Lettre au baron Goswin de Stassart, 22 avril 1812

Au quartier général de Glogau, le 22 avril 1812.


Je n’ai reçu qu’avant-hier, Monsieur le baron, la lettre que vous m’avez adressée, relativement à M. Rabillon. Quelque tardive que puisse être maintenant, une démarche près du ministre, je me reprocherais cependant de ne point la faire, tant en raison de l’attachement que vous lui portez, que des sentiments très particuliers qu’il a su m’inspirer : j’écris donc, par le même courrier qui vous porte ces lignes, à Monsieur de Montalivet, et serai heureux que mon opinion, quant à la convenance du placement de votre ami à la sous-préfecture d’Orange, put lui être utile et contribuer à la lui faire obtenir, s’il en est temps encore.
Croyez, Monsieur le baron, que quelque courts qu’aient été mes rapports avec vous, ils ont suffi pour vous donner les plus positifs droits à ma haute considération, et que je ne cesserai de vous porter les sentiments que vous savez commander, et qui vous sont dus , à bien des titres.
Le comte général de Grouchy
Commandant en chef le 3e corps de cavalerie de la Grande armée

[Adresse]
À Monsieur le baron de Stassart, préfet du département des Bouches de la Meuse, à La Haye, Hollande

Ce courrier est témoin de l’estime dans laquelle Stassart tenait Frédéric Rabillon. Les deux hommes firent connaissance en avril 1809 quand le premier devint sous-préfet de l’arrondissement d’Orange : Frédéric Rabillon était en effet secrétaire de cette sous-préfecture et s’avéra un excellent fonctionnaire1. La correspondance de Rabillon à Stassart conservée en nos murs2 témoigne de la complicité entre les deux hommes. En outre, Stassart l’aida lui et sa famille à plusieurs reprises, même après leur période de travail en commun.
Toutefois, la démarche auprès de Grouchy ne fut pas couronnée de succès puisqu’on ne désignait plus au poste de sous-préfet que des auditeurs au Conseil d’État dont Rabillon ne faisait pas partie3.

1 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 101 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
2 Archives de l’Académie royale de Belgique, 19345/1557.
3 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart (…), op. cit., p. 119.

LOGIE J., Napoléon. La dernière bataille, Bruxelles, Racine, 1998, 215 p. (coll. Les racines de l’Histoire).

LOGIE J., Waterloo La Campagne de 1815, Bruxelles, Éditions Racine, 2003, 237 p.

Mémoires du Maréchal Grouchy, Paris, E. Dentu, 1873-1874, 5 vol.

TULARD J. : « Grouchy (Emmanuel, marquis de », in TULARD J. (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1999, vol. 1, p. 917-918.

Marquis Emmanuel de Grouchy

Emmanuel de Grouchy était issu d’une famille noble dont le salon recevait les penseurs célèbres de l’époque comme d’Alembert, Beaumarchais, Turgot et Condorcet1. Il devint élève de l’école d’artillerie de Strasbourg en 1780. Six ans plus tard, il fut désigné sous-lieutenant dans la compagnie écossaise des gardes du corps, lui donnant rang de lieutenant -colonel de cavalerie. Son ascension connut toutefois un arrêt l’année suivante quand il se vit réformé.
Il devint partisan de la Révolution française et reprit le service en 1791. Colonel du 6e hussard, il fit la campagne de 1792 à l’armée du Centre. Désigné maréchal de camp le 7 septembre de la même année, il se distingua durant l’expédition de Savoie et participa à la répression de la Vendée. Exclu toutefois de l’armée six mois durant pour ses origines nobles, il fut ensuite désigné général de division et chef d’état-major de Hoche. Il manqua sans doute l’occasion de donner plus d’ampleur à sa carrière en refusant en 1796 de prendre part à la campagne d’Italie. Il prit part par contre à l’expédition d’Irlande. Arrivé à bon port avant Hoche du fait d’une tempête, son bateau rentra à Brest et atteignit la Bretagne quand Hoche touchait les côtes d’Irlande. On ne sait au juste qui de Bouvet (le vice-amiral) ou de Grouchy porte la responsabilité de cette action mais il est certain que Grouchy aurait pu obliger Bouvet à attendre Hoche, ce qui jeta un doute sur ses capacités à commander… Il fut malgré tout mis à la tête d’une division de l’armée de Mayence. En 1798, il rejoignit l’armée d’Italie sous le commandement de Joubert. Sa vaillance au combat n’y eut d’égal que sa capacité à négocier. Il fut toutefois blessé et fait prisonnier durant un an. De retour en France, il fut affecté à l’armée du Rhin en juillet 1800 et fut un des artisans de la victoire de Hohenlinden (3 décembre 1800). La paix revenue, il fut nommé inspecteur général de la cavalerie. Il eut le tort de soutenir Moreau, ce qui lui valut une disgrâce momentanée. Il participa ensuite aux guerres de l’Empire. Après Iéna, il poursuivit les restes de l’armée prussienne et débusqua Blücher à Lübeck. Il se distingua encore en 1807, notamment à Eylau. L’année suivante, il rejoignit l’Espagne. Gouverneur de Madrid et membre de l’armée d’Espagne, il réprima vigoureusement l’insurrection du 2 mai. Quand le roi Joseph décida de laisser Madrid aux insurgés, Grouchy fut le dernier proche du souverain à quitter la capitale. Il participa à la campagne de 1809 : son action décida de la victoire à Raab (14 juin) et sa bravoure fut remarquée à Wagram (5 et 6 juillet). Durant la campagne de Russie, il contribua à la victoire de Borodino (7 septembre 1812) et sauva une partie de l’artillerie à Viazma. Sa vaillance fut à ce point reconnue qu’il fut chargé (avec d’autres) d’assurer la garde de Napoléon. À son retour, il demanda le commandement d’un corps d’infanterie. Vexé du refus de l’empereur qui voulait le conserver à la tête de la cavalerie, il se retira dans ses terres. Toutefois, craignant l’invasion de la France à la fin de 1813, il demanda au souverain de reprendre le service. Nommé commandant en chef de la cavalerie de la Grande Armée, il combattit avec sa vigueur habituelle jusqu’à ce qu’il fût grièvement blessé, ce qui l’éloigna un temps des combats. Durant les Cent-Jours, il remporta une victoire contre l’armée du duc d’Angoulême, ce qui lui valut la dignité de Maréchal. Waterloo approchait à grand pas : il gagna à Ligny sans éclat. On a retenu que le 18 juin, Grouchy préféra terminer un plat de fraises pendant que le feu adverse tonnait. Napoléon condamna ultérieurement la conduite de Grouchy, avec toute son impériale mauvaise foi. En fait, la vérité fut que Grouchy reçut toujours trop tardivement des ordres de l’empereur lors des journées du 17 et 18 juin. Durant cette dernière, Napoléon lui ordonna de marcher sur Wavre et ensuite vers Chapelle-Saint-Lambert, deux objectifs absolument incompatibles2… Quand la défaite française fut consommée, Grouchy réussit à organiser le retrait de ses troupes jusqu’en France sans aucun échange de tirs.
Il fut compris dans l’ordonnance de proscription du 24 juillet 1815 et prit donc la direction des États-Unis où il habita jusqu’en 1821. De retour en France, il apprit que Louis XVIII avait refusé de lui reconnaître son titre de maréchal. Toutefois, Louis-Philippe lui rendit cette dignité. Sous la Monarchie de Juillet, Grouchy siégea également à la Chambre des pairs avant de mourir à Saint-Étienne le 29 mars 1847.

1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré principalement de la notice de Jean Tulard (cf. orientation bibliographique).
2 LOGIE J., Waterloo La Campagne de 1815, Bruxelles, Éditions Racine, 2003, p.167, 168.

Lettre
Support : une feuille de papier

Hauteur : 239 mm
Largeur : 385 mm

Cote : 19345/865

Portrait
« Grouchy » ; avec une signature en fac-similé ; Rosselin, éditeur, 21, quai Voltaire ; Lith. Grégoire et Deneux, à Paris.

Hauteur : 273 mm
Largeur : 183 mm

Cote : 19346/2066