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Lettre au baron Goswin de Stassart, 14 juillet 1811

Monsieur le Baron,

Je suis très sensible au souvenir flatteur que vous daignez me conserver. Je reçois le diplôme de la Société littéraire de Bruxelles avec reconnoissance. Croyez, monsieur le Baron, que le peu d’instans que j’ai eu le bonheur de passer avec vous, ne s’effacent point de ma mémoire, et que je suis fier d’être le compatriote d’un homme tel que vous.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Baron, avec la plus parfaite considération, votre affectionné serviteur.

à l’Hermitage de J.J. Rousseau à Montmorency, 14 juillet 1811.

Grétry

[Adresse :]
À Monsieur,
Monsieur le Baron de Stassart, préfet du département des Bouches de la Meuse,
à LaHaye.

Voici une lettre écrite de la main d’un Grétry au crépuscule de son existence (1811). Auréolé de gloire - ses opéras restaient les plus joués, de l’Ancienne à la Nouvelle France -, et reconnu par ses pairs, le compositeur cessa pourtant dès 1798 toute écriture musicale pour se consacrer à celle de la « philosophie ». La perte de ses trois filles le meurtrit et, retranché à l’Ermitage de Montmorency, Grétry poursuivit l’écriture de ses Mémoires, Essais et Réflexions jusqu’à sa mort, en 18131. En tous points, le compositeur, qui nourrissait un véritable culte à Jean-Jacques Rousseau, tâchait de marcher dans les pas du philosophe, des thématiques abordées dans ses écrits à son mode de vie reclus. Il aimait d’ailleurs à le rappeler, comme dans la signature de cette lettre.

Le document qui nous intéresse confirme que le baron de Stassart et son illustre correspondant se sont déjà rencontrés par le passé. En effet, Goswin de Stassart, fraîchement débarqué à Paris et bien conseillé dans sa quête de relations nouvelles, fut introduit auprès de Grétry par Louis Mercx, le 1er août 18022. L’entente fut apparemment plus que cordiale puisque peu de temps après, le compositeur proposa ses services à Goswin de Stassart afin de rencontrer Cambacérès3.
Une hypothèse peut être émise sur l’origine de la sympathie qui unit les deux hommes. Tous deux originaires des mêmes régions (« je suis fier d’être le compatriote d’un homme tel que vous »), ils partagaient surtout les idéaux politiques et philosophiques du moment, lors de l’arrivée de Bonaparte au pouvoir. Grétry ne s’en est d’ailleurs jamais caché : son opéra comique Guillaume Tell glorifie le régicide par un peuple en révolte, tandis que le nouveau régime en place l’associa au culte républicain. Figurant parmi les premiers membres élus à l’Institut de France, Grétry est qui plus est représenté par David dans le tableau immortalisant le sacre de l'empereur. Quant à Goswin de Stassart, josephiste et républicain affiché, il connut un parcours brillant et fut nommé préfet des Bouches-de-la-Meuse lors de la création du département après l’annexion du Royaume de Hollande en 1811. Il fut chargé en outre de mettre en place la nouvelle administration française, depuis le siège administratif de La Haye où Grétry lui adressa ce courrier.

La relation d’amitié entre eux perdura donc, puisque moins d’une dizaine d’années plus tard, Goswin de Stassart proposa à Grétry de devenir membre associé de la Société de Littérature de Bruxelles. Ce dernier accepta et en accuse, dans notre document, la réception du diplôme.
Cette société regroupait une poignée d’hommes choisis, cultivés et illustres, ambassadeurs et hauts fonctionnaires du régime français. Elle reçut une attention toute particulière de la part du baron de Stassart, qui prit soin d’y faire élire quelques-uns de ses amis proches4. Même si les écrits de Grétry sont plus intéressants que la postérité a bien voulu en juger et que l’on ne peut nier l’attrait indéniable qu’un nom aussi illustre que le sien peut conférer à l'association, sa réception au poste d’associé s’avère relever davantage du remerciement (un service donné naguère pour un rendu aujourd’hui…) que du geste philanthropique. Goswin de Stassart aura beau clamer dans une lettre au baron de Trappé tout le bien qu’il pense du compositeur, le préfet ne demeura pas moins un homme peu mélomane, voyant surtout dans cette action l’affirmation d’une amitié toute personnelle. Serait-ce là quelques soubresauts avant-gardistes aux hommages rendus par la jeune nation belge, tout juste indépendante, et pour laquelle le baron de Stassart édifiera, avec d’autres, le panthéon des nouvelles icônes « belges », quelques décennies plus tard ?

Grégory Van Aelbrouck
Académie royale de Belgique


1 Mémoires ou Essais sur la musique (1789-1797), De la Vérité, ou ce que nous fûmes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être (1801), Réflexions d’un solitaire (1801-1813).
2 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 32.
3 Archives de l’Académie royale de Belgique (AARB), 19345, n°957. Lettre du 4 juillet 1803.
4 THIELEMANS M.-R., Goswin (...), op. cit., p. 143.

DURON J. (dir.), Grétry en société, Mardaga, Wavre, 2009, 254 p. (coll. Regards sur la Musique) .

THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, 832 p. (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).

TROUSSON R., « Grétry admirateur de Rousseau », in DROIXHE D., GOSSIAUX P.P., HASQUIN H., MAT-HASQUIN M. (dir.), Livres et Lumières au Pays de Liège (1730-1830), Liège, Desoer, 1980, p. 349-363.

André-Ernest-Modeste Grétry

Né à Liège le 8 février 1741, décédé à Montmorency, le 24 septembre 1813.

Il nquit à Liège, où il reçut sa formation musicale, Grétry fit assez tôt un séjour fondateur à Rome, le mettant en contact avec le style italien, quelques années seulement après la Querelle des bouffons. Il en retint le naturel de la musique italienne et tacha d’y associer la déclamation française.
Très vite, son premier succès joué à Paris, Le Huron, opéra comique sur un livret inspiré de L’Ingénu de Voltaire, le propulsa aux devants de la scène, à l’âge de vingt-sept ans. Compositeur favori de Marie-Antoinette, ses opéras comiques, sur des livrets de son complice Jean-François Marmontel, connurent de véritables succès, tant à Versailles qu’à Paris.

Grétry fit partie de la même génération que Gossec et Philidor, sollicitée dès les années 1770-1775 afin d’expérimenter de nouvelles formes musicales tout en les conciliant avec celles du grand répertoire louis-quatorzien. Andromaque, son unique tragédie, directement inspirée des vers de Racine, est le témoigne de cette époque tantôt nostalgique, tantôt expérimentale. Si Gluck fut imposé par la reine et triompha dans la tragédie, Grétry se tailla la part du lion dans le répertoire comique et populaire, tandis que Gossec abandonna l’opéra. À ce moment, les succès s’enchaînèrent (Zémire et Azor, La Fausse Magie, Céphale et Procris, L’Amant jaloux ou La Caravane du Caire), jusqu’au départ de Gluck, où le Liégeois put enfin concentrer entre ses mains les deux répertoires. Ce n’est finalement que de courte du durée, puisque la Révolution éclata après quelques mois.

Grétry ne sera toutefois pas mis au ban durant la période révolutionnaire, bien au contraire. Si l’air O Richard ! O mon Roy (Richard-Cœur-de-Lion) fut repris comme hymne royaliste, l’opéra Guillaume Tell sera celui des Révolutionnaires, celui d’un peuple en révolte triomphant d’un roi sanguinaire. Le succès de Grétry fut d’ailleurs tel à cette époque qu’il fut le premier compositeur à bénéficier significativement des droits d’auteurs, institués par la Révolution.

Le régime napoléonien le consacra finalement, aux côtés de Gossec, Méhul ou Le Sueur, en le faisant siéger à l’Institut de France et en lui confiant la direction des premières écoles de musique.
Il s’éteignit en 1813, après avoir écrit plusieurs ouvrages de réflexions “philosophiques”, à l’Hermitage de Jean-Jacques Rousseau, à Montmorency. Ses funérailles donnèrent lieu à d’immenses rassemblements.

Le succès de Grétry à la postérité est moins linéaire que celui qu’il connût de son vivant. Égérie de l’Empire et du début du XIXe siècle en France, la nouvelle Belgique, en quête de références historiques, vit bientôt en lui un héros national, témoin des valeurs “belges”. L’intégrale de ses œuvres fut éditée par l’Etat et on continua à jouer régulièrement ses œuvres, jusqu’à ce qu’on ne vit plus en lui qu’un compositeur sans intérêt au fur et à mesure que l’identité nationale disparut au profit d’une identité plus communautarisée. Ainsi, dans les années 1970, quelques œuvres phrases furent rejouées et enregistrées, sans que d’autres projets ne leur survivent. En France, le bicentenaire de la Révolution, en 1989, lui permit de réapparaître timidement mais sans suite à nouveau. Enfin, peut-être la relecture musicologique du répertoire (pré-)romantique, soutenue par différentes initiatives ces dernières années, permettra-t-il à Grétry de retrouver sa place de compositeur majeur, entre Rameau et Berlioz ?

Grégory Van Aelbrouck
Académie royale de Belgique

Lettre

Support : une feuille de papier, un pli

Hauteur : 184 mm
Largeur : 294 mm

Cote : 19345/862

Portrait

Grétry
Lith. de Delpech

Hauteur : 273 mm
Largeur : 181 mm

Cote : 19345/862