Lettre à Paul Henri Spaak, 9 juin 1967

Le Président                                                                                                                                     Bruxelles, le 9 juin 1967

de la Commission de la Communauté

Économique Européenne

 

 

Mon cher Président et ami,

 

            J'ai été profondément touché par votre amicale lettre du 9 mai. Elle a été pour moi un véritable réconfort. Je n'oublierai pas notre collaboration avant, pendant et après l'élaboration des Traités de Rome et c'est cette collaboration qui m'a rendu particulièrement sensible à la sympathie que vous m'avez personnellement exprimé. J'ai senti que pour vous et pour moi l’attachement à la cause européenne est toujours aussi réel et notre conviction est toujours la même.

 

            Voulez-vous recevoir, Mon cher Président et ami, l'expression de ma vive gratitude pour votre solidarité et voulez-vous croire à mes sentiments cordialement dévoués.

 

 

 

 

Monsieur Paul Henri Spaak

Ministre d'Etat

Ancien Premier Ministre de Belgique

347, avenue Louis

Bruxelles – 5

 

 

 

24, avenue de le Joyeuse Entrée, Bruxelles 4 – Tél. 35.00.40

Adresse télégraphique : Marcom Bruxelles – Télex : Marcom Bru. N° 27 83

Nous ne disposons pas de la minute de la lettre de Paul Henri Spaak à laquelle répondait Walter Hallstein. Ce dernier évoque leur collaboration autour des traités de Rome dans le document repris ci-dessus. En effet, on parle souvent du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne. Le 60e anniversaire de sa signature par les présidents et ministres chargés des Affaires étrangères des pays composant la CEE de l’époque (dont Hallstein et Spaak au nom de la République fédérale d’Allemagne et de la Belgique) fut d’ailleurs fêté l’année passée, très timidement il est vrai du fait d’une certaine défiance envers les institutions européennes… On parle moins par contre de l’autre traité de Rome (signé le même jour par les mêmes personnes) instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom).

Les deux hommes durent effectivement collaborer pour aboutir à la signature de ces deux traités et cela bien avant le 25 mars 1957. Après l’échec de l’instauration de la Communauté européenne de Défense (cf. notre analyse de la lettre de Guy Mollet du 11 janvier 1955), un processus de relance européenne fut instigué, notamment par Spaak et Monnet. Il s’agissait alors d’étendre les compétences de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), de l’instauration d’un marché commun et d’une nouvelle communauté atomique. Une conférence des ministres des Affaires étrangères des pays membres fut donc décidée : elle se déroula à Messine les 1e et 2 juin 1955. Hallstein y représentait le chancelier Adenhauer. Cette conférence, si elle ne solutionna pas tous les problèmes (notamment sur la définition du Marché commun, sur laquelle s’opposaient Allemands et Français) relança clairement le processus européen. La création d’un comité intergouvernemental fut décidée et Spaak en assura la présidence d’une main de fer. Un rapport fut rédigé et remis aux ministres des Affaires étrangères le 21 avril 1956 : il préconisait la création d’une communauté nucléaire et d’une union douanière avec tarif extérieur commun. Le chancelier Adenauer et Hallstein se montrèrent très enthousiastes. Le rapport fut approuvé par une conférence des ministres Affaires étrangères tenue à Venise le 29 mai : il devait servir de bases aux négociations futures qui s’ouvrirent un mois plus tard au château de Val Duchesse. Les pourparlers autour des deux traités furent l’objet de fortes tensions entre la France (très désireuse d’une communauté de l’atome) et l’Allemagne (partisane d’un marché commun du fait d’exportations plantureuses alors que la France le craignait du fait d’une économie moins performante). Des compromis furent toutefois trouvés de part et d’autre et les deux traités furent signés à Rome le 25 mars 1957. Outre la création des deux institutions mentionnées dans le premier paragraphe, un marché commun fut institué, de même qu’une Politique agricole commune.

ELVERT J., Walter Hallstein, biographie d'un Européen (1901-1982) : URL:

http://www.cvce.eu/obj/jurgen_elvert_walter_hallstein_biographie_d_un_europeen_

1901_1982-fr-a1adea08-b8ee-4e00-87c8-2fe9bc18c176.html (dernière consultation : le 7 février 2018).

 

FRAGNIÈRE G., Walter Hallstein, ou,... une pédagogie politique pour la fédération européenne, Bruxelles : Presses interuniversitaires européennes, 1995, 100 p. (Portraits d'Européens, 4).


 

GERBET P., « Hallstein Walter », in GERBET P. (dir.), BOSSUAT G., GROSBOIS T., Dictionnaire historique de l'Europe unie, Bruxelles : André Versaille, 2009, p. 553-555.


 

HALLSTEIN W., L'Europe inachevée, Paris, Robert Laffont, 1970, 343 p. (traduit de l'allemand par Pierre Degon).

 

LOTH W., WALLACE W., WESSELS W., Walter Hallstein : the forgotten European ?, Palgrave Macmillan UK, 1998, XVII-260 p.

 

Walter Hallstein

Né à Mayence le 17 novembre 1901, dédédé à Stuttgart le 29 mars 1982.

Il était le fils d’un inspecteur de l’urbanisme et grandit dans un milieu bourgeois et protestant. Il fréquenta le lycée de Mayence jusqu’en 1920. Il avait une prédilection pour l’histoire qu’il combinait avec l’étude des langues et des mathématiques. Il étudia ensuite le droit et les sciences politiques et passa son doctorat en 1925. Le sujet de sa thèse portait sur les aspects juridiques du Traité de Versailles. Il devint assistant à la Friedrich-Wilhelm-Universität de Berlin. Il avait pour maître Martin Wolff, spécialiste du droit privé de grande renommée. En 1929, il présenta une autre thèse de doctorat sur le droit en matière de sociétés anonymes. L’année suivante, il obtint la chaire de droit privé et de droit des sociétés à l’Université de Rostock et y resta jusqu’en 1941. Il devint une professeur d’université d’envergure internationale et se montrait très exigeant envers ses étudiants. Il fut vite hostile envers le national-socialisme et fréquenta même des adversaires du régime, sans aucun ennui à la clef. En 1941, il obtint même la chaire de droit commercial, de droit du travail et de droit économique de l’Université de Francfort-sur-le-Main.

Toutefois, la guerre le rattrapa : il fut appelé en tant qu'officier de réserve et envoyé dans le Nord de la France en 1942. Deux ans plus tard, il fut capturé par les Américains dans la forteresse de Cherbourg. Il fut transféré dans un camp de l'État du Mississippi. Il laissa cours à sa fibre éducative en dispensant des cours au sein de son lieu de détention. Libéré à la fin de 1945, il regagna sa chaire de l'Université de Francfort. Il en fut nommé Recteur l'année suivante. À peu près au même moment, il refusa une poste de Secrétaire d'État proposé par Ludwig Erhard, ministre de l'Économie de la Bavière. En 1948, il fut professeur invité de l'Université de Georgestown. Convaincu de la nécessité d'inclure la jeune République fédérale d'Allemagne au sein des institutions internationales, il participa à la constitution d'une commission allemande pour l'UNESCO et en devint président. Konrad Adenauer fit appel à lui pour diriger la délégation allemande pour l'élaboration du traité de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA). C'est dans ce cadre qu'il fit la connaissance de Jean Monnet : les deux hommes partageaient la même vision de l'avenir de l'Europe. En août 1950, Adenauer le nomma Secrétaire d’État à la Chancellerie fédérale. Un an plus tard, il devint Secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Il eut à s’occuper de dossiers délicats comme l’établissement de la CECA, l’échec de la Communauté européenne de Défense (CED), etc. Il établit ce que l’on a nommé la « doctrine Hallstein » qui consiste pour la République fédérale d’Allemagne à couper toutes relations diplomatiques avec tout État reconnaissant la République démocratique allemande. L’échec de la CED le toucha beaucoup. Il y vit une victoire du bloc soviétique qui avait une Europe affaiblie face à lui. Il se dévoua corps et âme à la relance européenne et fut d’ailleurs l’un des signataires des Traités de Paris (cf. analyse). Une fois ceux-ci ratifiés par les différents états composant la nouvelle Communauté économique européenne (CEE). Il se vit attribuer la présidence de la première Commission de la CEE : il se voyait ainsi récompensé de son engagement européen sans faille, de son habile diplomatie et de sa personnalité avenante. À la tête de cette nouvelle institution, il entendait donner le plus de pouvoir possible à cette dernière. Il avait pour projet l’instauration de structures fédérales pour l’espace communautaire européen. C’était sans compter sur le général de Gaulle, partisan d’un certain confédéralisme. Les deux hommes ne pouvaient que s’opposer et la mésentente culmina en 1965 lors de la « crise de la chaise vide ». En effet, le gouvernement français rappela ses représentants présents au sein des institutions européennes, rendant ainsi la CEE inopérante. Il avait sans aucun doute sous-estimé la détermination française et surestimé l’appui des autres pays… Le Général de Gaulle ne reconnaissait pas la souveraineté de la commission et alla même plus loin en réclamant la dissolution de la première commission. Hallstein dut donc se résoudre à présenter sa démission en 1967. Toutefois, il continua son combat européen et prit d’ailleurs la présidence du Mouvement européen en 1968, poste qu’il occupa jusqu’en 1974. Il gouta à nouveau à la politique allemande en siégeant comme député au Bundestag allemand (sous étiquette de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, CDU) de 1969 à 1972. Il renonça à la politique en 1974 pour se consacrer à son œuvre d’essayiste. Il tomba malade en 1980 et rendit le dernier soupir en mars 1982.

Support : une feuille de papier

 

Hauteur : 297 mm

Largeur : 210 mm

 

Cote : ARB Archives Spaak - caisse 41 - farde 450