Lettre à l’imprimeur Mauget, 22 octobre 1798
Citoyen
Je ne connois point Madame de Lervy et je n’ai point le projet de faire imprimer un nouvel ouvrage, surtout si loin de moi.
Je vous prie, au reste, Citoyen, d’observer que je ne recois aucune lettre inconnue sans etre affranchie. Il est heureux que j’aye par hazard, ouvert la votre qui autrement seroit restée sans réponse. Vous auriés pu prendre mon silence pour un manque de bienséance et j’en aurois été faché.
Salut et fraternité.
De Saint Pierre
A Paris ce 1er brumaire an 7
[adresse au verso]
Au Citoyen Mauget
imprimeur
a Geneve
[apostille au-dessus de l’adresse, d’une écriture différente de celle de Bernardin de Saint-Pierre]
Paris 1 Bumaire 7
Bernardin de Saint-Pierre
Reçu le 6
La lettre à Mauget qui date du 22 Octobre 1798 (1 Brumaire de l’an 7) et qui se trouve dans la Collection des Autographes du baron de Stassart (4275) est une lettre courte de ton très sec. Bernardin se méfie des libraires, surtout ceux qui résident et publient loin de Paris, car il craint la contrefaçon et une impression qu’il ne peut pas contrôler. Bernardin utilise la salutation révolutionnaire, ‘Citoyen’ pour ce personnage étranger qu’il ne connaît pas. Il est évident que cette lettre est une réponse à une demande de Mauget et que Mauget espère que par l’intermédiaire d’une Madame de Lervy, sa demande sera acceptée. Nous ne possédons pas la lettre de Mauget. Bernardin maintient qu’il ne connaît pas Madame de Lervy (et elle ne figure pas dans la correspondance telle que nous la connaissons). Mauget a, semble-t-il, de la chance car c’est par hasard que Bernardin a ouvert la lettre. À l’époque il fallait payer pour recevoir les lettres et Bernardin maintient souvent qu’il a de très nombreux correspondants et que, par conséquent, il ne peut pas les recevoir toutes, faute d’argent. On peut donc se demander pourquoi il a ouvert et lu la lettre de Mauget - mais une fois la lettre ouverte, il se sent obligé de répondre et cette réponse est formelle, polie et se fait en termes révolutionnaires ‘Salut et fraternité’.
L’adresse de la lettre peut nous sembler incomplète, mais il faut penser que l’imprimeur Mauget est bien connu à Genève. On trouve dans les annonces de livres de l’époque de très nombreuses références à l’Imprimerie de Mauget à Genève.
Malcolm Cook
Professeur émérite de l'University of Exeter
COOK M., Bernardin de Saint-Pierre, a life of culture, Oxford, Legenda, 2006, 182 p.
Paul et Virginie, Paris, Librairie générale française, 1999, 348 p., présentation, notes et variantes par J.-M. RACAULT (Coll. Livre de Poche).
Études de la Nature, Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2007, 623 p., édition présentée et annotée par C. DUFLO (Coll. Lire le dix-huitième siècle).
Correspondance de Bernardin de Saint-Pierre sur Electronic Enlightenment, éditée par M. COOK et alii : http://www.e-enlightenment.com/info/
Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre
Né au Havre le 19 janvier 1737, mort à Eragny-sur-Oise le 21 janvier 1814, cet auteur, est connu maintenant surtout pour son roman, Paul et Virginie qui parut dans le 4e volume de la troisième édition des Études de la nature en 1788. La première édition des Études parut en 1784 et connut un grand succès.
Avant de s’installer à Paris au début des années 1770, Bernardin avait beaucoup voyagé: tout jeune, à la Martinique sur un bateau dirigé par son oncle, ensuite, après des études chez les Jésuites en Normandie, et L’École des Ponts et Chaussées à Paris, il se rendit en Hollande, en Russie, en Pologne , en Prusse. Après un bref séjour à Paris il partit à L’Île de France (Maurice) où il passa deux ans (1768-1770). Il revint à Paris, fit la connaissance de Jean-Jacques Rousseau et devint son ami. Il fut introduit par d’Alembert dans le salon de Julie de Lespinasse.
Il publia en 1773 le récit de son voyage à l’Ile de France et, vivant surtout grâce à la bienfaisance du roi, il se mit à composer les Études de la nature. Il proposa dans ce texte que les marées étaient causées non pas par la gravitation de la lune, mais par la fonte et le gel des pôles; il soutenait aussi que la terre était allongée aux pôles. Ses idées scientifiques étaient contestées par de nombreux correspondants. La correspondance complète de l’auteur paraît dans Electronic Enlightenment. Elle compte plus de 2500 lettres.
En 1789 il publia ses Vœux d’un solitaire, en 1791 une nouvelle intitulée La Chaumière indienne. Pendant la Révolution c’est un personnage célèbre mais il participe peu à la politique, prétendant qu’il ne pouvait pas supporter de se trouver dans une salle close. En juillet 1792 le roi Louis XVI le nomma intendant du Jardin du Roi, poste qu’il occupa pendant un an. Il épousa en 1792 la fille de son imprimeur, Félicité Didot avec qui il eut trois enfants dont deux seulement survécurent, Paul et Virginie. Cette première épouse mourut en 1799 et il se maria en 1800 avec Désirée de Pelleport, qui lui survécut et qui épousa plus tard, son secrétaire Louis Aimé-Martin, éditeur des œuvres et œuvres posthumes de l’auteur pendant la première moitié du 19e siècle. Ces œuvres posthumes comprenaient un roman L’Amazone, que l’auteur semble ne pas avoir complété, et Les Harmonies de la Nature que l’auteur annonce depuis 1796 mais dont l’édition complète ne vit pas le jour du vivant de son auteur.
En 1795 il est nommé Professeur de Morale Républicaine à la nouvelle École Normale instituée par la Convention, et en 1795 il fut nommé membre de l’Institut de France. Il fut élu à l’Académie Française en 1803
Bernardin de Saint-Pierre a laissé de très nombreux manuscrits qui se trouvent surtout à la Bibliothèque Municipale du Havre, acquis au cours du 19e siècle. Une nouvelle édition des Œuvres complètes de l’auteur est en préparation, ainsi que l’édition critique de sa correspondance.
Cette correspondance est riche et variée. Elle comprend des lettres de lecteurs et de lectrices, des lettres d’amour, des lettres qui concernent le droit, la politique, la science, la religion, la philosophie. La correspondance comprend des lettres de ou à Hennin, Mesnard, D’Alembert, Mme de Genlis, Mme Challe. Bernardin critiquait le système de la librairie de l’époque qui ne protégeait pas les droits de l’auteur. Des éditions contrefaites de ces œuvres lui ont fait un grand mal financier et il demande constamment dans sa correspondance et ailleurs que les droits de l’auteur soient protégés par la loi.
Malcolm Cook
Professeur émérite de l'University of Exeter
Support : une feuille de papier
Hauteur : 186 mm
Largeur : 238 mm
Cote : 19346/4275