Lettre à Louis Dieudonné Joseph Dewez, 27 avril 1834
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre du 15, par laquelle j’ai appris, non sans un vif sentiment de reconnaissance respectueuse, ma nomination comme membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences et Belles-lettres de Bruxelles. Veuillez, Monsieur, être mon digne interprète auprès de M.M. les Académiciens, en leur exprimant, en mon nom, tous mes sentiments de gratitude pour cette marque de distinction. Cet encouragement honorable me fera un devoir de poursuivre avec zèle mes recherches dans l’intérêt du pays et de celui des sciences.
Recevez, Monsieur, l’assurance de la considération distinguée de votre très humble serviteur
Schmerling
Liège, le 27 avril 1834.
[adresse]
Monsieur, Monsieur Dewez, Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles.
Bruxelles
Franco
[cachet]
Bruxelles 28 [avril] 1834
La lettre ci-dessus ne reflète jamais que la politesse de Schmerling suite à sa nomination comme correspondant régnicole de notre institution. Il est plus intéressant par contre de se pencher sur ses activités au sein de celle-ci durant les deux années qui le séparaient de la mort. On trouve en effet dans le Bulletin du 1835 une communication reprise pour la séance du 8 août 1835 et ayant pour titre : « Sur une caverne à ossements »[1]. Schmerling y décrit la fouille d’une caverne située « à un quart de lieu de Villers Sainte-Gertrude », un village qui est actuellement une section de Durbuy (province de Luxembourg). Il trouva dans cette grotte des restes d’ours, de loup et même un « os du métacarpe du petit doigt de lion, plus petit que celui du felis speloea (Goldfuss), que nous avons recueilli à Goffontaine[2]. » Il conclut en se déclarant de plus en plus convaincu que dans les provinces de Liège et de Luxembourg, les ours, les lions, les loups, etc. n’ont pas habité ces antres mais que leurs os y ont été introduits les plus souvent dégarnis de chair[3]. Lors de la séance du 7 novembre de la même année, on informa les académiciens que Schmerling avait fait parvenir un mémoire sur les ossements fossiles à l’état pathologique recueillis dans les cavernes de la province de Liège. Son auteur regardait comme évident que la majeure partie des ossements fossiles à l’état pathologique provient de l’ours et conclut que les maladies des os décrites dans ce mémoire sont au moins aussi anciennes que l’existence de la « race » humaine[4]. Ce mémoire n’est malheureusement pas présent dans les collections de nos archives. Deux commissaires furent désignés pour analyser ce mémoire, MM. d’Omalius d’Halloy et Cauchy. On ignore malheureusement ce qu’il advint de cet examen… Pour la séance du 5 mars de l’année suivante, Schmerling conçut une « Notice sur quelques os de pachydermes, découverts dans le terrain meuble près du village de Chokier », longue description assez technique de ses trouvailles[5]. La dernière trace du « docteur Schmerling » (c’est ainsi qu’on l’appelait à l’époque) dans nos bulletins de son vivant fut la mention pour la 6 août 1836 de son hommage de la quatrième et dernière livraison de « son important ouvrage sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la Province de Liège[6] ». Curieusement, sa mort ne fut pas annoncée en classe mais Charles Morren lui consacra une notice dans l’annuaire de 1838.
En 1884, au temps donc où les théories de Schmerling étaient reconnues à leur juste valeur, l’Académie commanda un buste en bronze conçue par Léon Mignon[7]. Plus d’un siècle plus tard, un projet de monument à la mémoire de Schmerling germa dans les esprits[8]. professeur honoraire de l’Université de Liège, Gabriel Hamoir songea à une copie de notre buste pour ce futur monument et prit contact avec l’Académie en ce sens avec d’autres professeurs de son Université. Pour ce faire, ils proposaient le transport du buste à Liège. Sur place, celui-ci devait en effet y faire l’objet d’un moulage[9] mais cette opération inquiéta d’emblée le Secrétaire perpétuel de l’époque, le baron Philippe Roberts-Jones. Il s’enquit donc des éventuels dangers liés à ce moulage auprès de la directrice de L’IRPA. Cette dernière le mit en garde : les produits de démoulage utilisés lors de cette opération peuvent laisser des taches irréversibles et des arrachages ne sont pas exclus. Comme solution de rechange, elle proposa une copie sculptée en pierre ou modelée en terre cuite « par un bon artiste[10] ». Le Secrétaire perpétuel se rangea sur l’avis de la Directrice et en informa son collègue de l’Université de Liège[11]. Le monument fut inauguré le 16 décembre 1989 à Awirs (Flémalle), près d’une grotte explorée par Schmerling en son temps[12]. Il fut déplacé vers la place de l’Église Saint-Étienne à Flémalle en 2001[13].
[1] Bulletins de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, t. 2, 1835, p. 271-275.
[2] Ibidem, p. 273-275.
[3] Ibidem, p. 275.
[4] Ibidem, p. 362-364.
[5] Bulletins de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, t. 3, 1836, p. 271-275.
[6] Ibidem, p. 258. Il s’agit certainement de l’ouvrage mentionné dans la biographie.
[7] Cf. fiche technique.
[8] HAMOIR G., « le projet de monument Schmerling aux Awirs », dans Bulletin bimestriel de la Société « science et culture », n° 294, juillet-août 1988, p. 2-4.
[9] Lettre de de G. Hamoir, E. Poty et R. De Fauw, Liège, 10 août 1988 (Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 8088).
[10] Lettre du baron Philippe Roberts-Jones à Madame L. Maschelein-Kleiner, Bruxelles, 30 août 1988 (idem).
[11] Lettre du baron Philippe Roberts-Jones à E. Poty, Bruxelles, 30 septembre 1988 (idem).
[12] Lettre du de G. Hamoir à M. J.L. De Paepe, s.l., 9 avril 1990 ; G.S., « Le monument Schmerling en terre liégeoise », dans Bulletin bimestriel de la Société « science et culture », n° 304, mars-avril 1990, p. 3-5. (idem).
Pour les publications de l’Académie relative à Schmerling, cliquez ici.
On peut également consulter :
FRAIPONT J., « Le centenaire de Schmerling », dans Bulletin de la Société royale belge d'Études géologiques et archéologiques, X, 1931, p. 11-24.
HENDERICKX L., « Philippe-Charles Schmerling (1790-1836) de la recherche paléontologique en Belgique », dans Association des Cercles Francophones d'histoire et d'Archéologie de Belgique : Congrès. - l.multiples, Association des Cercles Francophones d'histoire et d'Archéologie de Belgique, t. II, 1994, p.576-599.
HENDERICKX L., « Philippe-Charles Schmerling (1790-1836) révèle l'antiquité de l'homme grâce aux dépôts antédiluviens des grottes liégeoises », dans Revue d'Archéologie et de Paléontologie, n° 10, 1991, p.24-26.
Philippe-Charles Schmerling. Un liégeois pionnier de la Préhistoire, Flémalle, Préhistomuseum, 34 p.
TOUSSAINT M., Les hommes fossiles en Wallonie : de Philippe-Charles Schmerling à Julien Fraipont, l'émergence de la paléoanthropologie, Namur, 2001, 60 p. (Carnets du patrimoine, n° 33, 2001).
TOUSSAINT M., Philippe-Charles Schmerling (1790-1836), à l’aube de la paléoanthropologie et de la préhistoire en Wallonie, Flémalle, Préhistomuseum, 2018, 128 p.
VANDEBOSCH A., 1952, « La grotte Schmerling à Engis », dans Bulletin de la Société royale belge d'Études géologiques et archéologiques, XV, 1952, p. 558-563.
Philippe-Charles Schmerling
Philippe-Charles Schmerling naquit à Delft le 2 mars 1790[1]. Il était le fils d’un marchand viennois. Ses études furent suivies à Delft et à Leyde. Il s’établit ensuite à La Haye et y fréquenta le docteur De Riemer qui possédait un grand cabinet de pièces anatomiques. C’est sans doute là qu’il se passionna pour les ossements et l’anatomie. Il fut reçu officier de santé en 1812 et entra dans les rangs de l’armée des Pays-Bas l’année suivante. Jusqu’à 1816, il resta en garnison à Venlo et redevint médecin civil ensuite dans la même ville. En 1821, il y épousa Sara de Douglas, fille d’un lieutenant-colonel. Un an plus tard, le couple vint s’établir à Liège. Il y reprit des études universitaires et devint docteur en médecine en 1825. Les années suivantes furent entièrement consacrées à sa patientèle. On estime que ses travaux en paléontologie débutèrent en septembre 1829. C’est à ce moment-là en effet qu’il se rendit à la carrière de Chokier (section de l’actuelle commune de Flémalle) : le directeur de celle-ci lui avait remis des ossements six mois plus tôt. Il en visita la caverne présente sur ce site et prit des ossements fauniques et humains. Il ne se limita pas à cette grotte et en fouilla pas moins de 62 dont les principales sont Engis, engihoud, Goffontaine etc. Il récolta quantité d’ossements qui lui permirent de conclure que les os humains retrouvés par ses soins étaient contemporains d’espèces éteintes enfuies dans les mêmes terrains. C’était une théorie ambitieuse pour l’époque même s’il ne s’écartait pas des théories bibliques de son temps et se révéla même un disciple du catastrophisme de Cuvier. Cela explique peut-être le manque d’attention du monde scientifique pour ses travaux de son vivant. Il fallut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que l’hypothèse de l’ancienneté géologique de l’homme chère au médecin liégeois soit admise par les scientifiques, après la découverte de quantité d’ossements, notamment de squelettes assez complets d’Homo sapiens neandertalensis à Spy en 1886. . Parmi eux, Charles Lyell reconnut les mérites de Schmerling et regretta d’avoir été indifférent aux travaux de celui-ci lors de son passage à Liège en 1833. Plus tard encore (1936), Charles Fraipont réussit à déterminer qu’un crâne reconstitué à partir d’ossements trouvés par Schmerling appartenait à la branche d’Homo sapiens neandertalensis.
Son œuvre la plus importante fut ses Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la Province de Liège[2]. Il publia plusieurs articles pour notre compagnie[3] dont il devint correspondant régnicole (Classe des Sciences) le 5 avril 1834. Il se consacra jour et nuit à ses travaux tout en continuant sa carrière de médecin : sa santé en pâtit rapidement. Épuisé et malade, il rendit le dernier souffle le 7 novembre 1836.
En 1884, l’Académie commanda un buste en marbre représentant Schmerling[4]. Celui-ci fut livré l’année suivante[5]. On s’inspira de ce buste pour un monument inauguré en 1989 et situé sur la place de l’Église Saint-Étienne à Flémalle. Cette copie ne fut pas sans poser de problèmes à notre institution comme vous pourrez le constater dans l’analyse.
[1] Cette notice fut principalement inspirée de celle écrite par Liliane Henderickx et parue dans le tome 3 de la Nouvelle biographie nationale.
[2] Liège, P.-J. Collardin, 1833-1834, 2 vol. (disponible à la bibliothèque de l’Académie : Sous-sol [4.645])
[3] Cf. Analyse.
[4] Cf. la galerie ci-dessus.
[5] VAN LENNEP J., Les bustes de l'Académie royale de Belgique : Histoire et catalogue raisonné, précédés d'un essai « Le portrait sculpté depuis la Renaissance » », Bruxelles, Académie royale de Belgique, (Mémoires de la Classe des Beaux-Arts, Collection in-8°, 3e série, t. 6), 1993, p. 376.
Lettre
Feuille de papier, un pli
Largeur : 438 mm
Hauteur : 261 mm
Cote : 8088
Buste
Buste en marbre conçu par Léon Mignon[1] et livré à notre Académie en février 1885[2].
Hauteur : 800 mm
Largeur : 570 mm
Profondeur : 335 mm
Photo : © Schrobiltgen Luc
[1] Né à liège le 9 avril 1847 ; décédé à Schaerbeek le 30 septembre 1898. Sculpteur belge (Biographie nationale, t. 33, col. 491-493).
[2] VAN LENNEP J., Les bustes de l'Académie royale de Belgique : Histoire et catalogue raisonné, précédés d'un essai « Le portrait sculpté depuis la Renaissance » », Bruxelles, Académie royale de Belgique, (Mémoires de la Classe des Beaux-Arts, Collection in-8°, 3e série, t. 6), 1993, p. 376. -