Lettre à Louis Jean Baptiste de Maisonneuve, 29 décembre 1779

Monsieur de Chamfort a l’honneur de présenter ses très humbles compliments à Monsieur Maisonneuve et de le remercier de l’avis qu’il lui a donné de l’arrivée de l’histoire universelle. Il n’a pu en profiter plus tôt, ayant été à la campagne et fort occupé. Si Monsieur Maisonneuve veut la faire remettre au domestique de cette lettre, le tout me sera rendu fidèlement. Je joins ici ma quittance en règlement de compte. Je lui renouvelle mes remerciements de toutes les politesses en attendant que j’aie le plaisir de les lui porter moi-même.
Paris mercredi soir 29 décembre 1779.

[Adresse]
À Monsieur
Monsieur Maisonneuve chez Madame Duchesne rue Saint Jacques au temple du gout.

[Apostille d’une autre main]
Mustapha et Zéangir de Monsieur de Champfort (sic)

[Quittance]

Je reconnais avoir reçu de Monsieur Maisonneuve au nom de Madame Duchêne un exemplaire de l’histoire universelle des anglais pour solde de compte suivant la convention passée entre nous relativement au manuscrit de la tragédie de Mustapha et Zéangir.
Chamfort
Paris 29 décembre 1779.

Le destinataire de ce courrier est sans doute Louis Jean-Baptiste Simonnet de Maisonneuve, poète dramatique. Outre que les deux hommes avaient pour connaissance commune la veuve Duchesnes1, ils conçurent surtout chacun de leur côté des tragédies ayant pour cadre la cour de Soliman Le Magnifique. Celle de Maisonneuve fut écrite vers 1770 et avait pour titre Roxelane et Mustapha. Il en fit lecture au Théâtre français en 1770 et son œuvre fut très appréciée par ses juges. Toutefois, il fallut attendre 15 ans (le 6 juin 1785 exactement) pour qu’elle fît l’objet d’une représentation sur les planches du Théâtre français2. Entretemps, Chamfort avait écrit son Mustapha et Zéangir qui attira l’attention de la cour. Le 1er novembre 1776 en effet, cette tragédie fut jouée pour la première fois au théâtre du Château de Fontainebleau. Louis XVI et son épouse furent émus et Chamfort reçu par la jeune reine. Celle-ci lui annonça que le roi, soucieux de l’encourager, lui versera dorénavant une pension de 1.200 livres3. Si les courtisans crièrent au génie, cette tragédie connut un succès très mitigé à Paris. Elle ne connut en effet que quinze représentations au Théâtre français à partir du 15 décembre 17774, les rangs du public étant très parsemés… Nous l’avons vu plus haut, Roxelane et Mustapha fut jouée pour la première fois au Théâtre français le 6 juin 1785. Cette comédie connut un vif succès et fut saluée par la presse. Surtout, elle fut très appréciée par la reine qui, selon Grimm, fit part de sa préférence pour l’œuvre de Maisonneuve par rapport à celle de Chamfort5. L’éditeur des œuvres de Maisonnneuve et Claude Arnaud ont prétendu tous deux que Chamfort en conçut une grande jalousie sans apporter toutefois le début d’une preuve6. Il est certain toutefois que les deux hommes semblaient s’apprécier en décembre 1779. Nous n’avons toutefois pu savoir ce qu’il en était de la convention passée entre les deux auteurs au sujet du manuscrit de Mustapha et Zéangir, la littérature restant muette à ce sujet. Par contre, il est fort probable que l’Histoire universelle des Anglois n’était autre que l’Histoire universelle depuis le commencement du monde jusqu'à présent, composée en anglois par une société de gens de lettres, ouvrage de 125 volumes commencé en 1779 et terminé en 17917.

1 Chamfort y fit publier son Mustapha et Zéangir (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5626256x) et la même entreprise assura la publication de l’Almanach parisien (http://catalogue.bnf.fr/servlet/biblio?idNoeud=1&ID=30584530&SN1=0&SN2=0&host=catalogue) auquel Maisonneuve participa (QUERARD J.M., La France littéraire, ou dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France (…), Paris, Chez Firmin Didot frères, libraires, M DCCC XXXIII, vol. V, p. 451). Rien ne dit toutefois que les deux hommes se rencontrèrent via cette imprimerie.
2 CHÉRON F. (éd.), Œuvre de L.J.B. de Maisonneuve, Paris, C.J. Trouvé, 1824, p. V, VI.
3 ARNAUD C., Chamfort : biographie : suivie de soixante-dix maximes, anecdotes, mots et dialogues inédits ou jamais réédités, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 84-85 ; DOUSSET E., Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort et son temps : un moraliste du XVIIIe siècle, Clermont-Ferrand, Société nouvelle des imprimeries Mont-Louis, 1974, p. 78-82.
4 PELLISSON M., Chamfort : Etude sur sa vie, son caractère et ses écrits,  Paris, Lecène, Oudin et Cie, 1895, p. 74, 75.
5 CHÉRON F. (éd.), Œuvre de L.J.B. de Maisonneuve (…), op. cit., p. XXXI-XXXVIII. ARNAUD C., Chamfort : biographie (…), p. 173.
6 Idem.
7 http://catalogue.bnf.fr/servlet/biblio?idNoeud=1&ID=31514621&SN1=0&SN2=0&host=catalogue

ARNAUD C., Chamfort : biographie : suivie de soixante-dix maximes, anecdotes, mots et dialogues inédits ou jamais réédités, Paris, Hachette, 1989, 416 p.

DOUSSET E., Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort et son temps : un moraliste du XVIIIe siècle, Clermont-Ferrand, Société nouvelle des imprimeries Mont-Louis, 1974, 203 p.

GOTLIB R., « Chamfort Sébastien Roch Nicolas », in SOBOUL A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 2005, 1989, p. 201 (rééd. Quadrige, 2005).

HETZEL P.-J., STAHL P.J., Pensées, maximes, anecdotes, dialogues : précédés de l'histoire de Chamfort, Paris, Michel Lévy frères, 1860, 384 p.

LE MEUR C., Les moralistes français et la politique à la fin du XVIIIe siècle. Le prince de Ligne, Sénac de Meilhan, Chamfort, Rivarol, Joubert, Héault-Séchelles devant la mort d’un genre et la naissance d’un monde, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2002, 615 p. (coll. Moralia, 10).

LIST-MARZOLFF R.,Sébastien-Roch Nicolas Chamfort, eine Moralist im 18. Jahrhundert, München, Fink, 1966, 208 p.

MAC CALLAM D., Chamfort and the Revolution. A study in form and ideology, Oxford, Voltaire Foundation, 2002, XV-180 p. (coll. Studies on Voltaire and the Eighteenth century, 2002,11).

PELLISSON M., Chamfort : Etude sur sa vie, son caractère et ses écrits,  Paris, Lecène, Oudin et Cie, 1895, 309 p.

RENWICK J., Chamfort devant la postérité, 1794-1984, Oxford, Voltaire Foundation, 1986, 208 p. (coll. Studies on Voltaire and the Eighteenth century, 247).

ROUDY P., Chamfort. Un libertaire au siècle des Lumières et "les sociétés secrètes", Perpignan, Cap Béar, 2006, 165 p.

TEPPE J., Chamfort, sa vie, son oeuvre, sa pensée, Paris : Clairac, 1950, 166 p. (préface de Jean Rostand).

TOUBLANC P., Chamfort. Moraliste du siècle des Lumières, Paris, L’Harmattan, 2005, 142 p.

VAN CLEEMPUTTE P.A., Chamfort, Sébastien-Roch-Nicolas, 1740-1794, Paris, Louis-Michaud, s.d., X-143 p. (coll. Les prosateurs illustres français et étrangers).

Sébastien Roch Nicolas Chamfort

Né à Clermont-Ferrand, circa 1740 ; décédé à Paris le 13 avril 1794. De son vivant, Chamfort a entretenu le plus grand flou autour de sa naissance1. Officiellement, il était le fils de François Nicolas (marchand épicier) et de Thérèse Croizet (ou Creuzet). L’hypothèse communément acceptée indique toutefois qu’il était l’enfant de Françoise de Cisternes de Vinzelles, dame de Montrodeix, et d’un chanoine Nicolas. Ces derniers auraient confié l’enfant à François Nicolas et Thérèse Croizet qui venaient de perdre un nourrisson.
Le petit Sébastien-Roch fut envoyé très tôt au collège des Grassins à Paris. Il s’y montra très turbulent au point d’être exclu un temps par son professeur de grec. Il fit également un fugue mais ne fut pas puni. Pressé par le principal de choisir la voie ecclésiastique, Chamfort refusa et mena alors une vie de bohême, partageant son temps entre travaux de journalisme, postes de précepteur dans plusieurs familles, etc. Il contracta rapidement une maladie vénérienne qui mina sa santé par la suite. Il séjourna ensuite en terres allemandes et revint à Paris sans le sou. Il collabora au Journal encyclopédique pour subvenir à ses besoins.
En 1763, il soumit un discours (disparu) à l’Académie d’Amiens intitulé : Combien les lettres sont utiles. C’est toutefois l’année suivante qu’il se fit connaitre avec une pièce en un acte ayant pour titre : La jeune indienne. Si cette œuvre fut jugée sévèrement par la critique, elle bénéficia de la bienveillance de Voltaire et de Rousseau en personne. La même année, il conçut également un Epître d’un père à son fils sur la naissance d’un petit fils, ouvrage couronné par l’Académie française en août de la même année. Les ouvrages se succédèrent ensuite : L’homme de lettres (1765), l’Ode sur la grandeur de l’homme (1766, couronné par l’Académie des Jeux Floraux), ou encore Combien le génie des grands écrivains influe sur l’esprit du siècle (1767, prix de l’Académie de Marseille). L’Académie française lui accorda le prix de l’éloquence en 1769 pour son Éloge de Molière. Durant cette époque, il fréquenta également des hommes de lettres connus comme Marmontel, d’Alembert ou encore Duclos. Il fut malade les années suivantes, ce qui l’écarta un temps du monde littéraire. Il y revint en 1774 avec brio en remportant un prix de l’Académie de Marseille avec un Éloge de La Fontaine. Deux ans plus tard, il bénéficia des bonnes grâces de la cour en faisant jouer à Versailles Mustapha et Zéangir (cf. analyse). Le roi et la reine, très enthousiastes, lui accordèrent une pension de 1200 livres et le prince de Condé le fit secrétaire de ses commandements avec 2000 livres d’appointements, charge que Chamfort rejeta toutefois un an plus tard. Il se mit ensuite en quête d’un siège à l’Académie française et réussit dans cette entreprise le 5 avril 1781. C’est vers cette époque qu’il fréquentait également le salon de Madame Helvetius ou encore Mirabeau et Talleyrand. Diverses tracasseries littéraires et trahisons le poussaient toutefois à quitter Paris pour des retraites plus ou moins longues, notamment avec Marthe-Anne Buffon, veuve d’un premier médecin du comte d’Artois dont il s’éprit. Celle-ci décéda brusquement le 28 août 1783 et sa mort le consterna durablement. Il n’en continua pas moins à écrire, notamment les Considérations sur l’ordre de Cincinnatus (1784). La même année, il fut nommé secrétaire ordinaire du cabinet de Madame Elisabeth avec des appointements de 2000 livres par an. Deux ans plus tard, il reçut la même somme pour une pension sur le trésor royal « en considération de ses travaux littéraires ». Considéré donc avec bienveillance par les autorités, il n’en refusa pas moins de prêter sa plume à la défense des privilégiés et dévoila par la même occasion ses opinions démocratiques. On s’étonnera peu dès lors qu’il accueillit avec soulagement la révolution naissante. Il suivit les États généraux où Mirabeau l’engagea comme rédacteur anonyme de son journal. Il assista également au Serment du jeu de Paume et se réjouit de la destruction de la Bastille. Il rédigea en partie les discours de Mirabeau et influença Talleyrand ainsi que Sieyès qui lui dut le titre de sa brochure Qu’est-ce que le Tiers État ? Il collabora à divers journaux comme le Mercure de France et s’y distingua par ses opinions progressistes (confiscation des biens du clergé, etc.). En avril 1790, il rejoignit la Société de 1789 créée par La Fayette mais n’y resta qu’un an. Il entra aux Jacobins après Varennes et quitta ce club lorsque la Constituante s’acheva. Candidat malheureux à la Législative, il se consacra à la publication des Tableaux de la Révolution française. Quoiqu’opposé à la guerre contre l’Autriche, il rejoignit les rangs de la Gironde, plus motivé par des affinités personnelles que par choix politique. Il fut nommé bibliothécaire à la Bibliothèque nationale par Roland en août 1792 et vit s’ouvrir à lui les portes du salon de l’épouse de ce dernier. Échange de bons procédés oblige, Il conçut également pour Roland plusieurs écrits encourageant la désertion au sein des armées s’abattant sur la France. Il fut arrêté par le Comité de sureté générale en mai 1793 puis relâché sans être interrogé. Ne prenant pas cet avertissement au sérieux, il se livra publiquement aux pires sarcasmes contre Marat et Robespierre. Il fut dénoncé par un employé de la Bibliothèque nationale et emprisonné le 2 septembre. Relâché deux jours plus tard, Il démissionna de ses fonctions à la Bibliothèque nationale le 9 septembre. Sur le point d’être à nouveau incarcéré, il tenta de se suicider le 14 novembre et se blessa grièvement. Soigné, il se rétablit un peu mais un cautère oublié lors d’une intervention chirurgicale provoqua sa mort le 13 avril 1794.

1 Pour cette notice, nous nous sommes principalement inspiré de la notice de R. Gotlib et des monographies de John Renwick et de Claude Arnaud (cf. orientation bibliographique).

Lettre à Maisonneuve
Hauteur : 198 mm
Largeur : 315 mm

Cote : 19346/1002

Quittance
Hauteur : 100 mm
Largeur : 159 mm

Cote : 19346/1002