Lettre à Jacques-Joseph-Augustin de Stassart, 8 juin 1786
Monsieur
Je vous remets cijoint une lettre anonime, dont il résulte qu’il se seroit commis recemment à Malines, une contravention à l’Edit de l’Empereur qui reduit et détermine le nombre de processions pour l’avenir ; afin que vous puissiés ÿ faire cette attention que vous jugerez convenir.
Je suis très parfaitement
Monsieur
Votre très humble et très
obéissant serviteur
Barbiano di Belgioioso
Bruxelles le 8 de Juin 1786
[Apostille en bas, à droite :]
Mr Stassart Consr Fiscal à Malines.
[Adresse sur l’enveloppe :]
à Monsieur
Monsieur Stassart de Noirmont
Conseiller fiscal de sa Mté en son
Grand Conseil
à Malines
Cette missive fut envoyée à Jacques-Joseph-Augustin de Stassart, conseiller fiscal auprès du Grand Conseil de Malines, soit un des agents chargés de défendre les droits du souverain. Les prérogatives de ceux-ci en matière de police et de justice criminelle étaient très étendues1 et il est donc logique que le ministre plénipotentiaire fît appel à la vigilance de Jacques Joseph de Stassart pour le fait repris dans cette lettre. Belgiojoso avait en effet reçu une lettre de dénonciation anonyme faisant état d’une infraction à l’édit sur les processions2, soit celui du 10 mai 17863, un des nombreux textes instituant les réformes religieuses de l’empereur Joseph II. L’article 1 de cet édit limitait à deux le nombre de processions par an pour chaque paroisse, l’une le jour de la fête-Dieu, l’autre « à quelqu’autre jour de fête à désigner par l’ordinaire »4. Outres ces deux processions bien précises, celles à l’effet d’implorer « l’assistance du Ciel pour la pluie et le beau temps, pour la conservation de la moisson ou pour d’autres nécessités publiques » étaient également autorisées par l’article 3. L’article 4 par contre interdisait « absolument toute espèce de procession, ainsi que tout pélérinage en troupe, où et vers quel lieu que ce puisse être » sous peine d’une amende de cent écus par participants à cette manifestation, commuée en une peine de détention de trois mois en cas d’insolvabilité, voire même une peine plus grave « à l’arbitrage du juge, selon les circonstances ». Quant à l’article 5, il supprimait purement et simplement « et à perpétuité toute espèce de solennités connues sous le nom de jubilés. ». Cet édit réglementait aussi la pompe des dites processions : « On ne pourra plus porter de statues ni d’images quelconques, non plus que des enseignes de métiers, vêtements extraordinaires ou autres bigarrages (sic) semblables dans les processions, ni les faire accompagner d’aucune musique ». On constate là le sens du détail du pouvoir joséphiste : rien de ce qui relevait des manifestations extérieures du culte n’échappait à la vigilance de l’empereur5. Cet édit s’inscrit dans une tendance des années 1785 et 1786 où différents décrets entendaient réformer en profondeur la vie paroissiale traditionnelle des Pays-Bas6 : lecture des édits et ordonnances au prône du dimanche7, célébration des kermesses le même jour dans tous le pays8 ou encore suppression de toutes les confréries religieuses, remplacées par la « Confrérie pour l’amour actif du prochain »9 ! Ces dernières réformes eurent pour conséquence une exaspération du peuple, indifférent jusque là aux initiatives impériales. Avant cela en effet, les réformes précédentes (édits sur la tolérance, sur le mariage…) n’avaient rencontré que la vaine résistance du haut clergé, des cercles ultramontains et de l’Université de Louvain10. Le mécontentement devenait donc général : rien d’étonnant dès lors qu’éclatèrent quelques mois plus tard les troubles qui mirent fin au mandat de Belgiojoso dans nos régions.
1 ALEXANDRE P., Histoire des origines, des développements et du rôle des officiers fiscaux près les conseils de justice dans les anciens Pays-Bas, depuis le XVe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1891, p. 10, 11 (Mémoires couronnés et autres mémoires, in-8°, tome XLV)
2 Celle-ci n’est malheureusement pas en notre possession.
3 VERHAEGEN P., Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, Troisième série. - 1700-1794. Tome douzième contenant les ordonnances du 10 janvier 1781 au 23 décembre 1786, Bruxelles, 1910, p. 491-492.
4 Ibidem, p. 491.
5 HASQUIN H., Joseph II Catholique anticlérical et réformateur impatient 1741-1790, Bruxelles, Éditions Racine, 2007, p. 219 (coll. « Les racines de l’histoire »).
6 ROEGIERS J., « Kerk en Staat in de Oostenrijkse Nederlanden », in Algemeine Geschiedenis der Nederlanden, IX, Haarlem, Fibula/Van Dishoeck, 1980, p. 371.
7 Ordonnance du 26 septembre 1785 (VERHAEGEN P., Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens (…), op. cit., p. 440, 441).
8 Édit du 11 février 1786 (VERHAEGEN P., Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens (…), op. cit., p.470).
9 Édit du 8 avril 1786 (VERHAEGEN P., Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens (…), op. cit., p.477-479).
10 ROEGIERS J., « Kerk en Staat in de Oostenrijkse Nederlanden », op. cit., p. 371.
Au sujet de Barbiano di Belgiojoso :
BERNARD B., « De Bruxelles à Milan et vice-versa », in BERNARD B. (éd.), Lombardie et Pays-Bas autrichiens. Regards croisés sur les Habsbourg et leurs réformes au XVIIIe siècle, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008, p. 31, 32 (Études sur le XVIIIe siècle, 36).
BRUNEEL C., HOYOIS J.P., Les grands commis du gouvernement des Pays-Bas autrichiens. Dictionnaire biographique du personnel des institutions centrales, Bruxelles, 2001, p. 75, 76 (Archives générales du Royaume et Archives de l’État dans les provinces, Studia 84).
CAUCHIE A., « Le Comte L.C.M. de Barbiano de Belgiojoso et ses papiers d’état conservés à Milan, Contribution à l’histoire des réformes de Joseph II en Belgique », in Bulletin de la Commission royale d’Histoire, LXXXI, n°3, 1912, p. 147-322.
GACHARD L.P., « Belgiojoso (Louis-Charles-Marie, comte de Barbiano et) », in Biographie nationale, Bruxelles, Académie royale de Belgique, t. II, 1868, col. 118-124. Notice en ligne : consulter la notice.
LEFEVRE J., « Barbiano di Belgiojoso, Louis Charles Marie, graaf van », in Nationaal biographisch woordenboek, Brussel, Paleis der Academiën, 1970, t. IV, col. 32-37.
MATSCH E., Der Auswärtige dienst von Österreich(-Ungarn), 1720-1920, Vienne, Cologne, Graz, 1986, p. 113, 115.
ZEDINGER R., Die Verwaltung der österreichischen Niederlande in Wien (1714-1795). Studien zu den Zentralisierungstendenzen des Wiener Hofes im Staatswerdungsproze der Habsburgermonarchie, Vienne, Cologne, Weimar, 2000, p. 158-160 (Schriftenreihe der österreichischen Gesellschaft zur Erforschung des 18. Jahrhunderts, Bd. 7).
Le comte de Belgiojoso fut l’objet de nombreuses attaques de la part des pamphlétaires, particulièrement prolifiques à l’époque. Citons principalement :
Lettre Du Comte de Belgiojoso au Peuple Belgique, pour justifier sa conduite & ses bonnes intentions. [s.n.], [s.l.], [s.d.], 4 p.
Archives générales du Royaume : Écrits Politiques 652
Instructions particulieres et secretes avec la figure, Adressées de la part de S.E. le Comte de Belgiojoso, Ministre &c. à Mr. de Berg, Capitaine de Cercle à Bruxelles.
[s.n.], [s.l.], [s.d.], 4 p.-ill.
Archives générales du Royaume : Écrits Politiques 4299
Description de la Cavalcade, accompagnée de chars de triomphe, Qui sera exécutée en partie par les Écoliers du Gouvernement, & en partie par les Sujets des États de Brabant, à l'occasion du Triomphe mémorable de la décadence des Intendans, Capitaines, Commissaires & Secrétaires des Cercles, des présidens & juges de première instance ; Suivie De la grandeur des Etats du Duché de Brabant, des neufs nations, de la ville de Bruxelles, & du peuple Brabançon
[s.n.], En Brabant., M. DCC. LXXXVII., 16 p.
Archives générales du Royaume : Écrits Politiques 1725
Sur les réformes religieuses :
DE SCHEPPER G., « Marie-Thérèse et Joseph II. Leur politique à l’égard des maisons religieuses dans les Pays-Bas », in Revue d’histoire ecclésiastique, XXXV, n° 3, juillet 1939, p. 509-529.
HASQUIN H., « Le Joséphisme et ses racines », in La Belgique autrichienne 1713-1794. Les Pays-Bas méridionaux sous les Habsbourg d’Autriche, Bruxelles, 1987, p. 201-238.
KUNTZIGER J., Febronius et le Febronianisme. Etude historique sur le mouvement réformateur provoqué dans l’Eglise Catholique au XVIIIième siècle par Fébronius, c’est-à-dire J.N. de Honthein, évêque suffrageant de Trêves et l’origine des réformes religieuses de Joseph II , Bruxelles, Hayez, 1889, 238 p. (Extrait du tome XLIV des Mémoires couronnés et autres Mémoires publiés par l’Académie Royale de Belgique, 1889).
ROEGIERS J., « Joséphisme et Eglise Belgique », in Tijdschrift voor de studie van de Verlichting, III, 1975, p. 213-226.
ROEGIERS J., « Kerk en Staat in de Oostenrijkse Nederlanden », in Algemene Geschiedenis der Nederlanden, Haarlem, fibula-Van Dishoeck, IX, 1980, p. 361-375.
ROEGIERS J., « De Nederlandse Kerkpolitiek van Jozef II : verlicht of despotisch ? », in Documentatieblad werkgroep 18e eeuw (Nijmegen), 49-50, 1981, p. 5-10.
WYSEUR-WILKIN C., « La suppression des confréries religieuses aux Pays-Bas autrichiens. Echec d’une réforme de Joseph II dans le domaine de la bienfaisance (8 avril 1786) », in Annales de la Société belge d’histoire des hôpitaux, XXI, 1983, p. 3-40.
Louis-Charles-Marie, comte de Barbiano et Belgiojoso
Le comte Louis Barbiano di Belgiojoso naquit à Milan le 2 janvier 1728. Sa famille était l’une des plus nobles de Milan et se caractérisait également par une loyauté indéfectible à l’empire. Il commença à servir la Maison d’Autriche dans les rangs de l’armée en participant notamment à la Guerre de Sept ans où sa détermination au combat lui valut une belle ascension dans la hiérarchie militaire et la satisfaction de Marie-Thérèse et de Joseph II à plusieurs reprises. Bien vite cependant, il céda aux appels de la diplomatie et devint ambassadeur à Stockholm d’avril 1764 à octobre 1769. Très satisfaite de son travail, l’impératrice Marie-Thérèse lui confia l’ambassade de Londres qu’il dirigea de mars 1770 à août 1782. Durant son séjour à Londres, ses relations avec Joseph II s’approfondirent : l’empereur aimait à consulter ce fidèle serviteur dont les idées correspondaient aux siennes. Les deux hommes se rencontrèrent d’ailleurs en 1777 à Paris et Belgiojoso accompagna l’empereur dans ses excursions au travers du Royaume de France. Quelques années plus tard, quand il fallut trouver un successeur à Georges Adam de Starhemberg, Ministre plénipotentiaire des Pays-Bas autrichiens, le choix de l’empereur se porta sur Belgiojoso. Nommé en mai 1783, Belgiojoso fit preuve d’un zèle infatigable pour appliquer les volontés de l’empereur. Toutes ne furent pas couronnées de succès, loin s’en faut. Ainsi, la Maison d’Autriche dut renoncer à la réouverture de l’Escaut, à la libre navigation sur ce fleuve1. En plus de cela, les innombrables réformes instiguées par Joseph II et appliquées avec zèle par le ministre commençaient à indisposer la population. En 1787, Belgiojoso fut le premier à diriger le Conseil du gouvernement général, nouvel organe exécutif créé par l’empereur pour gouverner les Pays-Bas. Bien vite cependant, des troubles provoqués par les nouveautés de l’empereur éclatèrent sur tout le territoire. Le souverain avait eu le tort de fédérer contre lui toutes les personnes lésées par les réformes religieuse et judiciaire : Belgiojoso fit les frais de ce mécontentement et vit sa popularité plonger. Le ministre devait de plus composer avec les gouverneurs généraux, les archiducs Albert-Casimir et Marie-Christine, avec qui il entretenait des rapports de plus en plus aigres. Tous trois convoqués à Vienne en juillet 1787, Belgiojoso quitta Bruxelles le 19 du même mois. Pressentant sa disgrâce, il avait d’ailleurs présenté sa démission dès le début du mois. Celle-ci fut rendue publique le 21 juillet : Belgiojoso ne devait plus jamais revoir nos provinces. La mort de Joseph II moins de trois ans plus tard lui enleva tout espoir d’un retour aux affaires et il quitta définitivement la scène politique.
Olivier DAMME
1 Pour les lignes précédentes, nous nous sommes inspirés de l’étude d’Alfred Cauchie (« Le Comte L.C.M. de Barbiano de Belgioso et ses papiers d’état conservés à Milan, Contribution à l’histoire des réformes de Joseph II en Belgique », in Bulletin de la Commission royale d’Histoire, LXXXI, n°3, 1912, pp. 151-200). Pour les suivantes, nous avons appuyé notre travail sur les notices de Bruneel, Gachard et Lefevre (Cf. le chapitre : Orientation bibliographique)
La Lettre
Support : 1 feuille
Hauteur : 319 mm
Largeur : 202 mm
Cote : 19346/305
L'enveloppe
Support : 1 enveloppe
Hauteur : +/- 177 mm
Largeur : 240 mm 1 cachet postal
Cote : 19346/305