Lettre à François Jacques dit Jacobi, 19 décembre 1763
Monsieur.
Comme j’ai pourvu à ce que Monsieur de Nelis ne se serve plus de son imprimerie particulière pour aucun ouvrage, et que conséquemment il n’y a à craindre aucun des dangers ou inconvénients, que les édits de Sa Majesté ont voulu prévenir, je désire, que sur le cas, qui fait le sujet de la représentation, que vous venez de m’adresser, vous ne fassiez pas de poursuites, vous assurant qu’il ne s’en présentera plus à l’avenir. Je suis parfaitement,
Monsieur,
Votre très humble et obéissant serviteur
Charles Cobenzl
De Bruxelles le 19 décembre 1763
A Monsieur Jacobi chanoine de Saint Pierre &c. à Louvain
[Apostille en haut du document, de la main de Goswin de Stassart sans doute]
Autographe donné par M. Van ?, bibliothécaire de la ville de Louvain
Avec cette missive, le comte de Cobenzl venait au secours d’un de ses protégés, Corneille-François de Nelis. Cet ecclésiastique était l’homme du pouvoir au sein de l’Université de Louvain. Il fut en effet nommé bibliothécaire de la même institution en 1757, poste qu’il occupa jusqu’en 1768. À partir de 1762, il s’occupa également de la typographie académique annexée à l’Université de Louvain et organisée majoritairement par l’État et l’administration communale de Louvain. L’université voyait cela d’un mauvais œil, d’autant plus que Nelis fit preuve d’un réel esprit d’indépendance au point d’installer une imprimerie chez lui, au mépris des lois. Il fut d’ailleurs poursuivi pour cette imprimerie particulière1, notamment par le censeur ecclésiastique Jacobi2, le destinataire du document nous intéressant ici. Outre la protection de Cobenzl comme constaté dans cette missive, Nelis put également compter sur l’appui de Neny, le chef-président du Conseil privé. Il fut tiré d’embarras, quitta Louvain et se retira dans l’abbaye du Parc3.
1 DAMME O., « de Nelis, Corneille François », in HASQUIN H. (dir.), L'Académie impériale et royale de Bruxelles, ses académiciens et leurs réseaux intellectuels au XVIIIe siècle, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2009, p. 191.
2 PUTTEMANS A., La censure dans les Pays-Bas autrichiens, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1935, p. 125 (Mémoires de la Classe des Lettres, in 8°, 2e s., t. XXXVII, fasc. 1).
3 DAMME O., « de Nelis, Corneille François », op. cit., p. 191.
"Cobenzl (Charles, comte de)", in HASQUIN H. (dir.), Dictionnaire d'Histoire de Belgique : Les hommes, les institutions, les faits, le Congo belge et le Ruanda-Urundi , Namur, Didier Hatier, 2000, p. 122.
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GALAND M. « de Cobenzl, Charles, Philippe, Jean », in HASQUIN H. (dir.), L’Académie impériale et royale de Bruxelles, ses académiciens et leurs réseaux intellectuels au XVIIIe siècle, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2009, p. 273-275
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WAUTERS A., « Cobenzl (Charles-Philippe-Jean, comte de) », in Biographie nationale, Bruxelles, H. Thiry, t. 4, 1873, col. 203-212.
1 Pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous n’avons pu consulter les articles de Madame Phillips.
Comte Charles Philippe Jean de Cobenzl
Charles de Cobenzl était le fils de Jean-Gaspar de Cobenzl et de Charlotte-Sophie, fille de Wolfgang-Albert, comte de Rindsmaul1. Son père fut conseiller d’État et grand Chambellan de l’empereur Charles VI. Après des études dirigées par l’abbé Bosmans, Charles débuta très jeune dans la carrière diplomatique, en remplissant notamment plusieurs missions auprès des Cercles de l’Empire pour l’impératrice Marie-Thérèse.
Cette dernière le nomma ministre plénipotentiaire des Pays-Bas autrichiens en 1753. Il succédait ainsi au comte de Botta-Adorno et devenait l’adjoint du prince Charles de Lorraine, gouverneur général du même territoire. En réalité, ce prétendu rôle de second cachait mal l’éviction progressive du prince du gouvernement de nos contrées et les relations entre les deux hommes ne tardèrent pas à se tendre. Cobenzl avait en effet l’oreille attentive de Kaunitz, chancelier de Cour et d’Etat à Vienne. Les deux hommes partageaient effectivement les mêmes vues au sujet des Pays-Bas : les réformes à mener devaient conduire à une plus grande centralisation administrative et à un assainissement des finances publiques. Il fallait également contenir le pouvoir de l’Église, en restreignant par exemple l’accroissement des biens de mainmorte. Les mesures de l’infatigable ministre bousculèrent bien entendu les privilégiés et les gens attachés aux lois du pays et à une certaine routine. Il tolérait toutefois très difficilement les résistances et c’est dans ce genre de situation que Charles de Lorraine parvenait à tempérer ses ardeurs, bien aidé en cela par l’impératrice. Les deux hommes s’entendaient toutefois (parfois contre les autorités de Vienne) pour promouvoir le développement économique (avec une politique inspirée du colbertisme) et favoriser certains secteurs industriels comme la porcelaine ou l’industrie chimique. Les lettres et les arts étaient également au centre de leurs préoccupations : c’est ainsi que naquit l’idée de mettre sur pied une société littéraire pour Bruxelles. Si Charles de Lorraine fut acquis à ce projet, c’est toutefois Cobenzl qui entreprit les premières démarches dès 1758 en s’informant notamment sur le fonctionnement des académies. Plus tard, il s’entretint avec Jean-Daniel Schoepflin, historien alsacien renommé. Ce dernier se rendit dans les Pays-Bas et y rencontra les savants susceptibles de rejoindre la future société. Prudent, il suggéra toutefois de ne commencer qu’avec une petite compagnie d’érudit. La Société littéraire vit donc le jour en 1769 et Cobenzl en devint le président, trois mois seulement avant son décès. Cette Société littéraire se transforma trois ans plus tard en Académie impériale et royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, celle-là même qui devint bien plus tard l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, notre institution.
Il vécut fastueusement et regardait rarement à la dépense : fort logiquement, il rendit son dernier souffle couvert de dette. De son vivant, l’impératrice s’était porté à son secours par deux fois en payant ses dettes. Elle refusa toutefois d’aider sa veuve qui put heureusement compter sur l’aide de Charles de Lorraine.
1 Pour cette notice, nous nous sommes principalement inspiré des notices de M. Galand et de A. Wauteurs ainsi que de la biographie de C. de Villermont (cf. orientation bibliographique).
Lettre
Support : une feuille de papier
Hauteur : 227 mm
Largeur : 378 mm
Cote : 19346/1180
Buste
Charles de Cobenzl 1710 - 1770
Hauteur : 930 mm
Largeur : 690 mm
Profondeur : 475 mm
Buste en marbre réalisé par Albert Aerts, sous la surveillance de Victor Rousseau à partir d’un modèle en plâtre provenant du Musée royal de peinture et de sculpture de Belgique. La version ancienne en marbre exécutée en 1769 par Jean Philippe Augustin Ollivier n’est plus localisable.
Cote : Inv. ARB 79
Photo Luc Schrobiltgen.