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Lettre à Paul Henri Spaak, 7 juillet 1958

Le Premier Ministre      

                                                                                                                                          Louvain, le 7 juillet 1958

                                                                                                                                                     Rue de Namur, 62

 

 

Cher Ami,

 

                J’ai bien reçu ta lettre du 17 juin dernier et je m’excuse d’y répondre si tardivement.

                J’avoue que ton message, dicté par un souci de fidèle amitié, n’a fait qu’augmenter mon trouble. Je me suis parfaitement rendu compte des risques encourus par la constitution d’un gouvernement minoritaire dans les conditions que tu connais. Toutefois, tu dois comprendre que je n’avais plus les mouvements libres. En effet, le Parti Social Chrétien ne m’aurait jamais pardonné d’avoir abandonné, avec le risque de voir faire éventuellement une dissolution par un gouvernement présidé par un homme de gauche.

                L’avenir immédiat est incertain. Je continue mes efforts afin de trouver un allié qui puisse donner une solution à la question scolaire. Vraiment, cette affaire a pesé trop longtemps sur notre vie politique en Belgique et tu n’ignores pas quelles sont mes intentions sincères à cet égard. Je dois te dire que du côté socialiste se dessine une très lente évolution, mais j’estime que pour des mois à venir il sera impossible d’obtenir une collaboration de ce côté. À titre confidentiel je te communique - mais je t’en prie de ne pas faire état de la chose – que M. Buset m’a finalement fait savoir que le Parti Socialiste n’entendait rien faire pour l’enseignement libre. Il m’a dit littéralement ce qui suit : Pendant tout un temps et peut-être pendant des années encore, il faudra donner le plein épanouissement à l’enseignement officiel et c’est seulement après cela, que nous pourrions éventuellement nous revoir afin d’envisager ce qui pourrait être fait pour l’enseignement libre. Je sais fort bien que les choses peuvent évoluer malgré certaines déclarations, mais en conscience j’ai été obligé de tenir compte d’un ensemble de faits, que je désire t’expliquer, à la toute première occasion, oralement.

                Ma femme se joint à moi pour te demander de bien vouloir partager avec Madame Spaak, l’expression de nos sentiments distingués.

 

Gaston Eyskens

 

Monsieur P.H. Spaak

Secrétaire Général Organisation du Traité

De l’Atlantique Nord

Paris.

Nous possédons le brouillon de la lettre de Spaak du 17 juin 1958 mentionnée ci-dessus. On y trouve un Spaak chaleureux, soucieux de la réussite de son « Ami », malgré deux étiquettes politiques différentes. Il est possible que les deux hommes apprirent à se connaître et s’apprécier au sein du gouvernement Van Acker I (février – juin 1945) et encore davantage sans doute dans les gouvernements Spaak III et IV (mars 1947 – août 1949) où Eyskens reçut le maroquin des Finances. Spaak se justifiait de sa missive du 17 juin en ces termes : « Elle m’est dictée à la fois par l’intérêt que je continue à porter à la politique belge et par l’amitié que j’ai pour toi ». Avant cela, il jugeait que son ami avait été mis en piste comme formateur beaucoup trop tôt vu les passions encore vives. Il suggérait également qu’un gouvernement de minorité PSC  ne serait pas nécessairement renversé par la Chambre et pourrait même vivre assez longtemps. Il lui conseilla toutefois de ne pas le présider pour « te préserver » mais qu’un jour : « tu présideras le gouvernement dont la Belgique a besoin »1.

Entre ce courrier marqué au coin de la bienveillance et la réponse ci-dessus, le gouvernement Eyskens II fut instauré. Il était minoritaire à la Chambre mais, après la déclaration gouvernementale du nouveau Premier ministre du 1er juillet devant la même Assemblée, la motion de confiance fut obtenue. Pour l’obtenir, Gaston Eyskens s’était engagé auprès de certains libéraux à présenter un projet de solution de la question scolaire à la rentrée parlementaire d’octobre2. C’était du reste sa principale motivation comme nous le voyons ci-dessus. Il est vrai que depuis 1950, la vie politique était rythmée par le conflit opposant les mondes catholique et laïque, chacun favorisant le réseau libre ou l’enseignement officiel par toutes sortes de mesures, notamment financières3. Ce fut la réussite du gouvernement Eyskens II d’y mettre un terme. En août 1958 en effet, une commission nationale réunissant les trois grands partis (social-chrétien, socialiste et libéral) fut mise sur pied. Le 4 novembre 1958, alors qu’un accord était en vue, Eyskens présenta la démission de son gouvernement pour en former un nouveau avec les libéraux. Le 6 novembre, le Pacte scolaire fut paraphé et signé officiellement le 20 novembre, jour de la célèbre « Saint Verhaegen ». Placé sous le signe de la liberté du père de famille et de la démocratisation, la gratuité des études était assurée jusqu’à l’âge de 18 ans dans les deux réseaux. Comme aucun minerval ne peut être réclamé, l’enseignement libre reçut des subventions suffisantes. Malgré l’intransigeance de Max Buset4, (président du Parti socialiste) décrite ci-dessus par le Premier ministre, des concessions furent accordées de part et d’autres. Il serait trop long de les détailler toutes ici. Signalons toutefois que le choix entre le cours de religion et celui de morale fut généralisé à l’ensemble du réseau public, que le personnel du réseau libre était obligé d’obtenir un diplôme exigé par l’État, etc. Les différentes dispositions du Pacte furent reprises dans la loi du 29 mai 19595. Entretemps, le gouvernement Eyskens III fut constitué en novembre 1958 : à la composante uniquement sociale chrétienne de Eyskens II fut substitué une coalition chrétienne / libérale qui dura jusqu’en septembre 1960. Comme désiré ci-dessus, Gaston Eyskens réussit donc à mettre un terme à la guerre scolaire.

1 ARB Archives Spaak - caisse 41 - farde 434, f° 7173.

2 DUJARDIN V., DUMOULIN M., L’union fait-elle toujours la force ?, Bruxelles, Le Cri, 2008, p. 85-88 (Nouvelle histoire de Belgique, 1950-1970).

3 HASQUIN H., Dictionnaire d'histoire de Belgique : Les hommes, les institutions, les faits, le Congo belge et le Ruanda-Urundi, Namur, Didier Hatier, 2000, p. 322.

4 Homme politique belge, né à Fayt-lez-Manage le 31 janvier 1896, décédé à Haine-Saint-Paul le 28 juin 1959. Il fut président du Parti socialiste belge de 1945 à 1959.

5 DUJARDIN V., DUMOULIN M., L’union fait-elle toujours la force ?, op. cit., p. 71-73.

DURANT G., Minister van Staat Gaston Eyskens. Een biographie, Zele, DAP Reinaert, 1983, 320 p.

 

EYSKENS G., Mémoires, Bruxelles, CRISP, 2012.

 

Gaston Eyskens 80 : huldecolloquium, Brussel, Paleis voor congressen, 22 juni 1985 = colloque d'hommage, Bruxelles, Palais des congrès, Tielt, Lannoo, 1985, 187 p.

 

HISLAIRE J., Gaston Eyskens, le scepticisme qui soulève les montagnes, Bruxelles, Labor, 1971, 157 p. (coll. Ceux d'hier et d'aujourd'hui, 6).

 

Liber Amicorum : Professor Dr. Gaston Eyskens (Economische opstellen aangeboden aan Professor Dr. Gaston Eyskens, Gewoon Hoogleraar aan de Katholieke Universiteit te Leuven ter gelegenheid van zijn emeritaatsviering op 4 oktober 1975), Leuven, Universitaire Pers Leuven, 1975, 521 p.

 

PLAVSIC W., Monsieur le premier ministre. Vie et mœurs, œuvre, Bruxelles, Didier Hatier, 1988, p. 153-170 (coll. Grands Documents Didier Hatier : histoire, récits, documents humains, vol. 1).

 

RICQUIER J.-C., Le Vicomte Eyskens: souvenirs et commentaires, Bruxelles, Hatier, 1984, 71 p.

 

SMITS J., « Eyskens Gaston », in Nationaal biografisch woordenboek, Brussel, Paleis der Academiën, 1996, 15, col. 223-244.

 

SMITS J., Gaston Eyskens. Het Laatste Gesprek. Herinneringen aan 40 jaar politiek Leven [interview], Kapellen, Brussel, DNB, Pelckmans, 1988, 222 p.

 

VANDEPUTTE R., Burggraaf G. Eyskens (1905-1988), Brussel, Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België 1988 (Mededelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, n° 1).

 

VAN ROMPUY V., « Gaston Eyskens », in Jaarboek van de Maatschappij der Nederlandse Letterkunde, 1990-1991, p. 90-95.

Gaston François Marie Eyskens

Né à Lierre le 1er avril 1905, décédé à Louvain le 3 janvier 1988.

Il naquit dans la petite bourgeoisie : son père était représentant de commerce tandis que sa mère était femme au foyer. Il fit ses humanités dans une école pour les enfants de réfugiés belges de Breda puis à l’athénée de Lier et de Louvain. Il rejoignit ensuite les rangs de l’Université de Louvain et obtint en 1926 (avec la grande distinction) un diplôme de licencié en sciences commerciales et financières. Il se rendit ensuite aux États-Unis où il suivit des cours aux université Columbia (New York) et de Los Angeles. En 1930, il devint docteur en Sciences commerciales et licencié en Sciences économiques. La récolte académique continua en 1931 avec l’obtention d’un doctorat en Sciences politiques et sociales. Un tel parcours lui valut d’être désigné professeur à l’Université de Louvain.

Parallèlement à cette brillante carrière scientifique, son intérêt se porta également sur la politique. Il faisait partie du mouvement chrétien, proche de la branche ouvrière et du mouvement flamand. Il rejoignit pour quelques temps (d’août à novembre 1934) le cabinet de Philippe Van Isacker, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale. Durant le gouvernement Theunis II (novembre 1934 – mars 1935), il resta dans le même cabinet, dirigé toutefois par Edmond Rubens. Quand la Deuxième guerre mondiale éclata, il choisit de fuir en France et songea à gagner les États-Unis. Il revint toutefois en Belgique, cédant ainsi aux suppliques du recteur de l’Université de Louvain. Il participa aux activités clandestines du mouvement chrétien. À la libération, il participa au gouvernement Van Acker I (février 1945-août 1945) en tant que ministre des Finances. Il dirigea à nouveau ce ministère sous les gouvernements Spaak III et IV de mars 1947 à août 1949. Il prit la tête ensuite de son premier gouvernement, une coalition sociale-chrétienne qui perdura jusqu’en juin 1950. Il dut notamment faire face à la question du retour de Léopold III au pays. Son gouvernement tombé, il rejoignit l’éphémère (juin – août 1950) gouvernement dirigé par  Jean Devieusart : on lui confia les Affaires économiques. Il rejoignit ensuite les rangs de l’opposition jusqu’en 1958 où il réussit à fonder son deuxième et troisième gouvernement. Il parvint à résoudre la question scolaire (cf. analyse) et signa la déclaration d’indépendance du Congo le 30 juin 1960. Il mena également un plan de redressement financier plus connu sous le nom de Loi unique. Celle-ci provoqua des grèves pendant plus d’un mois : la popularité du parti social-chrétien s’effondra et provoqua sa défaite lors des élections du 26 mars 1961. Une longue période d’opposition s’ensuivit et prit fin avec la création en juin 1968 du gouvernement Eyskens IV, aux couleurs sociales chrétiennes et socialistes. Il dura jusqu’en janvier 1972. La volonté de l’homme d’État était alors de mettre fin aux conflits communautaires. C’est sous ce gouvernement que furent créées les quatre régions linguistiques, les communautés et les régions : l’État unitaire belge avait vécu, ce que Eyskens expliqua longuement dans son célèbre discours à la Chambre du 14 février 1970. Un dernier gouvernement dirigé par Eyskens vit le jour en janvier 1972. Malgré toutes les réformes, les problèmes communautaires subsistaient, surtout autour de la question de la région de Bruxelles. Les circonstances contraignirent Eyskens à présenter la démission de son gouvernement au Roi. Le 22 novembre, il annonça la fin de sa carrière politique. L’année suivante, il présida le Conseil d’administration de la Kredietbank, tâche dont il s’acquitta jusqu’en 1980.

Support : une feuille de papier

 

Hauteur : 297 mm

Largeur : 210 mm

 

Cote : ARB Archives Spaak - caisse 41 - farde 434