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Lettre à Victor Hennequin, 29 mars 1845

Monsieur,


Vous avez eu l’obligeance de rendre compte dans la démocratie pacifique des premiers volumes de l’histoire de dix ans. Je vous adresse le 5e et dernier volume. S’il vous paraissait mériter un compte rendu, je serais heureux que vous voulussiez bien vous en charger.

 

Votre dévoué confrère

Louis Blanc



Paris le 29 mars 1845.

2 rue Taitbout


[Apostille en haut à gauche, de la main de Goswin de Stassart : « à M. Victor Hennequin »]

Ce serait prendre peu de risques que de supposer que les comptes rendus de Victor Hennequin évoqués par Louis Blanc étaient en grande partie positifs. Ce dernier - et on peut le comprendre - avait sans doute à cœur d’assurer une bonne promotion du dernier volume de son Histoire de dix ans, ouvrage historique (non sans portée polémique1) portant sur la période 1830-18402. Malheureusement, vu les carences des collections de la Démocratie pacifique à notre disposition3, nous n’avons pu trouver les articles de Victor Hennequin mentionnés dans la missive nous intéressant ici. Nous avons par contre recensé quelques-uns traitant des premier et deuxième tomes de l’Histoire de la Révolution française de Louis Blanc, tous signés par Victor Hennequin. Dans l’un de ceux-ci, l’Histoire de dix ans est - comme l’on pouvait s’y attendre - mentionnée en termes très positifs : «  à peine eut-il imprimé le premier volume de l’Histoire de dix ans, qu’il se plaça parmi ces écrivains privilégiés dont les publications remuent la foule et comptent presque parmi les évènements »4. Plus généralement, « M. Louis Blanc possède un style clair limpide merveilleusement souple et propre à élucider tous les sujets »5. Il ne faut toutefois pas songer que les textes de Victor Hennequin sont d’ennuyeux dithyrambes : en bon critique, il relève ce qu’il estime discutable comme par exemple une « rigueur exagérée » de Louis Blanc envers la cour du roi Louis XVI (surtout Marie-Antoinette) ou encore un portrait trop complaisant de Robespierre6. Mais le plus dommageable sans doute pour ce rédacteur du journal des disciples de Charles Fourier7 est que Louis Blanc n’est pas phalanstérien : « Si la fraternité étendu au genre humain tout entier est une des nobles aspirations de notre cœur, si elle veut impérieusement que tout homme soit élevé par la société , qu’on travaille à développer ses vocations, à lui assurer un essor proportionnel à sa nature, que même après la période de l’enfance, il soit mis constamment à l’abri du besoin par la prévoyance sociale ; au-delà de cette limite, la hiérarchie, la classification doivent exercer leur empire »8. Il faut se garder de réduire les riches à la portion congrue : « ne nous présentez pas comme idéal une communauté qui ne tiendrait nul compte de la différence des services ; votre idéal répugne, il effraie, il décourage les ambitions les plus légitimes, il mutile si brutalement la nature humaine que vous ne l’établiriez pas sans une guerre sociale, ne la maintiendriez quelques temps que par la plus dure des tyrannies »9. Notons toutefois que si Louis Blanc ne fut effectivement pas un phalanstérien au sens strict du terme, son œuvre a mis à contribution les théories de Charles Fourier10 et ce dernier comme Louis Blanc reconnaissaient le principe de l’inégalité des conditions11. Il est probable que l’enthousiasme de Louis Blanc envers la Révolution française (d’essence profondément socialiste selon lui) a entrainé la réserve de Victor Hennequin, ce disciple de Charles Fourier pour qui la Révolution de 1789 fut fondamentalement négative12.




1 PREVOST M., « Blanc (Jean-Joseph-Louis) », in PREVOST M., ROMAN D’AMAT R.(dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, Librairie Letouzey et Ané, t. VI, 1954, col. 586.

2 CHARRUAUD B., Louis Blanc, La République au service du socialisme - Droit au travail et perception démocratique de l'État, Strasbourg, Université Strasbourg - Robert Schuman - Faculté de Droit, thèse pour le doctorat en droit, 2008, p. 342.

3 Nous avons consulté la collection conservée par la Bibliothèque royale de Belgique (cote : J.E. 40) ainsi que celle disponible en ligne sur le site archive.org (http://archive.org/details/3461793_1 et http://archive.org/details/3461793_12 ; consultation le 1e octobre 2013).

4 Démocratie pacifique, dimanche 14 février 1847. Ce journal ne comprend pas de pagination.

5 Idem.

6 Démocratie pacifique, dimanche 7 novembre 1847.

7 HATIN E., Bibliographie historique et critique de la presse périodique française ou Catalogue systématique et raisonné de tous les écrits périodiques de quelque valeur publiés ou ayant circulé en France depuis l'origine du journal jusqu'à nos jours ; précédé d'un Essai historique et statistique sur la naissance et les progrès de la presse périodique dans les deux mondes, Paris, Firmin-Didot frères, fils, 1866, p. 385.

8 Démocratie pacifique, dimanche 14 février 1847.

9 dem.

10 TCHERNOFF I., Louis Blanc, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1903, p. 11. VIDALENC J., Louis Blanc (1811-1882), Paris, Presses universitaires de France, 1948, p. 28.

11 CHARRUAUD B., Louis Blanc, La République au service du socialisme (…), op. cit., p. 126.

12 CHARRUAUD B., Louis Blanc, La République au service du socialisme (…), op. cit., p. 15, 16.

« Blanc Louis (1811-1882), in Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1996, thesaurus A-C, p. 425.

CHARRUAUD B., Louis Blanc, La République au service du socialisme - Droit au travail et perception démocratique de l'État, Strasbourg, Université Strasbourg - Robert Schuman - Faculté de Droit, thèse pour le doctorat en droit, 2008, 735 p.

CHARRUAUD B., Louis Blanc m’a dit…, Lyon, Éditions Baudelaire, 2009, 219 p.

DEMIER F. (dir.), Louis Blanc. Un socialiste en république, Paris, Créaphis, 2006, 324 p.

LOUBERE L.A., Louis Blanc. His life and his contribution to the rise of french jacobin-socialism, [Evanston], Northwestern U.P., 1961, XII-256 p. (coll. Studies in history, 1)

PREVOST M., « Blanc (Jean-Joseph-Louis) », in PREVOST M., ROMAN D’AMAT R.(dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, Librairie Letouzey et Ané, t. VI, 1954, col. 585-587.

RENARD É., Louis Blanc: sa vie, son œuvre, Paris, Hachette, 1928, 188 p.

TCHERNOFF I., Louis Blanc, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1903, 109 p. (Bibliothèque socialiste, n° 26).

VERLINDE P., L’œuvre économique de Louis Blanc, Bourbourg, Outteryck-Menne, 1940, 206 p.

VIDALENC J., Louis Blanc (1811-1882), Paris, Presses universitaires de France, 1948, 72 p.

 

Louis Blanc

Né à Madrid le 29 octobre 1811 ; décédé à Cannes le 6 décembre 1882. Louis Blanc naquit à Madrid en octobre 18111. Son père (Jean-Charles) était alors chef de division au ministère des Finances du roi Joseph Bonaparte, sa mère (Estelle) était issue de la famille noblede Pozzo di Borgo. Après la débâcle de l’empire, la famille Blanc fut contrainte de revenir en France, à Castres pour être plus précis. Louis bénéficia d’une bourse royale pour rejoindre les rangs du collège de Rodez. Le jeune Louis s’y avéra un élève brillant, remportant de nombreux prix en rhétorique ou en philosophie mais se distinguait aussi en mathématique comme en latin. En juillet 1830, il rejoignit Paris juste avant la révolution (dont il fut témoin) en compagnie de son jeune frère Charles. Les Trois Glorieuses furent funestes pour la famille Blanc puisque le père perdit sa maigre pension : voici Louis chef de famille, occupant une mansarde avec son frère. Pour assurer leur subsistance, Louis donna des leçons, fit des travaux de copies, devint avoué à la cour royale, etc. Il fut aussi précepteur d’un industriel d’Arras. Ce poste lui permit de visiter les ateliers, de côtoyer les ouvriers tout en étudiant les philosophes du XVIIIe siècle. La révolution de 1789 faisait également l’objet de ses études : les sentiments légitimistes de sa jeunesse s’estompèrent bien vite. Il écrivit ses premiers articles pour le Propagateur du Pas-de-Calais puis regagna Paris où il désirait faire carrière de journaliste. Il fut éconduit par le National mais accueilli par Le bon sens. Sa situation matérielle s’améliorait et il s’avéra un rédacteur prolifique, s’efforçant de gagner la bourgeoisie à l’idée d’une extension du droit de suffrage et d’éveiller dans le peuple les idées démocratiques. En 1837, il tenta la formation d’un comité électoral rassemblant les républicains et la gauche dynastique : son succès fut mitigé. Il combattit la privatisation des voies de chemin de fer et dut de ce fait quitter Le bon sens qui tentait de lui faire renoncer à ses opinions. Dès lors, il fonda en 1839 la Revue du progrès dont le but était de donner une tribune aux différentes tendances républicaines. Parallèlement, il publia la même année son Organisation du travail où il exposait ses idées socialistes. Deux ans plus tard, le premier volume de son Histoire de dix ans parut et le rendit populaire. Il dirigea un temps le Journal du peuple puis rentra en 1843 à La Réforme, journal qui défendait les positions de la fraction extrême du parti républicain.

La révolution de 1848 le fit membre du gouvernement provisoire où il représentait l’aile gauche. Il demanda vainement la création d’un ministère du travail mais se vit toutefois nommé à la tête de la commission du gouvernement pour les travailleurs, dite commission du Luxembourg. Il contribua à la création des ateliers nationaux, censés donner du travail aux chômeurs. Ses ateliers nationaux étaient toutefois éloignés des ateliers sociaux décrits dans l’Organisation du travail, à un point tel qu’il se défendit plus tard d’avoir été l’instigateur des premiers. Il eut toutefois quelques succès à son actif, comme par exemple la réduction des heures du travail qui augmenta sa popularité. Les élections d’avril 1848 seront pourtant un échec relatif, même s’il fut élu avec 120.000 voix. L’émeute du 15 mai lui fut funeste : même s'il n’en fut pas l’instigateur et s’il ne réclama pas la dissolution de l’Assemblée nationale, ses ennemis profitèrent de cet épisode pour obtenir la levée de son immunité. Acculé, il dut prendre le chemin de l’exil. Il rejoignit la Belgique où il fut arrêté puis relâché en septembre. Il rejoignit alors l’Angleterre et y resta jusqu’à la chute du Second empire. Le 7 mars 1849, il fut condamné par contumace à la déportation par la Haute cour de Bourges. À Londres, il se montra fort actif : il donnait des cours et des conférences, écrivait des articles pour divers périodiques du continent et termina son Histoire de la révolution de 1848. Il rentra en France après le 4 septembre 1870, se prononça pour la défense de Paris et y resta pendant son siège. Aux élections de février 1871, il fut élu premier de la liste parisienne. Il tenta la voie de l’apaisement entre le gouvernement de Versailles et les communards et s’attira ainsi la haine des deux camps, les seconds lui reprochant d’être un traître. À l’assemblée, il fut toutefois élu à l’unanimité président de l’Union républicaine et s’y distingua par son éloquence. Ses adversaires se comptaient tant dans les rangs conservateurs que dans ceux des républicains modérés. Il protesta contre toutes les mesures pouvant compromettre l’exercice du suffrage universel. Il échoua aux élections sénatoriales en janvier 1876 mais parvint en février à se faire élire député pour Saint-Denis et les Ve et XIIIe arrondissements parisiens. Il demanda la séparation de l’Église et de l’État, se prononça pour la laïcité de l’enseignement ou encore l’impôt sur le revenu. Il s’adonna encore au journalisme en dirigeant L’homme libre qui ne parut toutefois que de novembre 1876 à mai 1877. Il fonda également un comité d’aide aux amnistiés de la Commune et critiqua les projets d’enseignement de Jules Ferry, trop timides selon lui. Il s’éteignit à Cannes le 6 décembre 1882.


1 Pour cette notice nous nous sommes inspiré principalement des livres de I. Tchernoff et de Jean Vidalenc ainsi que des notices de l’encyclopédie Universalis et de M. Prevost (cf. orientation bibliographique).

Lettre

Support : une feuille de papier, un pli

Hauteur : 204 mm
Largeur : 267,5 mm

Cote  : 19346/476

Portrait

Louis Blanc
Paris, Rosselin, édit. Quai Voltaire, 21. Ltith. Auguste Bry, 134, rue du Bac (avec une signature de Louis Blanc en fac-similé).

Hauteur : 273 mm
Largeur : 178 mm

Cote  : 19346/476