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Lettre à Paul Henri Spaak, circa février 1956

Prime Minister                                                                                                                                                                        10, Downing street,

Honi soit qui mal y pense                                                                                                                                                        Whitehall,

Dieu et mon droit                                                                                                                                        

 

                My dear friend,

                In my letter of February 13, I promised to send you a further reply to your letter of February 7 in wich you explained your anxieties about the future of the European Unity Movement.

                My colleagues and i have since had an opportunity of discussing these problems together and we have all given much thought to your words. Harold Macmillan is looking forward to meeting you you in Paris and telling you of the results of our deliberations. I think that you find this a more satisfactory way of exchanging views than by my writing myself at lenght. Even if we cannot agree with all you say, you may be sure that we are no less determined to continue the search to promote by all possible means what we conceive to be the true intrests of Europe.

 

Your very sincerely

 

Anthony Eden

 

Monsieur Spaak

 

Prime Minister                                                                                                                                                    10, Downing street,

Honi soit qui mal y pense                                                                                                                                     Whitehall,

Dieu et mon droit                                                                                                                                        

 

                Cher ami,

 

Dans ma lettre du 13 février, je vous promettais de répondre de façon plus détaillée à votre missive du 7 février où vous expliquiez votre anxiété concernant le futur du Mouvement pour l’unité européenne.

                Depuis lors, mes collègues et moi avons eu l’opportunité de discuter ensemble de ces problèmes et de réfléchir à votre lettre. Harold Macmillan a hâte de vous rencontrer à Paris et de vous faire part de nos délibérations. Je pense que vous trouverez cette façon d’échanger plus satisfaisante que de m’écrire longuement. Même si nous ne pouvons être d’accord avec tout ce que vous déclarez, vous pouvez néanmoins être certain que nous n’en sommes pas moins déterminés à continuer à chercher comment promouvoir par tous les moyens possibles ce que nous concevons comme étant les vrais intérêts de l’Europe.

Très sincèrement

Anthony Eden

Monsieur Spaak

Comme mentionné ci-dessous, Anthony Eden répond pour la deuxième fois à un courrier envoyé par  Spaak conçu au début du mois de février, de façon évasive faut-il le préciser et avec une invitation subtile (pour ne pas dire désobligeante…) à ne plus écrire de longues missives et d’en discuter prochainement avec Harold Macmillan (Chancelier de l’Echiquier à l’époque) à Paris.

Nous possédons le brouillon de la Lettre de Spaak du 7 février[1], plaidoyer vibrant pour le marché commun et la relance (déjà…) de l’intégration européenne. Le ministre belge des Affaires étrangères déclare qu’il a toujours espéré que ladite intégration se ferait sous l’impulsion de la Grande-Bretagne. Il loue d’ailleurs le rôle de celle-ci lors de la conclusion d’un accord d’association avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.) ou encore lors des discussions relatives au traité (avorté) de la Communauté européenne de la défense (C.E.D.). Il rappelle ensuite la conférence de Messine où les 6 états membres de la C.E.C.A. s’étaient mis d’accord sur l’idée de la création d’un marché commun et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Spaak se dit ensuite stupéfait de ce qu’il apprit ensuite : non seulement le Royaume Uni ne s’associera pas à ces projets mais en deviendra adversaire. Spaak avait sans doute entendu parler de l’hostilité des élites britanniques au projet de marché commun. Fin février, Harold Macmillan déclarera d’ailleurs à Snoy, secrétaire général du ministère belge de l’Économie, que si la coopération dans le secteur atomique était une très bonne chose et sera soutenue par le Royaume-Uni, il n’en allait pas de même pour le marché commun qui : « tuera notre commerce et nous le combattrons[2] ». Spaak revient ensuite aux raisons le poussant à rechercher l’intégration européenne à tout prix. Celle-ci permettrait à l’Allemagne de se défendre contre ses démons et d’être intégrée dans un réseau d’intérêt : le dernier conflit est toujours dans les esprits… Il se dit ensuite persuadé (à deux reprises) que l’avenir appartient aux grandes communautés humaines : les progrès technologiques, l’augmentation de la productivité et l’automatisation ne seront optimaux que dans un vaste marché. Il ajoute d’ailleurs l’Union Européenne n’est pas exclusive mais  ouverte à ceux qui voudraient la rejoindre et notamment la Grande-Bretagne, même s’il sait que ce n’est pas dans les intentions de celle-ci. Il en appelle alors à une entente entre les six pays membres de la C.E.C.A et le Royaume-Uni et déclare qu’il n’est pas disposé à mener l’intégration européenne contre la volonté de la Grande-Bretagne. Il fait le vœu d’une franche discussion autour de tous ces problèmes.

Jusqu’à la signature des Traités de Rome le 25 mars 1957, les discussions et négociations se succédèrent en effet, notamment le 28 février 1956 quand, comme convenu dans la missive ci-dessus, Macmillan et Spaak se rencontrèrent à Paris[3]. Mais les Traités de Rome ne concernaient pas le Royaume-Uni qui n’entama son processus d’adhésion à l’Union européenne que cinq ans plus tard. Il fallut attendre encore le 1er janvier 1973 pour que nos voisins britanniques rejoignent la C.E.E. Cette union fut souvent mouvementée : comportement intransigeant de Margaret Tatcher (« I want my money back »), rejet de l’Euro, de l’espace Schengen, etc. Le vote du Brexit par référendum en 2016 mit fin à l’union entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne et devint effectif le 31 janvier 2020.

 

[1] Fonds Paul Henri Spaak, 279-5215

[2] DUMOULIN M., Spaak, Bruxelles, Éditions Racine, 1999, p. 511

[3] Ibid., p. 512

CAMPBELL-JOHNSON A., Sir Anthony Eden, London R. Hale, 1955, 272 p.

 

DUTTON D., Anthony Eden : a life and reputation, Abingdon Arnold, 1996

 

EDEN A., Memoirs, London, Cassel, 1960

 

ROTHWELL V., Anthony Eden, a political biography, Manchester New York Manchester University Press, 1992

 

SHAW T., Eden, Suez and the mass media : propaganda and persuasion during the Suez crisis, London, I.B. Tauris , 1996

 

WARTRY D.M., Diplomacy at the brink : Eisenhower, Churchill, and Eden in the Cold War, Baton Rouge Louisiana State University Press, 2014

 

 

Anthony Eden

Robert Anthony Eden naquit dans un milieu privilégié, de tendance conservatrice. Il était le plus jeune des fils de Sir Williams Eden, ancien colonel et magistrat. Sa mère, Sybil Frances Grey, était quant à elle issue d’une famille prestigieuse du Nothumberland. Lors de ses études, il montra d’heureuses aptitudes dans l’apprentissage des langues. En plus d’avoir appris le français et l’allemand durant son enfance, il se lança dans l’étude des langues orientales (persan et arabe). Du fait d’une mauvaise vue, il ne put prétendre à une carrière militaire mais réussit à s’engager en 1917 et se distingue lors de la bataille de la Somme. Après la Première guerre mondiale, il se lança dans la politique. Il devint député conservateur en 1923. Il fut nommé sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1931. Trois ans plus tard, il représenta son pays auprès de la Sociétés des Nations. En 1935, il hérita du portefeuille des Affaires étrangères. À la tête de son ministère, il se montra partisan d’une politique de fermeté envers les dictatures. L’attitude conciliante de Chamberlain envers ces dernières en 1938 le poussa à présenter sa démission en février de la même année. Il rejoignit alors le camp des « durs » du parti conservateur où l’on trouvait un certain Winston Churchill. Sa position intransigeante l’amena à une vive critique des accords de Munich. Sitôt la guerre déclarée, il rejoignit le cabinet Chamberlain en tant que secrétaire d’État aux Dominions. En décembre 1940, Churchill lui rendit les Affaires étrangères et l’enjoignit de rejoindre l’étroit cabinet de guerre. Il participa à toutes les grandes décisions des Alliés et s’avéra un collaborateur zélé de Churchill. Sa vision des relations internationales du Royaume-Uni s’appuyait sur une coordination avec le Commonwealth et des liens privilégiés avec les États-Unis. Après la guerre, il récupéra son poste des Affaires étrangères en 1951, après un passage des Travaillistes au pouvoir. Il y défendit la vision d’un rôle spécifique du Royaume-Uni, à cheval entre les cercles atlantique, européen et du Commonwealth. Il rencontra bien des succès, comme par exemple d’avoir contribué à la fin de la guerre d’Indochine. Suite à l’échec de la C.E.D (Communauté européenne de la défense), il parvint à persuader Churchill de déployer des troupes en Allemagne ou encore de faire participer le Royaume-Uni à l’Union de l’Europe occidentale. La gestion heureuse de son ministère augmenta sa popularité, notamment au sein de son parti. Quand Churchill prit sa retraite en 1955, il se vit fort logiquement désigné Premier ministre. Ces quelques années passées à la tête du pays se terminèrent de façon piteuse. Il engagea en effet son pays dans l’expédition de Suez, aux côtés de la France. Bien que victorieuses militairement, les troupes britanniques durent battre en retraite sous la pression de l’U.R.S.S. et des États-Unis. C’est un échec retentissant et l’opposition travailliste profita de celui-ci. Eden rendit sa démission en janvier 1957, officiellement pour des raisons de santé mais surtout parce qu’il était bien conscient que les Britanniques ne pourraient jamais lui pardonner l’affaire de Suez. Il survécut 20 ans mais n’eut plus d’influence politique significative.

Hauteur : 242 mm
Largeur : 192 mm

Cote : Fonds Paul Henri Spaak, 279-5222