Lettre du 27 février 1808

Cabinet topographique de l’Empereur

Je vous prie monsieur de vouloir bien m’envoyer le plus tôt possible les meilleurs uvrages que vous pouvez connoitre sur l’Espagne surtout en fait de statistique Population routes
Je vous prie d’y joindre le tableau de l’Espagne moderne par monsieur Bourgoing (surtout ses cartes et le livret de Poste qu’il renferme
Le tout pour le service du cabinet de Sa majesté qui vient de me charger d’un travail pressant sur cet objet.
Agréez ma parfaite considération.
L’adjudant commandant chargé du
Cabinet topographique de Sa majesté.

Bacler D albe


Aux Thuilleries (sic) 27 février 1808.

Nous n’avons pas réussi à déterminer le destinataire de la lettre signée de Bacler d’Albe, aucune enveloppe n’étant jointe à ce courrier et aucune adresse n’étant indiquée à son verso. Il est très vraisemblable toutefois que cette missive était adressée à un bibliothécaire au vu de ce qui est demandé : « les meilleurs ouvrages (…) sur l’Espagne surtout en fait de statistique population routes ». Il insiste sur un ouvrage, celui de Jean-François de Bourgoing intitulé Tableau de l’Espagne moderne, ouvrage en 3 volumes in-8° en plus d’un atlas in-4°. Il est difficile toutefois de se prononcer sur l’édition de cet ouvrage : s’agit-il de celle de 1803 (2e édition) ou celle de 1808 (3e édition) ? Nous ne savons pas si cette dernière est sortie avant ou après le courrier de Bacler d’Albe. Peu importe : le plus important est qu’il avait été chargé d’un « travail pressant sur cet objet ». Nous avons vu dans la courte biographie de quel travail Bacler était souvent chargé par le souverain : la préparation des cartes en campagne. Il y a fort à parier que les intentions de Napoléon étaient tout sauf pacifiques, surtout quand on connaît le contexte dans lequel fut conçue cette lettre.

On sait en effet que quelques années auparavant, le Portugal avait refusé d’appliquer le blocus envers l’Angleterre. Napoléon désirait faire cesser le commerce entre ces deux pays et comptait sur l’aide de l’Espagne pour s’occuper du Portugal. Le partage du Portugal fut décidé en octobre 1807 par le traité de Fontainebleau : le sud serait attribué à Manuel Godoy (chef du gouvernement espagnol), le nord à la Reine d’Étrurie Marie-Louise, le Centre avec la capitale était réservé pour un échange de territoire ultérieur. Junot, à la tête de 25.000 soldats français s’empara de Lisbonne le 30 novembre 1807. Cédant à ses convoitises, Godoy avait ouvert les portes de l’Espagne aux armées de Napoléon qui s’infiltraient sans difficultés dans la péninsule sous prétexte de préserver le Portugal d’une action militaire de l’Angleterre. Napoléon était tenté de renverser les Bourbons de Madrid comme il l’avait fait fort aisément avec ceux de Naples fin décembre 1805. Il l’était d’autant plus qu’il était sollicité par la cour d’intervenir dans les affaires espagnoles. L’infant Ferdinand, prince des Asturies, désirait le renversement de Godoy et proposa à Napoléon, dans une lettre d’octobre 1807, d’épouser une princesse de la famille de l’Empereur en échange de son appui contre Godoy. Ce dernier découvrit le complot ourdi contre lui : il réussit à convaincre le roi Charles IV d’arrêter son fils. Ce dernier implora le pardon de son père qui priait napoléon de l’aider de ses conseils. C’est toutefois la révolte d’Aranjuez qui fournit à l’empereur l’occasion d’intervenir. Cette émeute se déroula le 17 mars soit peu de temps après que fut conçue la missive de Bacler d’Albe nous intéressant ici. Fruit d’une intrigue aristocratique et d’un mécontentement du peuple hostile à Godoy, la révolte d’Aranjuez provoqua la chute de ce dernier. Napoléon convoqua la famille royale à Bayonne pour arbitrer le conflit entre le souverain espagnol et son fils. L’opinion espagnole fut choquée de voir les affaires espagnoles réglées par un souverain étranger et les émeutes durement réprimées par Murat les deux et trois mai (les fameux Dos et Tres de Mayo de Goya) augmenta encore l’indignation non sans exaspérer le sentiment national dans la péninsule. Napoléon en profita pour terroriser les Bourbons. Au terme d’une entrevue violente, Ferdinand rendit sa couronne à son père qui lui-même abdiqua en faveur de Napoléon. Ne souhaitant pas la couronne pour lui-même, ce dernier la confia à son frère Joseph qui l’accepta à contrecœur. Il est vrai que la situation se détériora rapidement : une armée insurrectionnelle se constitua et mit à mal la réputation d’invincibilité de l’armée française. Elle s’enlisa en effet les années suivantes dans la péninsule et coûta énormément au trésor français : la guerre avait cessé de rapporter de l’argent… Pire encore : cette guerre d’Espagne avait sauvé l’Angleterre de la crise économique en fissurant le blocus continental, l’insurrection ayant affaibli le système côtier installé par Napoléon. En France même, sa politique espagnole fut mal accueillie : les notables, considérant avec inquiétude l’intervention au-delà des Pyrénées, se détachèrent de l’empereur. Les classes populaires en firent de même du fait d’une conscription de plus en plus impérieuse. À Sainte-Hélène, Napoléon dut lui-même reconnaître les conséquences désastreuses de cette guerre : « Cette malheureuse guerre d’Espagne a été une véritable plaie, la cause première des malheurs de la France. »1

1 TULARD J., Napoléon ou le mythe du sauveur [nouvelle édition, revue et augmentée], Paris, Fayard, 1992, p. 335-352.

BENEZIT E., Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d'écrivains spécialistes français et étrangers. Nouvelle édition entièrement refondue sous la direction de Jacques Busse, Paris, Gründ, 1999, p. 613.

BENOIT C., Bacler d’Albe : la passion du dessin au service de Bonaparte.
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BERTHAUT H., Les ingénieurs-géographes militaires, 1624-1831 : Étude historique, 2 volumes, Paris, Service géographique de l’armée, 1898-1902, 2 t., XVI-467 / X-526 p.

BOUILLET M.N., CHASSANG A. (dir.), « Louis Albert Guislain Bacler d'Albe » dans Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, Paris, Librairie Hachette et Compagnie, 1878, p. 157.

Patrice Bret, Le dépôt général de la guerre et la formation scientifique des ingénieurs géographes militaires en France (1789-1830), 1989. B.R. : catalo, non

Dictionnaire historique et biographique des généraux français, Paris, 1820, t.1, p.168.

DESPAX M., Le général Bacler d'Albe, topographe de l’empereur et son fils, Mont-de-Marsans, Ed. Jean-Lacoste, 1954, 123 p.

EDMONT E., « Le général Bacler d'Albe », in Galerie Ternésienne, ou Dictionnaire biographique des personnages les plus remarquables de l'ancien comté de Saint-Pol ou de l'arrondissement actuel de ce nom, Saint-Pol, Imprimerie de J. Dubois, 1910, p.16.

FRANCESCHINI E., « Bacler d’Albe (Louis-Albert-Ghislain, baron) », in PREVOST M., ROMAN D’AMAT J.C. (dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, Librairie Letouzey et Ané, t. IV, 1948, col. 1103-1104.

JOURQUIN J., « Bacler d’Albe (Louis-Albert-Ghislain, baron) », in TULARD J. (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1987, p. 151.

LARTIGUE A., « Bacler d'Albe (1761-1824) », in Bulletin de la Société des Amis de Meudon-Bellevue, n° 4, septembre 1937, p. 83.

« Louis Albert Guislain Bacler d'Albe », in MULLIÉ C., Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, Paris, Poignavant, 1852, 2 vol., 574-559 p.
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Le service géographique de l'Armée. Son histoire. Son organisation. Ses travaux, Paris, Imprimerie du ministère de la Guerre, 1938, III-198 p.

TROUDE M., Le baron Bacler d'Albe, maréchal de camp, Imprimerie Pierre Dubois, Saint-Pol-sur-Ternoise, 1954, 101 p.

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Louis Albert Ghislain Bacler d’Albe

Né à Saint-Pol-sur-Ternoise le 21 octobre 1761, décédé à Sèvre le 12 septembre 1824. Louis Albert Ghislain Bacler d’Albe était le fils d’un ancien quartier-maître, trésorier du régiment de Toul, qui devint directeur des postes à Amien1. Après de brillantes études où il montra du talent pour le dessin et les sciences naturelles, Louis Albert Ghislain devint commis de son père mais, tourmenté par son goût pour les beaux-arts, il décida de se rendre en Italie. En route, il fut séduit par les paysages montagneux et s’établit à Sallanches (en Savoie) durant sept ans. Il y fit la levée du Haut-Faufigny, devenant par la même occasion peintre et géographe.

Gagné par les idées nouvelles, il s’enrôla au deuxième bataillon de l’Ariège en mai 1793. Il devint capitaine des canonniers en octobre 1793 et se distingua aux sièges de Lyon et de Toulon. Désigné ensuite adjoint aux adjudants-majors du parc d’artillerie de l’armée d’Italie, il servit à Nice en 1794 et l’année suivante. En 1796, il fut nommé officier géographe dessinateur et envoyé en Italie. Ses talents le firent remarquer de Bonaparte qui le chargea de lever les plans de la côte de Nice à Savone. Il commença le dessin d’une carte de la péninsule italienne en 1797 dont les trente premières feuilles étaient prêtes quand elles furent saisies par les Autrichiens. Elles lui furent restituées après la Paix de Lunéville signée le 9 février 1801. Curieusement, il n’eut pas connaissance de sa lettre de service pour l’expédition d’Égypte à laquelle il ne participa donc pas. Le 22 septembre 1799, il fut placé à la tête des ingénieurs-géographes du dépôt de la guerre, ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre parallèlement ses activités de paysagiste. Son ascension se poursuivit ensuite puisqu’il fut désigné chef d’escadron en 1801 et surtout chef du bureau topographique au sein du cabinet de l’empereur en 1804. Dès lors, Bacler d’Albe ne quitta plus Napoléon et son rôle à ses côtés fut essentiel. En campagne, il couchait dans la tente du souverain : il préparait les cartes, y indiquait les positions des corps d’armée ou encore calculait les distances au compas. Il suggérait également à Napoléon les moyens d’attaques et les lignes de tir. Il fut donc sans doute le plus fin connaisseur de la pensée militaire de l’empereur, plus encore que Berthier.

À Paris, son œuvre fut également considérable : il rassembla, corrigea et améliora des cartes de toute l’Europe. Il résulta de ce travail la Carte de l’Empereur, commencée en 1809 et terminée en 1812.

Sa grande proximité avec l’empereur et son travail lui valut d’être nommé colonel le 21 juin 1807, adjudant-commandant moins d’un mois plus tard et enfin général de brigade le 24 octobre 1813. Il accéda également à la noblesse d’empire en étant fait baron en février 1810. Néanmoins, toutes ces années passées avec Napoléon l’épuisèrent et il obtint d’abandonner ses fonctions pour celle de directeur du dépôt de la Guerre à Paris en mars 1814. Il fut confirmé dans ses responsabilités par Louis XVIII en mai 1814, puis nommé chef de division au ministère durant les Cents-Jours avant d’être placé en demi-solde en juillet 1815. Les frais de la campagne de Russie et le pillage de sa maison de Sèvres par les Prussiens entraînèrent sa ruine et le contraignirent à reprendre ses pinceaux et crayons : il conçut nombre de peintures à l’huile, gouaches, lithographie et gravures. Il mourut à Sèvres le 12 septembre sans avoir écrit ses mémoires, un fait éminemment regrettable au vu sa carrière dans l’entourage proche de Napoléon.

1 Cette courte biographie est basée principalement sur la notice de Jacques Jourquin parue dans le Dictionnaire Napoléon (p. 151, cf. orientation bibliographique) et accessoirement sur celle de É. Franceschini parue dans le Dictionnaire de biographie française (col. 1103, 1104, Cf. orientation bibliographique).

Support : une feuille de papier, un pli

Hauteur : 314 mm
Largeur : 400 mm

Cote : 19346/147