, XI-432 p.
LEGRAND R., La Guerre d'indépendance américaine et La Fayette, Abeville, Imprimerie F.Paillard, 2006, 222 p.
LEMAY E. H. FAVRE-LEJEUNE C., Dictionnaire des constituants 1789-1791, Paris, Universitas, 1991, vol. 2, p. 497-499.
RIBADEAU-DUMAS F., La destinée secrète de La Fayette ou le messianisme révolutionnaire, Paris, Robert Laffont, 1972, 461 p.
TAILLEMITE E, La Fayette, Paris, Le Grand livre du mois, 2002, 623 p.
UNGER H. G., Lafayette, Hoboken, NJ, Wiley, 2002, XXIII-452 p.
Bibliographie
OLIVIER P., Bibliographie des travaux relatifs à Gilbert Du Motier, marquis de Lafayette (1757-1834) et à Adrienne de Noailles, marquise de Lafayette (1759-1807), Clermont-Ferrand, Institut d'études du Massif-central, 1979, XX-87 p.
Sources éditées
Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette publiés par sa famille, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1838-1839, 2 t., 531-616 p.
Gilbert du Motier Marquis de La Fayette
Né le 6 septembre 1757 au château de Chavaniac, décédé le 20 mai 1834 à Paris. Issu d’une famille d’ancienne noblesse(1), il mena des études au collège du Plessis. Sa situation matérielle fut assurée quand il hérita du comte de La Rivière 120 000 livres de rente. Il épousa la duchesse Adrienne de Noailles en 1774 alors qu’elle n’avait que 15 ans. En relation avec Franklin et le baron Kalb, il s’embarqua sur un bateau qu’il avait acheté et armé à ses frais, bravant ainsi une lettre de cachet de Louis XVI obtenue par son beau-père. Il avait pour destination Philadelphie et proposa son aide aux insurgents américains. Il fut nommé par ses derniers major-général en 1777, sans solde ni commandement néanmoins. Il se distingua lors de la bataille de Brandywine où néanmoins il se blessa. À la demande de Washington, il prépara un projet d’expédition au Canada qu’il dut abandonner faute de moyen. Toutefois, il obtint l’alliance de la ligue iroquoise des cinq nations en faveur des insurgents et contribua à faire décider l’appui officiel de la France à la république américaine. Il joua un grand rôle à la bataille de Yorktown qui marqua la défaite des anglais.
Il rentra en France et y fut reçu en héros : acclamé dans les théâtres, il faisait l’objet de dithyrambes sans fin de la part de la presse et était reçu par des souverains comme Joseph II et Frédéric II. Il fut aussi honoré de la nationalité américaine en 1784 et décoré de l’ordre de Cincinnatus. De retour en France après un troisième voyage triomphal aux États-Unis, il se déclara partisan des idées nouvelles et adversaire de l’esclavage des Noirs. Il rejoignit ensuite les rangs de l’Assemblée des notables : il y défendit les intérêts des protestants, prit parti contre les fermiers généraux et surtout demanda la convocation d’une Assemblée nationale. Il fut ensuite élu député de la noblesse de Riom aux États-Généraux. Le 11 juillet 1789, Il proposa une déclaration des droits de l’homme et du citoyen inspirée de celle de Jefferson. Deux jours plus tard, il était nommé vice-président de l’Assemblée nationale, avant de prendre la tête de la Garde nationale. Il se considérait alors comme le Washington d’une démocratie royale bien qu’il dut essuyer un échec retentissant peu de temps après. Par négligence, il n’avait pu effectivement empêcher que le château de Versailles fût envahi par la foule en octobre 1789. Il réussit malgré tout à ramener indemne la famille royale à Paris. Lors de la fête de la fédération du 14 juillet 1790, il prêta serment à la nation, à la loi et au roi au nom des 250.000 fédérés qui l’acclamaient. Mirabeau et Talleyrand lui proposèrent chacun une alliance mais essuyèrent son refus à chaque fois. Son étoile pâlit quelque peu ensuite quand il fit ouvrir le feu sur des manifestants venus sur le Champ de mars réclamer la déchéance du roi (17 juillet 1791). Toujours partisan d’une monarchie libérale, Il quitta les rangs des Jacobins pour fonder avec Barnave le club des Feuillants. Il poussa le monarque à la guerre pour restaurer son autorité et, en juin 1792, proposa même un coup de force à la Cour qui refusa net. Parallèlement, il se porta à la tête de l’armée du Centre en 1791 avant de diriger celle du Nord l’année suivante. Le 19 août 1792, il fut décrété d’accusation : son armée ne voulant pas le suivre, il se réfugia chez l’ennemi qui l’emprisonna jusqu’en septembre 1797.
Rentré en France après sa radiation de la liste des émigrés (mars 1800), il refusa toute fonction sous l’empire et se retira dans son château de La Grange Blêneau. Sous les Cent-Jours, il fut nommé député de Seine-et-Marne et demanda l’abdication de Napoléon après Waterloo. Il fut élu député de la Sarthe en 1818 et réélu (pour la Seine-et-Marne à nouveau) quatre ans plus tard. Entretemps, il avait rejoint la Charbonnerie, du nom de ce mouvement secret hostile à la Restauration. Non réélu en 1824, Il se rendit aux États-Unis durant l’été avec son fils Georges Washington. Il y fut accueilli triomphalement : le Congrès lui fit don de 200.000 dollars et d’une terre de 24.000 acres. Il rentra en France en octobre 1825 et fut nommé député de Seine-et-Marne en 1827. Il participa aux Trois Glorieuses et se rallia au duc d’Orléans. Acclamé commandant de la Garde nationale, il démissionna toutefois en décembre 1830, déçu par la tournure du nouveau régime. Il milita encore pour l’abolition de la peine de mort et l’émancipation des Noirs avant de s’éteindre le 19 mai 1834.
(1) Cette notice biographique est inspirée principalement par le texte de F.Gendron et celui repris dans le Dictionnaire des constituants (cf. orientation bibliographique).
Lettre
Support : une feuille de papier
Hauteur : 194 mm
Largeur : 156 mm
Cote : 19346/2428
Portrait
Lafayette, Paris, Rosselin, 21 Quai Voltaire (avec une signature en fac-similé)
Support : une feuille de papier
Hauteur : 276 mm
Largeur : 179 mm
Cote : 19346/2428