Lettre au baron de Stassart, 14 mai 1845

[Annotation du baron de Stassart]

Répondu verbalement

A Monsieur le Baron de Stassart.

 

 

Monsieur le Baron,

 

En vous témoignant mes regrets de ne m’être point trouvée chez moi lorsque vous m’avez fait l’honneur de venir me voir, en vous remerciant de l’obligeant souvenir que vous voulez bien conserver de m’avoir connue chez mon père, je réclame comme une marque de bonté de vouloir bien me permettre de vous porter moi-même la petite somme dont je suis redevable à Monsieur Delahaye , et d’avoir le plaisir par la même occasion de vous offrir un exemplaire d’un ouvrage d’éducation que je viens récemment de publier à Bruxelles. Je ne vous cache point, Monsieur le Baron, que j'avais intention de faire une démarche auprès de vous à ce sujet, et de réclamer de votre bienveillance un service que je crois en votre pouvoir. Votre souvenir obligeant m'encourage tout à fait à cette démarche, et je vous demande la permision de me présenter chez vous demain vers onze heures avant midi. Si cette heure ne vous convenait point, veuillez, Monsieur le Baron, m’en indiquer une autre.

    

Agréez, je vous prie, Monsieur le Baron, l'assurance de ma haute considération.

 

Zoé Gatti de Gamond.

 

Bruxelles, ce 14 mai 1845.

La missive ci-dessus est la première d'une série conservée par notre académie. La pédagogue n'était pas inconnue du baron de Stassart. Comme indiqué ici, Zoé Gatti de Gamond avait fait connaissance du baron de Stassart grâce à son père, peut-être durant les évènements révolutionnaires de 1830 où les deux hommes se rencontrèrent à de multiples reprises1, nous ne savons. Quelques années plus tard, Zoé Gatti de Gamond fit appel à l'aide du clan de Stassart. En 1835 en effet, elle demanda à l'épouse du baron une aide financière pour tenter d'équilibrer les comptes de son école2. De nouveau aux abois dix ans plus tard (cf. biographie), elle n'eut d'autre choix que de demander l'aide du baron de Stassart, tout en lui envoyant sa dernière publication intitulée : Abrégé de l'histoire sainte3, ouvrage à la religiosité assumée (avec approbation ecclésiastique4) et qui devait connaître une suite en onze autres volumes dont nous n'avons trouvé trace malgré une souscription de la Reine des Belges5. La suite de la correspondance entre le baron et la pédagogue prouve l'aide du premier. C'est ainsi que grâce à lui, la Reine versa 200 francs à Zoé Gatti de Gamond en juin 18456. Plus d'un an plus tard, toujours dans la gêne, elle demanda un prêt de 600 francs à Goswin de Stassart7, non sans ajouter une description pathétique de sa misère : " Dans ce pays-ci je n'ai à attendre que les plus rudes peines, la misère, la maladie et la mort". Comme nous l'avons vu dans la biographie, elle ne dut son salut qu'à son poste d'inspectrice générale : elle ne manqua pas d'en informer le baron de Stassart et de le remercier de l'intérêt qu'il lui porta durant son infortune8.

 

1 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 288 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).

2 PIETTE V., « Zoé Gatti de Gamond ou les premières avancées féministes ? », in Revue belge de philosophie et d’histoire, 77, 1999, p. 410. Archives de l'Académie royale de Belgique, n° 19345/21.

3 Bruxelles, M. Vanderborght, 1845, IV-325 p.

4 Ibidem, p. IV.

5 Idem. Ces volumes auraient dû avoir pour titres : Biographie catholique, Grands hommes de la littérature, Artistes célèbres, etc.

6 Archives de l'Académie royale de Belgique, 19345/782, lettre du 22 juin 1845.

7 Ibidem, lettre du 27 octobre 1846. Nous n'avons pas réussi à déterminer si il lui accorda cette faveur.

8 Ibidem, lettre du 6 juillet 1847.

BARTIER J., Un siècle d’enseignement féminin : Le Lycée royal Gatti de Gamond et sa fondatrice, Bruxelles : Malvaux, 1964, n. p.

 

GUBIN E., PIETTE V., JACQUES C., « Gatti de Gamond Zoé, Charlotte, née de Gamond, dite Marie de G*** », in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Atelier, 1997


 

GUBIN E., PIETTE V., Isabelle Gatti de Gamond 1839-1905 – La passion d’enseigner, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, Groupe interdisciplinaire d'études sur les femmes, 2004, p. 10-24


 

JACQUES C., « Le féminisme en Belgique de la fin du 19è siècle aux années 1970 », in Courrier hebdomadaire du CRISP, 2009/7, p. 5-54


 

PIETTE V., « de Gamond Zoé, Charlotte, pseudo Marie de G*** (1806-1854), épouse Gatti », in GUBIN E., JACQUES C., PIETTE V., PUISSANT J. (dir.), DUPONT-BOUCHAT M.-S., NANDRIN J.-P. (coll.), Dictionnaire des femmes belges XIXe-XXe siècle, Bruxelles, Éditions Racine, 2006, p. 153-155.


 

PIETTE V., « Zoé Gatti de Gamond ou les premières avancées féministes ? », in Revue belge de philosophie et d’histoire, 77, 1999, p. 402-415.


 

VAN NUFFEL R., « Gatti de Gamond (Zoé-Charlotte) », in Biographie nationale, Bruxelles, t. 38, 1973-1974, col. 241-250

 

Zoé Gatti de Gamond

Né de Gamond, elle était la fille d’Élisabeth-Angélique de Lados et surtout de Pierre-Joseph de Gamond, chevalier héréditaire, gouverneur de la province d’Anvers sous le régime hollandais et secrétaire général du ministre des Finances en 18301. Il termina sa carrière comme conseiller de la Cour d’appel de Bruxelles et professeur de l’Université de Bruxelles où il donnait le cours de « Code de Procédure civile et ordre des Juridictions ». On s’étonnera peu que la jeune Zoé fut élevée dans les principes libéraux et put y développer une intelligence particulièrement vive. En outre, elle participait activement au salon tenu par sa mère qui décéda en 1829. Zoé et sa sœur Élise se lancèrent alors en politique et profitèrent des évènements révolutionnaires de 1830. Elles découvrirent également les idées égalitaires de Saint-Simon, philosophe et économiste français. Elles répandirent ses idées, notamment via un salon où elles réunissaient leurs amies deux fois par semaine.

Zoé se détourna toutefois du saint-simonisme devant la volonté de son fondateur de le transformer en église. Elle se tourna alors vers les théories de Fourier. Son activité lui permit de sympathiser avec beaucoup d’intellectuels progressistes et de participer à plusieurs revues dont le Recueil encyclopédique belge, L’artiste, etc. Elle prôna ensuite l’émancipation des femmes par l’éducation. Elle développa d’ailleurs ses idées à cet égard dans un ouvrage intitulé : De la condition sociale des femmes aux dix-neuvième siècle (1834). Elle y proposait des écoles gratuites et payantes pour les filles. Trois degrés seraient proposés. Le premier accueillerait les filles de deux à six ans : on leur ferait connaître des ouvrages faciles et elles seraient familiarisées à l’idée de Dieu. Le second s’occuperait des filles de 6 à 12 ans : les travaux manuels y seraient mis en valeur, à côté de l’écriture, de la lecture et du calcul. Des « écoles d’industrie » seraient proposées ensuite aux filles ne pouvant être prises en charge par leurs parents. Elles consisteraient en vastes ateliers où elles pourraient concevoir des produits qui seraient vendus. Les classes bourgeoises viendraient y chercher servantes, femmes de chambres et cuisinières. Enfin, pour les femmes pauvres de la « classe élevée », la pédagogue propose la fondation d’une école supérieure leur permettant une carrière dans l’enseignement. Ce vaste projet, même s’il contient des considérations qui pourraient choquer notre époque, n’en était pas moins très audacieux pour la première moitié du XIXe siècle. Zoé et une amie passèrent de la théorie à la pratique en 1835, année où elle épousa le peintre Jean-Baptiste Gatti. En effet, elles fondèrent une école d’adultes pour les femmes ouvrières et une école normale pour les femmes désirant se vouer à l’enseignement. La première rencontra beaucoup de succès, la deuxième un peu moins mais, surtout, les moyens financiers virent à manquer très rapidement, malgré une aide de la Reine de Belges. Zoé et son mari gagnèrent alors Paris et collaborèrent à plusieurs publications consacrées à la Russie. Toutefois, c’est comme commentatrice des idées de Fourier qu’elle se fit connaitre et grandement apprécier, bien que, contrairement à Fourier, elle considérait toujours la famille et la propriété comme étant intouchables. Elle forma d’ailleurs une dissidence du fouriérisme et lança la réalisation du phalanstère de Cîteaux : ce fut un désastre financier. Ruinés, elle et son mari regagnèrent Bruxelles et vécurent misérablement durant quelques années. Pour survivre, elle conçut quelques ouvrages de commandes relatifs à la pédagogie. Néanmoins, sa soif d’Égalité la taraudait toujours. Ainsi, quand la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut posa une question relative aux devoirs du prolétariat, elle répondit par un ouvrage intitulé : Paupérisme et association. La situation financière ne s’améliorait toujours pas. Réduit à la dernière extrémité, elle dut se résoudre à faire appel à son entourage, comme par exemple le baron de Stassart (Cf. analyse). Elle ne dut son salut qu’à l’arrêté royal du 21 juin 1847 qui la nommait inspectrice générale des écoles gardiennes, des écoles primaires des filles et des établissements destinés à former les institutrices. En 1848, elle conçut son dernier ouvrage politique, L’organisation du travail par l’éducation nationale. Elle y proposait un modèle de vie communautaire (la propriété privée et la famille sont maintenus comme socles sociaux) avec obligation scolaire jusque quinze ans. Jusqu’à la fin de sa vie, elle ne renia pas ses idées fouriéristes mais observa une plus grande religiosité. Elle rendit son dernier soupir en 1854, dans un relatif anonymat. Elle eut trois filles dont Isabelle qui continua son œuvre et devint une figure cardinale du féminisme belge.

 

1 Pour cette notice, nous nous sommes principalement inspiré des articles de Valérie Piette (cf. bibliographie).

Support : une feuille de papier

 

Hauteur : 271 mm

Largeur : 423 mm

 

Cote : 19345/782