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Lettre à Jean-Baptiste Bouillaud, 12 janvier 1831

Monsieur,

Je regrette bien vivement que le jour fixé par la société de la doctrine de Gall pour ses réunions ordinaires se trouve être précisément celui de mon cours de philosophie positive, qui a lieu à l’athénée à la même heure. Cette fâcheuse coïncidence me privera d’assister aux séances jusqu’à la fin de mai, époque où mon cours sera terminé. Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien exprimer en mon nom à la société, dans sa prochaine réunion, quel profond déplaisir j’éprouverai jusqu’alors de ne pouvoir immédiatement contribuer de mes faibles moyens aux opérations d’une assemblée qui se propose un but dont j’apprécie toute la haute importance pour la consolidation et les progrès de la philosophie vraiment positive, au triomphe de laquelle tous mes efforts sont consacrés depuis longtemps.

Veuillez agréer, Monsieur le secrétaire, l’assurance de l’affectueuse considération de votre dévoué serviteur

Auguste Comte

N° 159, rue Saint Jacques.

Ce mercredi matin 12 janvier 1831.

[Adresse]

Monsieur

Monsieur le docteur Bouillaud, professeur agrégé de la faculté de médecine de Paris, n° 36, rue de Vaugirard, f.s.g.

[cachet postal]

12 janvier 1831

[autre cachet]

G 9-11

[apostille au-dessus de l’adresse, d’une autre écriture que celle d’Auguste Comte. Il s’agit sans doute de celle du baron Goswin de Stassart]

Comte (Auguste) ancien élève de l’école polytechnique né à Montpellier en 1795 auteur du systême de politique positive publié en 1854

 

Auguste Comte répond ici sans doute à une lettre de Jean-Baptiste Bouillaud datée du 9 janvier 1831. Ce dernier l’invitait en effet à venir aux réunions de la « Société de la doctrine de Gall », pour reprendre les termes usités par Bouillaud dans la missive susdite et repris par Comte dans la sienne. Le nom officiel de cette société était en fait « Société phrénologique de Paris » et Comte en fut un des membres fondateurs1.

Les vifs regrets de Comte sont sans doute sincères. À cette époque de sa vie, la phrénologie était devenue pour lui très importante2. Pour rappel, on ne pourrait mieux définir la phrénologie que comme l’Art de reconnaître les instincts, les penchants et les dispositions morales et intellectuelles des hommes et des animaux par la configuration de leur cerveau et de leur tête, pour reprendre le titre d’un ouvrage du fondateur de cette pseudo-science3, Franz Joseph Gall3. Comte voyait dans la phrénologie, et plus spécialement dans la doctrine de Gall, la meilleure réfutation des théories « métaphysiques » et notamment le sensualisme d’Helvétius et de Condillac4. Ce dernier courant philosophique affirmait en effet qu’il n’y avait ni idées, ni capacités mentales innées, que nos connaissances ont toutes une origine sensible5. Comte ne pouvait qu’être hostile à cette philosophie, lui dont la phrénologie déterministe renforçait le concept d’ordre social dans le système positiviste6, où chacun occupe une « niche » selon ses capacités7. Bien qu’il remit en cause certains aspects des théories de Gall par la suite8, Comte y resta fidèle. Dans les années 1840 toutefois, ces dernières furent totalement discréditées, ce qui ne manqua de ternir la réputation du positivisme9.

Si les regrets de Comte quant à l’impossibilité pour lui de participer aux réunions de la Société phrénologique de Paris ne sont sans doute pas feintes, il n’en reste pas moins que le philosophe rentra rapidement en conflit avec certains membres de cette association, notamment le trésorier et François Broussais10, autre phrénologue bien connu.


1 PICKERING M., Auguste Comte. An Intellectual Biography, Cambridge, Cambridge University Press, vol. I, p. 420.

2 Idem.

3 Né à Tiefenbronn le 9 mars 1758 : décédé à Montrouge le 22 août 1828. Médecin allemand. Considéré comme le fondateur de la phrénologie. http://www.universalis.fr/encyclopedie/phrenologie/

4 PICKERING M., Auguste Comte. An Intellectual Biography, op. cit., vol. I, p. 410, 531, 600.

5 AUROUX S., « Sensualisme », in DELON M. (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, Paris, Presse Universitaires de France, 1997, p. 1137-1140.

6 PICKERING M., Auguste Comte. An Intellectual Biography, op. cit., vol. I, p. 531.

7 Ibidem, p. 410.

8 PICKERING M., Auguste Comte. An Intellectual Biography, op. cit., vol. II, p. 502.

9 Ibidem, p. 509.

10 PICKERING M., Auguste Comte. An Intellectual Biography, op. cit., vol. I, p. 420.

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STANDLEY , A.R., Auguste Comte, Boston, Twayne, 1981

Auguste Comte

Né à Montpellier le 19 janvier 1798, décédé à Paris le 5 septembre 1857. Auguste Comte naquit dans une famille modeste1 : son père était caissier à la recette principale de Montpellier. Il apprit la lecture, l’écriture et quelques éléments de latin chez un vieil instituteur avant d’entrer à 9 ans au lycée de Montpellier. Il fit d’abord des études de lettres et obtint, en rhétorique, le premier prix d’éloquence. Il se fit remarquer également par une prodigieuse mémoire et une puissance de travail hors du commun. Il abandonna ensuite les lettres pour les mathématiques. Là aussi, ses qualités impressionnèrent le corps professoral, à tel point qu’il se vit désigné professeur de mathématique à l’âge de 16 ans, en remplacement de son maître. Il se présenta en août 1814 au concours de Polytechnique et fut classé quatrième sur l’ensemble des candidats. Il se distingua à nouveau par son intelligence mais aussi par son indiscipline : il participa aux événements qui eurent pour conséquence la fermeture de l’école par Louis XVIII en 1816. Il rentra alors à Montpellier et suivit les cours de l’école de médecine. Il retourna ensuite à Paris : pour s’assurer une vie matérielle décente, il accepta de traduire un livre d’analyse mathématique pour la faculté des sciences. Il rédigea également un essai politique sous le titre de Mes réflexions et un autre projet intitulé : Sur la liberté de la presse.

Vers le milieu de 1817, il rencontra Saint-Simon avec qui il partageait beaucoup d’idées. Comte rejoignit l’équipe de L’industrie, le périodique dirigé par Saint- Simon. En 1824, il fit publier le Catéchisme des Industriels grâce à l’aide de Saint-Simon mais ce dernier renonça ensuite à toute collaboration avec Comte. Obligé de subvenir aux besoins du ménage qu’il formait avec Caroline Massin, il donnait des cours privés. Le 2 avril 1826, le premier cours de philosophie positive fut donné dans son appartement avec un auditoire de qualité : Poinsot, de Humboldt, Carnot, etc. Cependant, ces cours vinrent vite à cesser du fait d’un surmenage qui altéra gravement sa santé mentale. Ses cours reprirent en 1829, toujours dans son appartement. Toutefois, c’est à l’athénée que Comte exposa ses idées l’année suivante. C’est durant celle-ci qu’il publia son premier tome du Cours de Philosophie positive. En 1832, il fut nommé répétiteur de l’École polytechnique. Il sollicita vainement la création d’une chaire d’histoire des sciences mathématiques et physiques au Collège de France. De même, deux ans plus tard, il se présenta à une chaire de Géométrie de l’École Polytechnique mais échoua malgré la valeur reconnue de son enseignement : on n’oubliait pas ses opinions républicaines… Comme compensation, il fut nommé examinateur d’admission mais échoua toujours dans sa quête d’un poste de professeur.

Ses relations avec sa femme se distendirent avant de se rompre définitivement en 1842, la même année où parut le sixième et dernier volume du Cours de philosophie positive. Deux ans plus tard, il ne fut pas renommé à l’École polytechnique et l’institution Laville où il enseignait le pria de cesser ses leçons. Privé de ressources, il reçoit un temps quelques sommes d’argent en provenance d’Angleterre grâce à John Stuart Mill.

En 1844, il édita son Traité physique d’astronomie populaire et son Discours sur l’esprit positif. Littré publia alors une série d’articles sur l’œuvre de Comte qui eurent un grand retentissement. Bien plus encore, il ouvrit une souscription pour assurer l’existence du créateur du positivisme.

À la même époque, Comte rencontra Clotilde de Vaux, un femme mariée dont il s’éprit et à qui il voua un véritable culte. Celui-ci se fera plus fervent encore après la mort de Clotilde qui s’éteignit dans les bras de Comte en avril 1846. Désormais, la femme prit de plus en plus d’importance dans son œuvre alors que jusque-là le philosophe ne s’en était guère occupé.

En 1848, il fonda la Société positiviste et obtint une salle au Palais-Royal où il ouvrit un cours sur l’histoire de l’humanité. La philosophie positive rentrait alors dans sa phase religieuse. Comte publia de ce fait son Système de politique positive ou traité de Sociologie instituant la religion de l’humanité dont les 4 volumes parurent en 3 ans (juillet 1851-septembre 1854). Pour mieux faire connaître cette religion de l’humanité dont il se déclara le Grand Prêtre, il composa également un Catéchisme positiviste.
Il voulait encore écrire un Traité d’éducation universelle, un Traité de l’action totale de l’humanité sur la planète et voulait unir les catholiques et les positivistes contre tous les révolutionnaires : la maladie (un ulcère sans doute) l’en empêcha et le fit passer de vie à trépas.

1 Cette notice est principalement inspirée de celle reprise dans l’ouvrage d’André Cresson (Cf. Orientation bibliographique).

Support : une feuille de papier

Hauteur : 150 mm
Largeur : 197 mm

Cote : 19346/1240