Lettre à Paul Henri Spaak, 13 décembre 1951

Assemblée nationale                                                                                                                                                                  République française

                                                                                                                                                                                      Liberté – Égalité – Fraternité

 

                                                                                                                                                                                        Paris, le 13 décembre 1951

 

Mon cher président,

 

                Je vous félicite de votre geste. Vous ne pouviez plus continuer à présider cette déliquescence.

                Par contre, je crois qu’il y aurait un grave inconvénient à quitter l’assemblée pour ne pas éteindre ce qui apparaît encore comme une lumière si vacillante soit-elle ? L’Assemblée va pouvoire profiter de votre dynamisme et de votre autorité.

                Veuillez croire, mon cher Président, à mes sentiments dévoués.

 

Paul Reynaud.

 

 

Monsieur le Président

Charles (sic) - Henri Spaak

Bruxelles

La missive ci-dessous fut conçue suite à la démission de Paul Henri Spaak de son poste de président de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe deux jours auparavant, charge qu’il assumait depuis le 11 août 1949[1]. Spaak ne se contenta pas de faire acter sa démission : il tint un vigoureux discours aux membres de cette assemblée. Fustigeant le « négativisme » et la « stagnation » de l’assemblée consultative, dénonçant ceux de ses membres qui « sont à peine touchés par l’intérêt et l’utilité de notre besogne » et se contentant de vivre « dans la peur du Russe et la charité des Américains », de même que les Britanniques et leurs fausses bonnes raisons de ne pas s’engager, Spaak en conclut que l’intérêt de « l’Europe unie » ne se trouvait plus dans l’assemblée et qu’il fallait regarder au-delà des murs de l’assemblée. Cette démission fracassante marqua le début de sa conversion aux thèses fédéralistes[2]. Jusque là en effet, sa présidence lui interdisait des positions trop radicales, de même que sa volonté de ne pas provoquer une rupture entre les Anglais et les continentaux. Il n’était alors pas question de choisir entre les Unionistes, partisan d’une Europe des Nations et les Fédéralistes, favorables à la fin du système des États-nations[3]. Sa démission effective, Spaak pouvait plus clairement dévoiler le fonds de sa pensée.

On s’étonnera peu du soutien de Paul Reynaud à Paul Henri Spaak suite à son geste et son discours du 11 décembre 1951. En effet, à la lecture de son ouvrage intitulé : S’unir ou périr paru la même année, on constate que Paul Reynaud appelait de ses vœux l’instauration d’institutions capables d’instaurer une Europe Unie. Or, le Conseil de l’Europe lui parait insuffisant à cet effet et il prônait également la création d’une assemblée européenne élue directement par les peuples d’Europe pour une question de légitimité et de contrôle de l’exécutif, de même que pour éviter cet immobilisme dénoncé par Spaak le 11 décembre. Il défendait d’ailleurs ce projet depuis le Congrès de La Haye de mai 1948. L’assemblée consultative du Conseil de l’Europe n’était en effet composée que de délégués nationaux : il fallut attendre 1979 pour que soit adopté l’élection des députés européens au suffrage universel… L’ouvrage de Reynaud paru en 1951 contient également des considérations sur le caractère désuet du cadre national et la nécessité d’une indispensable mise en chantier d’une Europe unie. Reynaud s’y prononçait également pour une fédération européenne récupérant une partie de la souveraineté des États européens[4].

Nous ignorons dans quelle mesure Paul Henri Spaak fut influencé par les conseils de Paul Reynaud repris dans la lettre ci-dessus. Toujours est-il que le premier honora de sa présence l’Assemblée consultative jusqu’au 20 mai 1954[5], tandis que le second y siégea jusqu’en avril 1959[6].

 

[2] DUMOULIN M., Spaak, Bruxelles, Éditions Racine, 1999, p. 443-444.

[3] GUIEU J.-M., Le militantisme européen, une approche générationnelle (des années 1920 au début des années 1950), in Histoire@politique, n° 10, 2010/1, p. 10 [https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2010-1-page-3.htm] consultation le 3 avril 2018.

[4] TELLIER T., Paul Reynaud : un indépendant en politique (1878-1966), Paris, Fayard, 2005, p. 728-735 (coll. Pour une histoire du XXe siècle).

[6] TELLIER T., Paul Reynaud : un indépendant en politique (…), op. cit., p. 730.

DEMEY É., Paul Reynaud, mon père,  Paris, Plon, 1931, 1989, 331 p.

 

GUICHARD J.-P., Paul Reynaud : un homme d'État dans la tourmente, septembre 1939-juin 1940, Paris, L'Harmattan, , 463 p.

 

KRAKOVITCH R., Paul Reynaud dans la tragédie de l'histoire, Paris, Tallandier, , 502 p.

 

TELLIER T., Paul Reynaud : un indépendant en politique (1878-1966), Paris, Fayard, 2005, 887 p. (coll. Pour une histoire du XXe siècle).

Paul Reynaud

Support : une feuille de papier

 

Hauteur : 270 mm

Largeur : 210 mm

 

Cote : ARB Archives Spaak - caisse 43 - farde 525