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Lettre à Louis Lenain, 11 mai 1919

                                                                                                                                                 République française

Le Président du Conseil
Ministre de la Guerre

 

                                                                                                                                                                                                                                                                          Paris, le 11 mai 1919.

 

                                                                                                                                    Monsieur le Secrétaire Perpétuel,


J’ai été heureux d’apprendre que l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique a bien voulu m’élire au nombre de ses membres associés.
Je vous serais reconnaissant d’être mon interprète auprès de vos éminents Collègues et de leur exprimer mes plus chaleureux remerciements pour cette désignation dont je me sens grandement honoré.
C’est un lien de plus qui m’unit à la fière et libre Belgique dont les soldats ont combattu si vaillamment auprès des nôtres pour le droit.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire Perpétuel, l’assurance de ma haute considération.

                                                                                                                                                     Georges Clemenceau


Monsieur le Secrétaire Perpétuel
de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts
de Belgique à Bruxelles

Les archives de l’Académie royale de Belgique nous apprennent que Georges Clemenceau fut élu membre associé de la Classe des Lettres (Section des Sciences morales et politiques) le 5 mai 1919. Il remplaçait Louis Renault et l’emporta devant André Weiss1. Toutefois, nous n’avons pas trouvé le résultat des votes au sein de notre compagnie, le bulletin de la Classe des Lettres et les archives restant muets à ce sujet. Même si nous ne pouvons le prouver, nous pensons ne guère prendre de risques en misant sur une majorité très confortable en faveur du vainqueur français. En effet, en ce lendemain de premier conflit mondial, régnait en notre institution une ferveur patriotique alimentée certes par la dureté de l’occupation mais sans doute aussi par la mise en sommeil des travaux académiques2 et la transformation du Palais des Académies en ambulance militaire3. En outre, notre institution n’hésita pas à radier de ses rangs des académiciens issu du monde germanique comme Willy Bang, Otto Bütschli, Hermann Diels, etc.
Clemenceau ne participa jamais aux travaux de notre Académie. Il en fit de même avec ceux de l’Académie française dont il fut élu membre (à l’unanimité) le 21 novembre 19184, même si cette distinction semble lui avoir été absolument insignifiante5. Il fit montre d’un même dédain quand l’Académie de médecine le pressentit. Il s’écria en effet : « Dans quelle section voulez-vous m’admettre ? Celle des malades ? »6.
Toutefois, il ne fut jamais question de mépris envers cette Belgique « fière et libre » (cf. ci-dessus) dans le chef du Tigre. S’il fit preuve d’indifférence envers notre pays avant 1914, il en alla tout autrement durant la première guerre mondiale. On peut même dire que son admiration envers nos régions s’accrut de plus en plus durant cette période. Il était en effet persuadé que la Belgique avait sauvé la mise des Français en 1914. Il fit donc tout ce qui était en son pouvoir pour ce qu’il jugeait être les intérêts fondamentaux de notre pays. Il semble ne s’être jamais départi de cette admiration jusqu’à l’aube de son existence. Le 19 janvier 1926 en effet, il déclara : « La Belgique est la clef de voûte de l’Occident. Entre elle et la France, il y a identité d’intérêts (…) La France et l’Europe ont besoin d’une Belgique unie et forte. Il aurait fallu, après la guerre, unir étroitement nos deux pays ». Il précisa toutefois qu’il ne fut jamais question d’une annexion7.

1 Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 9432. André Weiss, né à Mulhouse (Haut-Rhin) le 30 septembre 1858, décédé à La Haye le 31 août 1928. Juriste, professeur de droit international, vice-président de la Cour permanente de justice internationale.
2 LE NAIN L., Rapport sur la vie académique pendant la période de guerre 1914-1918, in Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques 1919, Bruxelles, 1920, p. 19-26.
3 LE NAIN L., Rapport succinct sur l’état du Palais des Académies après le départ des Allemands, in Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques 1919, Bruxelles, 1920, p.31-35.
http://www.academieroyale.be/cgi?lg=fr&pag=571&rec=0&frm=0&par=aybabtu

4 WINOCK M., Clemenceau, Paris, Perrin, 2007, p. 554-555 (coll. Tempus).
5 Quand Poincaré le félicita, Clemenceau eut cette réponse : « Puisque vous me dites que c’est bien, je ne puis que vous offrir tous mes remerciements » (in DUROSELLE J.-B., Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 730). Nous n’avons pas trouvé de références sérieuses pour la fameuse citation attribuée à Clemenceau : « Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie française ».
6 DUROSELLE J.-B., Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 730.
7 Ibidem, p. 796, 799, 800.

DUROSELLE J.-B., « Une amitié modèle : Georges Clemenceau, Claude Monet, Gustave Geffroy », in Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, 5e s., t. 71, fasc. 6/9, p. 216-231

DUROSELLE J.-B., Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, 1077 p.

DUVAL-STALLA A., Claude Monet-Georges Clemenceau. Une histoire, deux caractères : biographie croisée, Paris, Gallimard, 2013, 308 p. (Coll. Folio ; 5599).

ERLANGER P., Clemenceau, Paris, Perrin, 1979, 541 p.

GARRIGUES J., Le monde selon Clemenceau : formules assassines, traits d'humour, discours et prophéties, Paris, Tallandier, 2014, 333 p.

MINART G., Clemenceau journaliste (1841-1929) : les combats d'un républicain pour la liberté et la justice, Paris, Budapest, Torino, l'Harmattan, 2005, 249 p.


WINOCK M., Clemenceau, Paris, Perrin, 2007, 688 p. (coll. Tempus).

Georges Benjamin Clémenceau

Clemenceau naquit dans une famille bourgeoise vendéenne1. Il était le deuxième enfant et premier fils du docteur Benjamin Clemenceau et de Sophie-Emma Eucharis Gautreau, fille du maire du village natal du futur président du Conseil. Son père était clairement républicain et influença rapidement le jeune Georges. Celui-ci mena de brillantes études au sein du collège de Fontenay-le-Comte. Il continua sur la même lancée en entrant à la pension Monfort (Nantes) à l’âge de dix ans. Il rejoignit ensuite le lycée de Nantes où il se montra plus dissipé, sans essuyer d’échecs toutefois. Il lisait d’ailleurs le latin et le grec dans le texte et s’avéra un lecteur infatigable, dévorant la bibliothèque de son père et les collections d’un cabinet de lectures.
En novembre 1858, il entra pour trois ans à l’Ecole préparatoire de Médecine de Nantes. Il s’y montra agitateur et irrévérencieux, ce qui lui valut diverses réprimandes et le convainquit de poursuivre ses études à Paris, là-même où son père avait fait sa médecine. Tout en menant ses études, il se voua à la politique, en fondant notamment le journal Le Travail, journal radical qui lui valut d’être arrêté le 23 février 1862 et de passer 77 jours en prison. Cet emprisonnement ne tempéra en rien ses velléités politiques. Il fréquentait notamment Blanqui mais cessa toute activité illégale de 1863 à 1865. Il poursuivait toujours ses études mais il était difficile de les concilier avec son activité politique. Il passa toutefois son doctorat avec succès le 13 mai 1865.
Il se rendit ensuite aux États-Unis et y resta jusqu’en 1869. Il donnait des cours de français et rédigeait des articles pour le journal Le Temps. Menant une vie confortable, il songeât un temps à rester de l’autre côté de l’Atlantique. Il revint toutefois en France et assista avec satisfaction à la chute de ce Second empire tant abhorré. Il devint maire du XVIIIe arrondissement en septembre 1870 puis fut désigné député à l’Assemblée nationale le 8 février 1871. Il était dans les rangs de l’extrême-gauche et démissionna durant la Commune. La même année, il devint conseiller municipal et, quatre ans plus tard, président du conseil municipal de Paris. Député du XVIIIe arrondissement en 1876, il défendit un programme radical : instruction primaire obligatoire et laïque, séparation des églises et de l’État, etc. Durant les années suivantes, il dirigea un petit groupe d’extrême-gauche d’où sortira le parti radical. Il se distingua par la violence de ses discours et son intelligence qui feront tomber les ministères de Gambetta et de Jules Ferry au nom du patriotisme intégral. Il se chargea de représenter le Var à partir de 1885. Il appuya le général Boulanger à ses débuts pour se raviser ensuite. Inquiété durant le scandale de Panama, il échoua aux élections de 1893. Il se consacra alors au journalisme et devint éditorialiste de L’Aurore dans lequel il édita le célèbre « J’accuse » d’Émile Zola. Quoique profondément hostile au Sénat, il rejoignit ses rangs en 1902 pour représenter le Var. Quatre ans plus tard, il obtint le maroquin de l’Intérieur au sein du cabinet Sarrien. La même année, il accéda à la présidence du Conseil et, appuyé par le Bloc des gauches à la Chambre, il mena une politique de justice sociale (limitation du temps de travail, assurance vieillesse, etc.). Toutefois, une série de grèves fut instiguée contre lui par la CGT. Ne supportant pas cette agitation, Clemenceau réprima durement le mouvement. Suite à cela, les socialistes se désolidarisèrent des radicaux qui remirent de suite en cause la politique de leur chef. Obstiné, celui-ci fut renversé en juillet 1909.
Forcé de rejoindre l’opposition, il fonda aussi un nouveau journal intitulé L’Homme libre qui devint bien vite L’Homme enchaîné. On s’étonnera peu que ce périodique fut un instrument de combat contre tous les gouvernements en place jusqu’en 1917. Le 16 novembre de cette année-là, il fut appelé à la tête du gouvernement. Profitant d’une immense popularité, il dirigea la France en guerre en combattant tant les « défaitistes » que les Allemands. En outre, il imposa le commandement unique de Foch aux armées et assura la suprématie du civil sur le militaire. Le 11 novembre 1918, il lut la convention d’armistice à la Chambre et fut acclamé. Il appuya ensuite une politique visant à faire payer l’Allemagne. S’il obtint la restitution de l’Alsace-Lorraine, il n’arracha qu’une concession provisoire de la Sarre. En 1920, une coalition dirigée par Briand lui fit perdre la présidence. Il quitta définitivement la vie politique et se retira en Vendée.

1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré principalement de la biographie conçue par Jean-Baptiste Duroselle (cf. orientation bibliographique).

DUROSELLE J.-B., « Une amitié modèle : Georges Clemenceau, Claude Monet, Gustave Geffroy », in Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, 5e s., t. 71, fasc. 6/9, p. 216-231

DUROSELLE J.-B., Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, 1077 p.

DUVAL-STALLA A., Claude Monet-Georges Clemenceau. Une histoire, deux caractères : biographie croisée, Paris, Gallimard, 2013, 308 p. (Coll. Folio ; 5599).

ERLANGER P., Clemenceau, Paris, Perrin, 1979, 541 p.

GARRIGUES J., Le monde selon Clemenceau : formules assassines, traits d'humour, discours et prophéties, Paris, Tallandier, 2014, 333 p.

MINART G., Clemenceau journaliste (1841-1929) : les combats d'un républicain pour la liberté et la justice, Paris, Budapest, Torino, l'Harmattan, 2005, 249 p.

WINOCK M., Clemenceau, Paris, Perrin, 2007, 688 p. (coll. Tempus).