Lettre à Marc-Antoine Jullien, 12 mai 1766

Paris ce 12 mai


L’abbé de Mably est arrivé depuis quelques jours à Paris et il a l’honneur de s’informer de la bonté de Monsieur Jullien. S’il n’a rien à faire et qu’il vienne (sic) dans le quartier du palais royal, je serais bien flatté d’avoir l’honneur de le voir et de causer avec lui sur cette éducation projetée. Je prie Monsieur Jullien de me faire la justice d’être persuadé de mon attachement.

[Verso]
A Monsieur
Monsieur Jullien - au collège de Gracin
[Apostille sur la droite, d’une autre écriture que celle de Mably]
Paris
12e mai 1766
L’abbé de Mably

Le destinataire de ce document est très certainement Marc-Antoine Jullien, du nom de cet autodidacte devenu précepteur dont on sait qu’il bénéficia de la protection de Mably1. Il est toutefois difficile de se prononcer sur  « l’éducation projetée »  mentionnée dans le document ci-dessus. S’agit-il de l’éducation du jeune prince Léon, petit-fils de la duchesse d’Enville dont s’occupa Jullien grâce à la recommandation de Mably2 ? Nous ne pouvons nous prononcer de manière définitive, en l’absence de renseignements à ce sujet dans les ouvrages consultés mais surtout d’une biographie digne de ce nom du philosophe français.

1 BRUNEL F., « Jullien Marc-Antoine, dit Jullien de la Drôme », in SOBOUL A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 2005, 1989, p. 609 (rééd. Quadrige, 2005) ; M-DJ., « Jullien de la Drôme (Marc-Antoine) », in Biographie universelle, ancienne et moderne (…), A Paris, chez L.G. Michaud, 1841, t. 68, p. 331, 332.
2 Du moins s’il faut en croire la notice de la Biographie universelle (op. cit., p. 331), texte un peu polémique qu’il convient sans doute de nuancer. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous n’avons pu consulter l’ouvrage de Pierre Gascar (L’ombre de Robespierre, Paris, Gallimard, 1979, 325 p.) contenant sans doute plus d’informations au sujet de Jullien.

 

BÖDEKER H.E., FRIEDEMANN P., Gabriel Bonnot de Mably. Textes politiques (1751-1783), Paris, L'Harmattan, 2008, 348 p.

COSTE B., Mably pour une utopie du bon sens, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1975, 148 p.

FRIEDEMANN P., Die Politische Philosophie des Gabriel Bonnot de Mably (1709-1785). Eine Studie zur Geschichte des republikanischen und des sozialen Freiheitsbegriffs. LIT-Verlag Berlin, 2014, 350 p. (coll. Politische Theorie und Kultur , vol. 4).

GUERRIER W., L'Abbé de Mably, moraliste et politique: étude sur la doctrine morale du jacobinisme puritain et sur le développement de l'esprit républicain au XVIIIe siècle, Genève, Slatkine Reprints, 1971, 208 p.


LEHMANN L., Mably und Rousseau : eine Studie über die Grenzen der Emanzipation im Ancien Régime, Herbert Lang Bern Peterlang Frankfurt, 1975, 204 p. (Verfassungsgeschichte, 1).

MARGEDANT U., Sozial- und Staatslehre des Abbé de Mably : ein Beitrag zur politischen Philosophie in der zweiten Halfte des 18. Jahrhunderts, s.l., 1970, XV-170 p.

MARONGIU A., « L'abate Mably e gli stati generali », in Anciens Pays et Assemblées d’État, 1968, 47, p. 235-270.

MÜLLER G., Die Gesellschafts- und Staatslehren des Abbés Mably und ihr Einfluss auf das Werk der Konstituante, Vaduz, Kraus reprint LTD, 1965, 123 p. (Historische Studien, 124)


SGARD J., MALVACHE J.-L. et alii, Colloque Mably: la politique comme science morale : actes du colloque, 6-8 juin 1991, Musée de la Révolution française, Château de Vizille, Palomar, athenaeum, 2 vol., 229-300 p. « »

TEYSSENDIER DE LA SERVE P., Mably et les physiocrates, Genève Slatkine, 1971, VI-163 p.

WHITFIELD E. A., Gabriel Bonnot de Mably, London, George Routledge & Sons, Ltd, 1930, XIII-311 p. (introduction de Harold J. Laski).

WRIGHT J.K., A classical Republican in eighteenth-century France the political thought of Mably, Stanford, Stanford university press, 1997, VII-261 p.

Gabriel Bonnot de Mably

Gabriel Bonnot de Mably naquit dans un milieu aisé : son père Gabriel, issu de la haute bourgeoisie, venait d’entrer dans les rangs de la noblesse de robe provinciale et sa mère (née Catherine de la Coste) venait d’une famille fortunée1. Le jeune Gabriel eut pour frère le futur philosophe sensualiste Condillac. Destiné à la carrière ecclésiastique, Gabriel rejoignit le collège des jésuites à Lyon puis le séminaire des jésuites à Saint Sulspice. Il quitta cette institution en 1735 avec la qualité de sous-diacre. Il ne fut toutefois jamais ordonné et n’avait visiblement aucune envie de faire une carrière ecclésiastique. On sait peu de choses de la période qui suivit si ce n’est qu’il fréquenta le salon de son grand-frère Jean à Lyon mais aussi celui de madame Tencin où se rencontraient Marivaux, Voltaire, Montesquieu, etc. Madame Tencin avait un frère qui devint ministre des affaires étrangères en 1743 : il engagea Gabriel comme secrétaire. On attribue à ce dernier l’élaboration du projet du gouvernement français pour la paix de Breslau (1743). Il participa également aux négociations de Breda en 1746. On augurait pour lui une longue carrière politique au service de la monarchie mais il rompit avec Tencin en 1747 pour des raisons encore controversées. Il se consacra alors entièrement à son œuvre littéraire bien que celle-ci avait commencé avant son travail pour le ministre Tencin avec la publication en 1740 du Parallèle des Romains et des Français par rapport au gouvernement, ouvrage dont il se distancia plus tard vu qu’il y défendait la monarchie absolue et le rôle social du commerce.
Son travail pour le ministre Tencin lui valut une expérience presque sans équivalent parmi les penseurs politiques de son temps. Retiré du monde, il élabora alors son Droit public de l’Europe, abrégé des traités internationaux depuis le traité Westphalie jusqu’en 1740. Cet ouvrage paru en 1746 reçut un excellent accueil dans toute l’Europe et fut même enseigné dans les universités anglaises. Trois ans plus tard, ses Observations sur l’histoire des grecs parurent : il y modifiait ses idées sur l’histoire ancienne. Cet ouvrage sera remanié en 1766 sous le titre des Observations sur l’histoire de la Grèce. Avant cela, il se pencha aussi sur l’histoire romaine et conçut des Observations sur les Romains (1751). Il se fit plus discret les années suivantes avant de se pencher à nouveau sur les relations internationales en publiant en 1757 des Principes des négociations pour servir d’introduction au droit public de L’Europe. L’année suivante, il a sans doute terminé l’écriture les Droits et devoirs du citoyen, violente critique contre le gouvernement. Il proposait également des réformes prévoyant une convocation des États-Généraux, inévitable selon lui pour éviter un soulèvement. Cet opuscule prémonitoire fut publié à titre posthume peu avant l’ouverture des États-Généraux en 1789 et influença la pensée politique de la Révolution française. En 1763, il traita des rapports de la morale et de la politique sous la forme d’un dialogue intitulé : Entretiens de Phocion. Le succès fut retentissant mais lui valut une violente querelle avec Jean-Jacques Rousseau. Il eut également des démêlés avec le Parlement de Paris deux ans plus tard en démontrant dans ses Observations sur l’histoire de France les fondements démocratiques du gouvernement franc et, en opposition, le développement de la monarchie absolue sur les ruines du régime féodal. Grâce à ses appuis toutefois, aucune mesure ne fut prise contre lui. Deux ans plus tard, il campait toujours sur le terrain de la polémique en s’attaquant aux physiocrates avec ses Doutes proposés aux économistes, sur l’ordre naturel et essentiel des sociétés.
En 1770, à la demande du délégué des Confédérés de Bar, il accepta de se rendre en Pologne pour y étudier la situation politique et proposer un plan de réformes. Il y resta plus d’un an et de ce séjour résulta son Du gouvernement de Pologne, publié seulement en 1781 mais offrant un projet de constitution pour ce pays. Avant cela, il avait sorti deux ouvrages, le premier intitulé De l’étude de l’histoire (1775), traité de politique à travers les enseignements de l’histoire écrit à la demande de son frère Condillac , et le second surtout ayant pour titre De la législation ou principes des lois (1776). Ce dernier livre proposait l’édification d’une cité heureuse sous une législation impartiale, et celle d’une cité idéale sous le régime de la communauté, ce qui lui apportera ultérieurement la réputation d’un socialiste, voire d’un communiste.
Les dernières années de sa vie ne ralentirent en rien son inspiration. En 1783, il fit sortir de presse : De la manière d’écrire l’histoire (1783) qui provoqua un tollé général car il y attaquait les historiens les plus connus de son temps comme Robertson et Gibbon mais aussi Voltaire à qui il reprochait une conception frivole de l’histoire. L’année suivante, il eut maille à partir avec l’Église pour ses Principes de morale. La Sorbonne rédigea une censure contre l’ouvrage mais les poursuites furent abandonnées du fait d’une prétendue rétraction, toujours niée plus tard par ses amis. Ses Observations sur le gouvernement et les lois des Etats-Unis d’Amérique (1784) constituent le dernier ouvrage écrit de son vivant.

1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré des ouvrages de Brigitte et Hans Eric Bödeker et Peter Friedemann (cf. orientation bibliographique).

 

Lettre
Support : une feuille de papier

Hauteur : 216 mm
Largeur : 339 mm

Cote : 19346/2975

Portrait
Support : une feuille de papier
Gabriel Bonnot Mably né à Grenoble le 14. Mars 1709. Mort à Paris le 23 Avril 1785 ; F. Bonneville Delin. ; F : Huot sculp. ; A Paris rue Saint Jacques n° 195.

Hauteur : 263 mm
Largeur : 182 mm

Cote : 19346/2975