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Lettre à Paul Henri Spaak, 10 octobre 1944

Berne, le 10 octobre 1944

A monsieur Paul – Henri Spaak, ministre des Affaires Etrangères

                                                                               Bruxelles

 

                               Mon cher Spaak,

                Vous aurez sans doute déjà appris que je me trouve en Suisse depuis six semaine, les évènements ayant mis fin alors à mes possibilités de séjour en Haute – Savoie.

                Maintenant, j’attends avec impatience le moment où je pourrai retourner en Belgique, pour démontrer la fausseté des accusations qui  ont été répandues contre moi.

                Je sais que vous ne négligerez rien pour que cela puisse se faire bientôt et dans de bonnes conditions.

                A ce sujet, il serait désirable que je puisse repasser par la Haute – Savoie, pour y prendre entre autres choses des dossiers que j’y avais mis en sécurité.

                Le département de la Justice et de la Police à Berne m’a autorisé à joindre cette lettre à la communication officielle qui doit vous être envoyée par le Département des Affaires Étrangères ; vous me feriez grand plaisir en me répondant personnellement par la même voie, et en me donnant quelques nouvelles de mes enfants et petits – enfants.

                Vous me feriez plaisir aussi en assurant Pierlot, et les autres anciens collègues au gouvernement, de mes bons sentiments et vœux personnels, non entamés par les divergences de vues politiques qui nous ont séparés et nous séparent encore.

                Mes amitiés à vous et aux vôtres

 

Henri de Man avait rejoint clandestinement la Suisse en août 1944 après un séjour à La Clusaz. Nous l’avons vu, de Man ne put rentrer en Belgique pour confondre ses accusateurs. Toutefois, il écrivit : De la capitulation à l’exil peu de temps après et dans lequel il expliquait son attitude durant la guerre. Les archives de Paul Henri Spaak conservées par  notre institution ne comprennent aucun brouillon d’une réponse de Spaak à ce courrier.

Les deux hommes se connaissaient de longue date. D’abord via le Parti ouvrier belge où ils constituaient la nouvelle garde face aux dirigeants historiques comme Emile Vandervelde. Le bouillant Spaak, alors très à gauche et à la tête de l’Action socialiste, apporta un soutien enthousiaste au Plan du Travail lors du Congrès de Noël 1933, même si sa position évolua par la suite : il ne fut jamais le « porteur d’eau » de de Man. Et les traces du Plan dans le programme de son premier gouvernement (15 mai 1938 - 21 février 1939) sont infimes… Signalons également que Spaak fut partisan de l’élection de de Man à la tête du POB en mai 1939. Spaak et de Man partagèrent également l’exercice du pouvoir. Ils rejoignirent l’équipe du premier gouvernement de Van Zeeland (25 mars 1935 - 13 juin 1936), le premier avec le maroquin des Travaux publics, le second avec celui des Transports et des PTT. Ils furent repris dans le deuxième gouvernement de Van Zeeland (13 juin 1936 - 24 novembre 1937) avec des affectations différentes : De man fut chargé du poste des Finances, son collègue socialiste prenant pour la première fois le ministère des Affaires étrangères. Il participèrent également au Gouvernement Pierlot à partir du 3 septembre 1939 (de Man comme membre du Conseil des ministres et Spaak toujours aux Affaires étrangères) mais de Man quitta le pouvoir le 5 janvier 1940. Les trajectoires des deux hommes se séparèrent alors, Spaak gagnant l’étranger et de Man se montrant le principal responsable de l’idée d’un « gouvernement de la capitulation et de la démobilisation » et devenant également le conseiller politique du roi.

Ses graves divergences politiques n’entamèrent en rien l’admiration réelle de Spaak pour le penseur socialiste. De sa prime jeunesse au crépuscule de son existence, il ne tarissait pas d’éloges sur son intelligence. Ainsi peut-on lire ceci dans ses Combats inachevés :  « ses erreurs, qui furent grandes, qui firent de lui un réprouvé et un exilé, ne peuvent m’empêcher de dire que de Man est le plus authentique penseur socialiste du XXe siècle, et l’un des rares hommes qui, en quelques occasions, m’a donné la sensation du génie. Un jour l’étude de son œuvre théorique sera reprise. De Man trouvera alors sa vraie place parmi les meilleurs sociologues de notre temps. ». Cet enthousiasme n’eut pas d’égal chez de Man : celui-ci considéra toujours son collègue socialiste avec une certaine condescendance, le voyant même comme un  « néo socialiste mou » durant les années 30…

Actes du colloque international sur l’œuvre d’Henri de Man organisé par la faculté de droit de l’Université Genève les 18, 19 et 20 juin 1973, Genève, 1974, 3 fasc., 305 p.

 

BRELAZ M.,Inventaire de la correspondance Henri De Man - Léon Delsinne, Genève, Association pour l'Etude de l'œuvre d'Henri de Man, 2000, 15 p.

 

BRELAZ M., RENS I., « Man (Henri de), in Biographie nationale, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant, 1973-1974, t. 38, col. 535-554

 

Il existe un Bulletin de l’Association pour l’étude de l’œuvre d’Henri de Man, publié par l’Association pour l’étude de l’œuvre d’Henri de Man, 1994-

Retenons les numéros suivants :

Actes du colloque d'Anvers tenu le 17 novembre 1985 l'occasion du centenaire de la naissance d'Henri De Man, Genève, Association pour l'étude de l'œuvre d'Henri De Man, 1987, 218 p.

Actes du colloque du 12 décembre 2003 "L'héritage d'Henri de Man", in memoriam Marlene de Man-Flechtheim, Genève, Association pour l'étude de l'œuvre d'Henri De Man, 2004, 126 p.

"Henri de Man et l'an 1940": Actes du colloque du 10 décembre 2004, Genève, Association pour l'étude de l'œuvre d'Henri De Man, 2005, 142 p.

De erfenis van Hendrik de Man = L'héritage d'Henri de Man, Bekkevoort, Association pour l'étude de l'œuvre d'Henri De Man, 2003, 111 p.

 

CLAEYS-VAN HAEGENDOREN M., Hendrik de Man, een biografie, Anvers-Utrecht, 1972

 

DE SCHEPPER H., Inventaris van de verzameling Hendrik De Man, Brussel / Bruxelles, Algemeen Rijksarchief / Archives générales du Royaume, 1977, 100 p.

 

DODGE P., Beyond marxism : the faith and works of Hendrik de Man, La Haye, 1966

 

DODGE P., A Documentary Study of Hendrik de Man, socialist critic of marxism, Princeton, 1979

 

VAN PESKI A. M., Hendrik de Man , Ein Wille zum Sozialismus, Tübingen, 1963

 

CLAEYS-VAN HAEGENDOREN M., Hendrik de Man, een biografie, Anvers-Utrecht, 1972

Henri de Man

Né à Anvers le 17 novembre 1885, décédé à Greng (Suisse) le 20 juin 1953.

Henri de Man était issu d’une famille cultivée et aisée d’Anvers. Il était le petit-fils du poète flamand Jan van Beers. Il fit ses études primaires et secondaires dans sa ville natale. Il fut rapidement frappé par la misère sociale régnant autour de lui. Il adhéra à la Jeune Garde Socialiste d’Anvers et y fit preuve d’un grand militantisme. D’abord anarchisant, il adhéra bien vite au marxisme. Il tenta des études de biologie à l’Université libre de Bruxelles mais échoua. Il tenta sa chance auprès de l’Institut polytechnique de Gand mais se fit expulser du fait d’une participation à une manifestation en faveur de la Révolution russe de 1905. En rupture avec son milieu, il prit le chemin de l’Allemagne et devint rédacteur d’un journal marxiste radical auquel participaient, entre autres, Rosa Luxembourg et Trotsky. Il reprit ses études universitaires et termina une thèse sous la direction de Karl Bücher , avec l’aide d’Henri Pirenne. Elle portait sur l’industrie drapière à Gand au moyen âge. Il rentra en Belgique en 1910 et anima l’aile gauche du Parti ouvrier belge (P.O.B.) avec Louis De Brouckère. Ils fustigeaient tous deux le réformisme et l’affairisme régnant selon eux au sein du parti.

Quoiqu’attaché à l’Internationalisme, il s’engagea comme volontaire lors du premier conflit mondial et deviendra même lieutenant. Il fit un voyage en URSS en compagnie de Vandervelde et De Brouckère pour convaincre la jeune république de ne pas accepter une paix séparée. Il fit ensuite un séjour aux U.S.A. À son retour en Belgique, il fut appelé à diriger l’École ouvrière supérieure crée par le P.O.B. En 1922, il gagna à nouveau l’Allemagne et y rédigea son premier ouvrage doctrinal : Zur psychologie des Sozialismus (Au-delà du marxisme) : il y insistait sur le sentiment (ou pas…) de l’ouvrier sur la réalité de son exploitation et appelait à aller au-delà du marxisme. Son œuvre continua à s’étoffer par la suite avec, successivement, La joie au travail (1927), Le socialisme constructif (1931) et, enfin, L’idée socialiste (1931), vaste synthèse de sa doctrine. Parallèlement à cela, il enseignait la psychologie sociale à l’Université de Francfort. En 1930, il revint en Belgique et prit la direction du bureau d’études créé par un P.O.B. affaibli par la grande crise de 1929. Avec ses collaborateurs, il élabora un projet anticapitaliste susceptible de fédérer la classe ouvrière et d’autres classes : le fameux Plan du Travail. Il participa ensuite au pouvoir (cf. analyse) et se prononça clairement en faveur d’un « socialisme national » et d’une « démocratie autoritaire », comme Spaak à l’époque du reste. Après la mort de Vandervelde, il conquit la présidence du P.O.B. en 1939. Il participa au gouvernement Pierlot mais le quitta du fait de ses positions hostiles aux Alliés. Il approuva le refus du roi de suivre le gouvernement en exil. Surtout, il rédigea un manifeste en mai 1940 où il attribuait un rôle révolutionnaire au fascisme et considérait le rôle politique du P.O.B. comme clos. Il invitait les militants socialistes à rejoindre un futur parti unique. Il participa également à la constitution d’un syndicat collaborationniste. Complétement isolé et privé d’influence, il s’exila ensuite en Haute-Savoie en novembre 1941. En août 1944, il fut forcé de rejoindre la Suisse et obtint le statut de réfugié politique. Il fut condamné par un tribunal militaire en 1946, « pour avoir, étant militaire, méchamment servi la politique ou les desseins de l’ennemi ». Il périt quelques années plus tard dans un accident de voiture.

 

 

Support : une feuille de papier

 

Hauteur : 295 mm

Largeur : 204 mm

 

Cote : ARB Archives Spaak - caisse 20 - farde 195