Lettre à Paul Pelseneer, 4 décembre 1919

Paris, 31 rue d'Erlanger

4 décembre 1919

 

 

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

 

            Je viens d'apprendre que la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l'Académie royale de Belgique a bien voulu, dans sa séance du 1er décembre, me conférer le titre d'associé. Je vous prie de lui transmettre mes sincères remerciements, et de lui dire combien je suis touché de l'honneur qu'elle me fait. Je n'éprouve pas seulement une satisfaction très vive à devenir le confrère de savants éminents : c'est avec une véritable émotion que je me sens uni par ces liens intellectuels au peuple qui a donné un si grand exemple au monde.

            Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire perpétuel, l’expression de mes sentiments distingués.

 

Henri Bergson

Tant dans les publications que dans les archives de l’Académie, nos recherches au sujet d’Henri Bergson furent pour le moins frustrantes. À part la mention de son élection en séance de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques du 13 décembre 1919, aucun indice au sujet des circonstances entourant celle-ci ne fut trouvé. Bien entendu, le vote est secret au sein de notre compagnie mais nous savons d’expérience qu’il y a souvent  moyen de trouver quels étaient les personnes en compétition pour un poste de membre ou d’associé ou encore les résultats des votes pour le récipiendaire. Rien de tout cela ici. Même la lettre ci-dessus (la seule signée par Bergson en notre possession) ne fut évoquée dans la séance de la Classe suivante, pas plus que la mort d’Henri Bergson quelques 21 ans et quelques jours plus tard.

Quant à l’exemple donné par le peuple belge évoqué par Bergson, il évoque sans doute le martyre subit par notre pays lors de la Première Guerre mondiale, encore présent dans tous les esprits en cette fin d’année 1919. Les combats avaient en effet détruit le sud de la Flandre occidentale ou encore des villes comme Dinant, Namur, Tongres, Aarschot, Louvain, Malines ou encore Charleroi. 40.000 soldats et 9.000 soldats succombèrent lors des affrontements. À cela il faut ajouter une diminution du nombre des naissances et une forte hausse de la mortalité due à la sous-alimentation et à la grippe espagnole à la fin du conflit. Au sortir de la guerre, le total des dégâts matériels correspond à une somme comprise entre 8 et 10 milliards de francs-or, ce qui représente 16 à 20 % de la richesse nationale en 1914[1]

     

 

[1] GERARD E., La démocratie rêvée, bridée et bafouée, Bruxelles, Le Cri édition (Nouvelle histoire de Belgique, 5), 2010, p. 9 – 11.

Annales bergsoniennes, Paris, Presses Universitaires de France, coll. "Épiméthée", 2002-2020 (en 9 volumes).

AZOUVI F., La Gloire de Bergson. Essai sur le magistère philosophique, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2007.

BARTHÉLÉMY-MADAULE M., Bergson, Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1967.

BIANCO G., Après Bergson. Portrait de groupe avec philosophe, Paris, PUF, coll. « Philosophie Française contemporaine », 2015.

CHEVALIER J., Bergson, Paris, Plon, coll. « Les Maîtres de la pensée française », 1926 (réimpr. 1947).

DELEUZE G., Le Bergsonisme, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Quadrige », 1963.

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PÉGUY C., « Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne », dans Cahiers de la quinzaine, 15e série, cahier 8, 1915 (repris dans Œuvres en prose complètes, t. III, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992).

PANERO A., MATTON S., DELBRACCIO M. (éds), Bergson professeur, Louvain, Peeters, 2015.

SOULEZ P. et WORMS F., Bergson : biographie, Paris, Flammarion, coll. "Grandes biographies", 1997.

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Henri Bergson

Henri Bergson naquit à Paris le 18 octobre 1859. Son père était un musicien d’origine polonaise tandis que sa mère était anglaise. Il fut élève du lycée Condorcet de 1868 à 1878. Il se distingua par son intelligence au-dessus de la moyenne : il emporta quantité de prix, tant dans les disciplines littéraires que scientifiques. Il entra ensuite à l’École normale supérieure où il fut reçu second. Il obtint le même classement pour l’agrégation avant de rejoindre son premier poste de professeur de philosophie au lycée d’Angers de 1881 à 1883. Il ne s’y plaisait guère et obtint son transfert à Clermont-Ferrand. Non seulement il enseignait au lycée Blaise-Pascal mais également à la Faculté des Lettres. Durant ces années clermontoises assez heureuses (il y avait une riche vie mondaine et sportive), il élabora également sa thèse sur les données immédiates de la conscience et la défendit à la fin de 1889. Le Jury lui avait accordé une mention Très Honorable et la critique reconnut un effort philosophique neuf. Il revint à Paris pour l’année scolaire 1888-1889 et enseigna dans le prestigieux lycée Louis-le-Grand. Il fit de même au Collège Rollin et au lycée Henri IV durant les années suivantes. Sa réputation commença à dépasser les murs de ses écoles, du fait notamment de la parution de Matière et mémoire en 1896. Il est donc peu étonnant de le retrouver ensuite comme maître de conférences à l’École normale supérieure de 1898 à novembre 1900 et comme suppléant de Charles Lévêque à la chaire de d’histoire de la philosophie ancienne au Collège de France de décembre 1897 à avril 1898.

Il serait hasardeux toutefois d’imaginer qu’il volait de succès en succès. Il fut éconduit par la Sorbonne et sa première candidature à la chaire de philosophie moderne du Collège de France échoua : elle revint à Gabriel Tarde. Il proposa à nouveau ses services pour la chaire de philosophie grecque et latine, cette fois-ci avec succès. Quand la mort de M. Tarde survint en 1904, il postula à nouveau pour la première chaire et l’emporta. Son élection à l’Académie des sciences morales et politiques fut plus simple puisque les académiciens le choisirent dès le premier tour. Avant la guerre, sa réputation commença à dépasser les cénacles philosophiques français et devint internationale avec la parution de son ouvrage : L’évolution créatrice (1907). Celui-ci connut plusieurs traductions. La Première guerre mondiale tempéra la créativité de Bergson. Il prit parti pour la France qu’il considérait comme la patrie de la Liberté, à l’inverse de l’Allemagne militaire. Il mena deux missions diplomatiques auprès du président Wilson : certains considèrent que l’action de Bergson fut pour beaucoup dans l’entrée des États-Unis dans la guerre. Celle-ci ne pouvait qu’influencer le philosophe et il mit fort longtemps à élaborer sa philosophie morale qui ne parut qu’en 1932 avec Les deux sources de la morale et de la religion. Cet ouvrage important cachait cependant mal l’affaiblissement de sa veine créatrice : sa santé déclinante dès les années 20 y était sans doute pour quelque chose, à ce point qu’il demanda une retraite anticipée au Collège de France. Il conçut malgré tout Durée et simultanéité, fruit de sa rencontre avec Einstein au sein de la même institution. Le Bergson philosophe passa le témoin au Bergson officiel. Déjà élu à l’Académie française en 1914, il y fut reçu en 1918. À partir  de 1922, il participa à la Commission internationale de Coopération intellectuelle, dans le cadre de la Société des Nations. En 1928, il remporta le prix Nobel de littérature.

La montée du national-socialisme provoqua bien entendu son inquiétude mais son physique déclinant l’empêcha de mener à nouveau le rôle qu’il avait mené lors du premier conflit mondial. Il rendit l’âme le 4 janvier 1941 dans son domicile parisien où il avait pu revenir grâce à l’aide de Sacha Guitry.

 

 

Hauteur : 205 mm
Largeur : 263 mm

Cote : 11707