Lettre à Jean Nicolas Marcellin Guérineau de Saint-Péravi, 17 août 1785

Frédéric était le petit fils de Frédéric Ier1, le premier roi de Prusse qui mourut un peu plus d’un an après la naissance du futur conquérant de la Silésie. Frédéric-Guillaume, le père de Frédéric, devint le second roi de Prusse et adopta une politique d’économies draconiennes pour le fonctionnement de la cour. Parallèlement, il renforça l’armée en la portant à 80.000 hommes mais la fit participer à très peu de conflits : ayant assisté au carnage de Malplaquet, il se méfiait des enthousiasmes guerriers.

Frédéric fut d’abord confié à des femmes dont Madame de Rocoules, une huguenote française ayant fui la France peu de temps après la révocation de l’édit de Nantes. Elle constitua le premier contact du jeune Frédéric avec la civilisation française. Son père désirait toutefois que son éducation soit confiée à des soldats de telle façon qu’il soit formé à son image. Un protestantisme sans faille devait également lui être inculqué au contraire du latin que Frédéric-Guillaume jugeait inutile pour son fils. L’histoire quant à elle ne devait porter que sur les 150 dernières années. Par contre, les mathématiques furent privilégiées car il s’agissait de lui enseigner les fortifications, la formation d’un camp et les autres sciences de la guerre. Bref, l’éducation prônée par Frédéric-Guillaume pour son successeur était toute tournée vers la guerre et devait être exempte de matières inutiles aux yeux du souverain. Frédéric, sous d’habiles airs de soumissions, désobéissait en secret à son père et se constituait une solide culture générale. Le roi n’était cependant pas dupe et constatait également que son fils supportait mal les rigueurs de la discipline militaire. Il l’accusait de mollesse, d’être efféminé : ne mettait-il pas des gants quand il gelait à pierre fendre ? Plus grave encore est l’indifférence de Frédéric pour les choses de la religion, inacceptable pour son père angoissé par la question du salut de son âme. Bref, les relations entre le père et le fils se détériorèrent rapidement et étaient souvent émaillées des colères violentes du premier. Frédéric supportait de moins en moins la violence paternelle et décida de fuir la Prusse en 1730 en compagnie d’un ami, le lieutenant von Katte. Le projet échoua : le roi décida de faire incarcérer son fils et fit exécuter von Katte sous les yeux de Frédéric. Le roi finit par lui pardonner et leurs relations s’apaisèrent quelque peu : il faut dire que Frédéric s’était doté d’un art consommé de la dissimulation et qu’il avait consenti à se marier à Élisabeth-Christine de Bevern, proposée par son père, même si il n’éprouvait rien pour elle. Il s’établit en 1736 au château de Rheinsberg où il vivra la période de sa vie la plus heureuse. Il pouvait en effet recevoir enfin qui il désirait et s’appliquait à la lecture, à la philosophie et à l’écriture, notamment en concevant des textes rimés. Il écrivit également en 1739 un Anti-Machiavel, ouvrage dénonçant Le Prince de Machiavel, en le démontant point après point. Dénonçant l’incompatibilité entre la morale et la politique décrite par Machiavel, l’auteur condamne également l’appétit de conquête de la majorité des souverains. Une dénonciation amusante quand on connaît une des premières initiatives de Frédéric II peu de temps après son arrivée au pouvoir en 1740, à savoir la conquête de la Silésie, alors sous domination de la Maison d’Autriche. Cette conquête fut confirmée par la Paix de Dresde du 25 décembre 1745. La politique belliqueuse de Frédéric ne se démentit pas par la suite : en août 1756, la Saxe fut envahie, ce qui provoqua un des conflits majeurs du XVIIIe siècle, la Guerre de Sept ans (1756-1763). La Prusse sortit affaiblie de ce conflit et son image écornée tant Frédéric II viola de nombreux accords conclus avec d’autres puissances. Cela ne l’empêcha toutefois pas de s’allier avec ses anciens ennemis (la Russie et l’Autriche) pour procéder au partage de la Pologne, de février à août 1772. La dernière guerre du règne de Frédéric II fut celle dite de la Succession de Bavière : le monarque s’opposa au projet de Joseph II d’échanger les Pays-Bas autrichiens contre la Bavière, une acquisition dont Frédéric II redoutait qu’elle n’augmente trop la puissance de la Maison d’Autriche. Ce conflit se termina à son avantage en mars 1779 par la signature du traité de Teschen.

Le règne de Frédéric II ne fut cependant pas pour la Prusse qu’une succession de guerres. La réforme de la justice fut une des grandes préoccupation du monarque : sous l’influence des Lumières, il entendait réformer celle-ci en la rationalisant et en l’humanisant. Il désirait également être un protecteur du commerce et de l’industrie. Il eut soin de favoriser les manufactures qu’il considérait comme le premier instrument du développement économique. Toujours pour assurer ce dernier, il travailla également à accroître la population en favorisant l’arrivée de diverses populations de Saxe, de Bohême et de Mecklembourg pour favoriser la production et la consommation. L’activité économique avait - déjà ! - besoin d’une régulation et il créa à cet effet la Banque royale de Berlin dont le capital était alimenté par l’État. Il réformera également la perception des impôts indirects et des droits de douanes en créant l’Administration générale des droits du roi. Par contre, il n’abolit pas le servage, même si il en caressa le projet au sortir de la guerre de Sept ans : la noblesse sur laquelle s’appuyait la monarchie était trop puissante pour accepter cela.

1 Pour cette esquisse biographique, nous nous sommes principalement inspirés de la biographie écrite par Jean-Paul Bled intitulée : Frédéric le Grand (Paris, Fayard, 2004, 640 p.).

Frédéric II répondit très succinctement aux diverses lettres envoyées par Saint-Péravi : nous sommes ici face à une lettre de remerciement type où le monarque prussien se garde bien de d'émettre un avis sur les vers envoyés par Saint-Péravi. Il n’était pourtant pas étranger au monde de la poésie. Le conquérant, le réformateur ou encore le « despote éclairé » sont les facettes bien connues du monarque. On néglige souvent le poète alors qu’il s’adonnait à la versification tous les jours, à tel point que son œuvre poétique représente en volume plus du double du théâtre de Molière. La plupart de ses vers, comme le reste de son œuvre d’ailleurs, sont écrits en français et ne sont pas exempts de maladresses de style et d’orthographe, malgré une excellente maîtrise de la langue française. Il en était parfaitement conscient et n’hésitait pas à faire appel à des correcteurs pour éliminer toutes ces scories et parmi eux, un certain Voltaire1

Il est possible qu’en envoyant les lettres susdites Saint-Péravi nourrissait des arrière-pensées d’ordre pécuniaire. Poète de cour, il avait reçu une pension de 800 livres du Prince-Évêque Velbruck à son arrivée à Liège en 17782. Peut-être espérait-il un revenu du monarque prussien? Nous ne pouvons cependant rien affirmer à ce sujet, faute de preuves. De même, nous ne savons rien du contenu des vers de Saint-Péravi, n’ayant pu consulter ceux-ci. Il est probable cependant que Frédéric II y faisait l’objet de multiples louanges : Saint-Péravi n’avait-il pas célébré le Prince-Évêque Hoensbroech dans un Cri du Cœur, ou Étrennes liégeoises3 parue également en 1785 ?

1 BLED J.P., Frédéric le Grand, Paris, Fayard, 2004, p. 345,346.

2 CAPITAINE U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, Desoer, 1850, p. 96.

3 DROIXHE D., Une histoire des Lumières au Pays de Liège, Liège, Éditions de l’Université de Liège, 2007, p. 158.

Frédéric II

Biographie
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GOOCH G.P., Frederick the Great. The ruler, the writer, the man, London, Longmans, Green and C°, VII-363 p.

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Bibliographie
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Les œuvres de Frédéric II sont disponibles sur le site de Gallica.

Jean-Nicolas-Marcellin Guérineau, chevalier de Saint-Péravy
Biographie universelle, ancienne et moderne, ou histoire, par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes (…), À Paris, chez L.G. Michaud, 1825, t. 40, p. 38, 39.

CAPITAINE U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, Desoer, 1850, p. 95-100.

DROIXHE D., Une histoire des Lumières au Pays de Liège, Liège, Éditions de l’Université de Liège, 2007, p. 158-161.

SGARD J. (dir.), Dictionnaire des journalistes, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, vol. 2 p. 374.

 

Frédéric II de Prusse

Né à Berlin le 24 janvier 1712, décédé à Potsdam le 17 août 1786. Frédéric était le petit fils de Frédéric Ier1, le premier roi de Prusse qui mourut un peu plus d’un an après la naissance du futur conquérant de la Silésie. Frédéric-Guillaume, le père de Frédéric, devint le second roi de Prusse et adopta une politique d’économies draconiennes pour le fonctionnement de la cour. Parallèlement, il renforça l’armée en la portant à 80.000 hommes mais la fit participer à très peu de conflits : ayant assisté au carnage de Malplaquet, il se méfiait des enthousiasmes guerriers.

Frédéric fut d’abord confié à des femmes dont Madame de Rocoules, une huguenote française ayant fui la France peu de temps après la révocation de l’édit de Nantes. Elle constitua le premier contact du jeune Frédéric avec la civilisation française. Son père désirait toutefois que son éducation soit confiée à des soldats de telle façon qu’il soit formé à son image. Un protestantisme sans faille devait également lui être inculqué au contraire du latin que Frédéric-Guillaume jugeait inutile pour son fils. L’histoire quant à elle ne devait porter que sur les 150 dernières années. Par contre, les mathématiques furent privilégiées car il s’agissait de lui enseigner les fortifications, la formation d’un camp et les autres sciences de la guerre. Bref, l’éducation prônée par Frédéric-Guillaume pour son successeur était toute tournée vers la guerre et devait être exempte de matières inutiles aux yeux du souverain. Frédéric, sous d’habiles airs de soumissions, désobéissait en secret à son père et se constituait une solide culture générale. Le roi n’était cependant pas dupe et constatait également que son fils supportait mal les rigueurs de la discipline militaire. Il l’accusait de mollesse, d’être efféminé : ne mettait-il pas des gants quand il gelait à pierre fendre ? Plus grave encore est l’indifférence de Frédéric pour les choses de la religion, inacceptable pour son père angoissé par la question du salut de son âme. Bref, les relations entre le père et le fils se détériorèrent rapidement et étaient souvent émaillées des colères violentes du premier. Frédéric supportait de moins en moins la violence paternelle et décida de fuir la Prusse en 1730 en compagnie d’un ami, le lieutenant von Katte. Le projet échoua : le roi décida de faire incarcérer son fils et fit exécuter von Katte sous les yeux de Frédéric. Le roi finit par lui pardonner et leurs relations s’apaisèrent quelque peu : il faut dire que Frédéric s’était doté d’un art consommé de la dissimulation et qu’il avait consenti à se marier à Élisabeth-Christine de Bevern, proposée par son père, même si il n’éprouvait rien pour elle. Il s’établit en 1736 au château de Rheinsberg où il vivra la période de sa vie la plus heureuse. Il pouvait en effet recevoir enfin qui il désirait et s’appliquait à la lecture, à la philosophie et à l’écriture, notamment en concevant des textes rimés. Il écrivit également en 1739 un Anti-Machiavel, ouvrage dénonçant Le Prince de Machiavel, en le démontant point après point. Dénonçant l’incompatibilité entre la morale et la politique décrite par Machiavel, l’auteur condamne également l’appétit de conquête de la majorité des souverains. Une dénonciation amusante quand on connaît une des premières initiatives de Frédéric II peu de temps après son arrivée au pouvoir en 1740, à savoir la conquête de la Silésie, alors sous domination de la Maison d’Autriche. Cette conquête fut confirmée par la Paix de Dresde du 25 décembre 1745. La politique belliqueuse de Frédéric ne se démentit pas par la suite : en août 1756, la Saxe fut envahie, ce qui provoqua un des conflits majeurs du XVIIIe siècle, la Guerre de Sept ans (1756-1763). La Prusse sortit affaiblie de ce conflit et son image écornée tant Frédéric II viola de nombreux accords conclus avec d’autres puissances. Cela ne l’empêcha toutefois pas de s’allier avec ses anciens ennemis (la Russie et l’Autriche) pour procéder au partage de la Pologne, de février à août 1772. La dernière guerre du règne de Frédéric II fut celle dite de la Succession de Bavière : le monarque s’opposa au projet de Joseph II d’échanger les Pays-Bas autrichiens contre la Bavière, une acquisition dont Frédéric II redoutait qu’elle n’augmente trop la puissance de la Maison d’Autriche. Ce conflit se termina à son avantage en mars 1779 par la signature du traité de Teschen.

Le règne de Frédéric II ne fut cependant pas pour la Prusse qu’une succession de guerres. La réforme de la justice fut une des grandes préoccupation du monarque : sous l’influence des Lumières, il entendait réformer celle-ci en la rationalisant et en l’humanisant. Il désirait également être un protecteur du commerce et de l’industrie. Il eut soin de favoriser les manufactures qu’il considérait comme le premier instrument du développement économique. Toujours pour assurer ce dernier, il travailla également à accroître la population en favorisant l’arrivée de diverses populations de Saxe, de Bohême et de Mecklembourg pour favoriser la production et la consommation. L’activité économique avait - déjà ! - besoin d’une régulation et il créa à cet effet la Banque royale de Berlin dont le capital était alimenté par l’État. Il réformera également la perception des impôts indirects et des droits de douanes en créant l’Administration générale des droits du roi. Par contre, il n’abolit pas le servage, même si il en caressa le projet au sortir de la guerre de Sept ans : la noblesse sur laquelle s’appuyait la monarchie était trop puissante pour accepter cela.

1 Pour cette esquisse biographique, nous nous sommes principalement inspirés de la biographie écrite par Jean-Paul Bled intitulée : Frédéric le Grand (Paris, Fayard, 2004, 640 p.).

Lettre de Frédéric II de Prusse
Support : un feuille de papier, un pli

Hauteur : 236 mm
Largeur : 383 mm

Cote : 19346/675

Enveloppe
Hauteur : 98 mm
Largeur : 175 mm

Cote : 19346/675