Lettre à Joseph II, 23 octobre 1781

Mon cher beau-frère, je connais trop bien votre amitié pour moi pour tarder plus longtemps de vous faire part de la naissance d’un dauphin que vient de me donner la reine votre bien aimée sœur. Il est né à Versailles le 22 du présent mois d’octobre, bien portant, bien constitué, et j’espère qu’il nous a été donné par la bonté divine pour faire le bonheur de la France, de la Reine et de toute sa famille. L’apparence de santé qu’il montre fait notre joie car la grossesse avait eu quelques accidents qui avoient alarmé mon cœur. Je ne saurais vous rendre le bonheur de la reine d’avoir un garçon, elle m’a chargé de vous redire qu’elle a voulu lui donner votre nom et qu’il s’appellera Louis Joseph François Xavier.

Je finis, mon cher beau-frère en vous priant de ne pas douter de tous mes sentiments personnels et de mon amitié constante pour vous, je vous écris en toute hâte.

 

Louis


Versailles ce 23 octobre 1781
La reine à qui j’ai annoncé que j’allais écrire à votre majesté m’avait demandé de signer cette lettre pour vous prouver son amitié et sa santé, je vous garantis l’un et l’autre. Tout le monde ici est dans la joie.

 

Louis.


[Adresse]
A Monsieur mon frère et beau-frère l’empereur d’Allemagne.

Ce courrier à la joie non feinte1 annonçait une excellente nouvelle, tant pour la couronne de France que pour la maison d’Autriche : la naissance du dauphin renforçait en effet l’alliance conclue en 1756 entre les deux monarchies. L’empereur Joseph II n’était pas étranger à la fécondité du couple formé par sa sœur Marie-Antoinette et Louis XVI. Longtemps en effet, cette union demeura stérile, au grand mécontentement de l’impératrice Marie-Thérèse et de son ambassadeur à Paris Mercy-Argenteau. Il fallait réagir : en plein accord avec sa mère Marie-Thérèse, Joseph II décida de se rendre en France en 1777 pour rappeler à sa sœur ses devoirs d’épouse et de reine mais aussi pour resserrer l’alliance de 1756. Arrivé à Paris en avril, des conversations d’ordre politique furent vite échangées mais le monarque français restait sur ses gardes et se montrait souvent impénétrable. Louis XVI s’ouvrit bien davantage sur son chagrin de ne pas avoir encore d’enfants et alla très loin dans les confidences. En fait, le mariage ne semblait pas parfaitement consommé et Joseph s’en expliqua à son frère Léopold, alors grand-duc de Toscane, dans un courrier au style très fleuri : « Voici le secret : dans le lit conjugal, il a des érections fortes, bien conditionnées ; il introduit le membre, reste là sans se remuer, deux minutes peut-être, se retire sans jamais décharger, toujours bandant, et souhaite le bonsoir. Cela ne se comprend pas, car avec cela il a parfois des pollutions nocturnes : mais en place ni en faisant l’œuvre, jamais ; et il est content disant tout bonnement qu’il ne faisait cela que par devoir et qu’il n’y avait aucun goût. Ah ! Si j’aurais pu (sic) être présent une fois, je l’aurais bien arrangé ! Il faudrait le fouetter, pour lui faire décharger de colère comme les ânes. Ma sœur, avec cela, a peu de tempérament, et ils sont là deux francs maladroits ensemble »2. Joseph comprit aussi que Marie-Antoinette fuyait systématiquement la maternité. Il la sermonna durement à ce sujet à plusieurs reprises et lui rappela ses devoirs tout en agitant la menace de la répudiation3. Il eut également une longue conversation avec son beau-frère pour lui faire profiter de son expérience des femmes et lui donner des conseils sur la manière de traiter sa sœur, tant physiquement que moralement4. Il semble que l’action de l’empereur fut bénéfique : après son départ, les rendez-vous amoureux du couple royal gagnèrent en longueur et finirent par être fructueux avec la naissance de leur premier enfant, Marie-Thérèse de France. Les historiens se sont longtemps opposés sur l’hypothèse d’un phimosis du roi empêchant la parfaite consommation du mariage. Dans l’état actuel des connaissances, rien ne permet cependant de la confirmer ou de l’infirmer5. Il est certain toutefois que les conseils de Joseph II eurent un effet positif et Louis XVI lui en sut gré6.
Le dauphin fut le deuxième enfant de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Quoiqu’en prétendit cette dernière dans le courrier nous intéressant ici, le roi donna à l’enfant les prénoms du duc de Bourgogne, frère aîné du monarque, mort de tuberculose en 1761 à l’âge de neuf ans7. Les superstitieux verraient sans doute un mauvais augure dans cet hommage rendu à l’oncle défunt du dauphin. Il est vrai que la santé de l’enfant s’avéra bien vite problématique et il contracta également la tuberculose. Son état empira rapidement et les médecins s’avérèrent impuissants face à la progression du mal. Le dauphin rendit l’âme le mardi 4 juin 17898. Ses restes furent dispersés par les révolutionnaires français le jour où sa mère monta sur l’échafaud9.

1 Louis XVI fut ému aux larmes en annonçant à Marie-Antoinette que le nouveau-né était un garçon (PETITFILS J.C., Louis XVI, Paris, Perrin, 2005, p. 270).
2 PETITFILS J.C., Louis XVI (…), op. cit., p. 265-267.
3 Ibidem, p. 267.
4 FAY B., Louis XVI ou la fin d’un monde, Paris, Éditions de la Table Ronde, 1981, p. 154.
5 LEVER E., Les dernières noces de la monarchie, Paris Fayard, 2005, p. 201.
6 « C’est à vous que nous devons ce bonheur » écrivit le roi au corégent en décembre, « car depuis votre voyage, cela a été de mieux en mieux jusqu’à parfaite conclusion. Je compte assez sur votre amitié pour en oser vous faire ces détails. », in LEVER E., Les dernières noces de la monarchie, op.cit., p. 201.
7 PETITFILS J.C., Louis XVI (…), op. cit., p. 33, 270.
8 Ibidem, p. 658-660.
9 Ibidem, p. 960.

CRONIN V., Louis and Antoinette, s.l., Borgo Press, 1996

FAY B., Louis XVI ou la fin d’un monde, Paris, Éditions de la Table Ronde, 1981, 375 p. (préface de Ghislain de Diesbach).

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GENDRON F., "Louis XVI", in SOBOUL A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 683-686 (rééd. Quadrige, 2005).

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VINCENT B., Louis XVI, Paris, Gallimard, 2006, 352 p. (coll. Folio biographies, 12).

Louis XVI

Né à Versailles le 23 août 1754, décédé à Paris le 21 janvier 1793. Louis XVI était le petit-fils de Louis XV et le fils du dauphin Louis et de Marie-Josèphe de Saxe1. Il devint héritier du trône à la mort de son père en 1765. Fort instruit en littérature, en histoire et en géographie, son éducation de futur souverain fut pourtant négligée et, du reste, la perspective du pouvoir l’ennuyait profondément. En 1770, il épousa Marie-Antoinette, archiduchesse d’Autriche avec qui il eut -tardivement- quatre enfants (cf. analyse). Il accéda au trône en 1774. Son règne ne fut qu’une succession d’évènements fâcheux (mauvaises récoltes, hivers très rigoureux, etc.) et fut en outre marqué par l’ébranlement des structures de l’Ancien Régime qui finit par s’écrouler comme l’on sait. La première mesure d’importance du roi fut malheureuse : en août 1774, il renvoya en effet le chancelier Maupeou qui, sous le règne précédent, combattit les parlements avec succès. Louis XVI rappela ces derniers et restaura ainsi le pouvoir des privilégiés. Il nomma Maurepas comme principal ministre d’État et -surtout- porta Turgot à la tête des finances. Celui-ci espérait bien résoudre la crise financière par des économies budgétaires. Il rétablit aussi la liberté du commerce des grains, abolit les corporations et la corvée royale. Inquiets, les privilégiés présentèrent des remontrances via les parlements. Louis XVI soutint un temps le ministre avant de demander sa démission en mai 1776. Le successeur de Turgot (Clugny de Nuits) abolit toutes ces réformes. Necker fut ensuite appelé par le roi en juin 1777. Ce banquier protestant d’origine suisse mena une politique d’économies budgétaires. Toutefois, la guerre d’indépendance soutenue par la France fit multiplier les emprunts et creusa terriblement le déficit des finances. Harcelé par les courtisans, les parlementaires et les fermiers généraux, Necker fit appel à l’opinion en publiant un Compte rendu au roi où il dévoilait les gaspillages de la cour et les pensions somptueuses accordées aux courtisans. Le roi le renvoya en mai 1781. Par la suite, les hommes se succédèrent (Joly de Fleury, Lefèvre d’Ormesson, Calonne, etc.) sans que la situation catastrophique des finances ne changeât. À ce problème récurrent, il faut ajouter les libelles toujours plus violents (surtout envers Marie-Antoinette) mais aussi l’affaire du collier de la reine (1785) trop longue à décrire ici mais qui jeta un lourd discrédit sur la cour. Acculé, le roi n’eut d’autre choix que de convoquer les États généraux en 1788.
Face aux évènements révolutionnaires, Louis XVI fut incapable de comprendre la montée de la bourgeoisie et prit appui sur la réaction aristocratique pour sauvegarder l’absolutisme. Il cassa ainsi la décision du Tiers qui s’était proclamé en Assemblée nationale. De même, il tenta d’imposer le vote par ordre avant de céder en ordonnant la délibération en commun. En concentrant des régiments autour de Paris et en renvoyant Necker, il provoqua la prise de la Bastille. Il adopta la cocarde tricolore mais refusa de sanctionner la Déclaration des droits de l’homme et les décrets abolissant le régime féodal. Le roi et sa famille furent ramenés à Paris en octobre 1789 et devinrent prisonniers de fait. Louis XVI fut ensuite consterné par la Constitution civile du clergé et finit par compter sur les émigrés et une possible intervention militaire de l’Autriche. Il prit la fuite avec sa famille mais fut arrêté à Varennes (juin 1791) et ramené de nouveau à Paris. Persuadé de la défaite des armées révolutionnaires, il vota la guerre « au roi de Bohême et de Hongrie » (avril 1792). Après les premiers échecs des armées françaises, Louis XVI opposa son veto aux mesures de salut public votées par les Girondins. Une émeute populaire en résulta le 20 juin mais le monarque tint tête. Le manifeste de Brunswick parut le 25 juillet et portait de lourdes menaces envers les Parisiens si ceux-ci ne se soumettaient pas de suite à leur roi. Cet ultimatum provoqua la journée sanglante du 10 août durant laquelle les Tuileries (résidence du roi et de sa famille) furent envahies par une foule déchaînée : les gardes suisses et le personnel furent massacrés. Louis XVI et sa famille se réfugièrent à l’Assemblée : on les incarcéra ensuite à la Maison du Temple. Sitôt la Convention nationale établie, celle-ci abolit la monarchie le 21 septembre 1792. Restait donc à régler le sort du roi : un procès devenait inévitable. Celui-ci se déroula dans de piètres conditions et ne fut instruit qu’à charge. Toutes les pièces qui auraient effectivement permis au roi de se défendre furent soigneusement écartées. Reconnu coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d’attentat contre la sûreté de l’État, il fut condamné à mort et décapité sur la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde) le 21 janvier 1793.

1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré principalement de l’article de F. Gendron (cf. orientation bibliographique).

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