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Lettre au baron de Breteuil, 8 octobre 1784

Département de Paris                                                                                                                                                                                                                                                                     Paris, le 8 octobre 1784


                                                                                                                                                                             Monsieur,

J’ai fait venir l’un des éditeurs du Journal de Paris, et je lui ai fait une réprimande sur l’annonce insérée dans la feuille du 29 septembre dernier de la brochure intitulée : Découverte des principes de l’astronomie par le sieur Trottier, ouvrage dont il suffisait de lire une page pour voir que ce ne pouvait être que la production d’un cerveau dérangé, et que par conséquent il ne pouvait avoir été ni présenté au Roi, ni considéré comme destiné à l’éducation de Monseigneur le Dauphin. Il a déclaré que cette annonce avait été faite seulement sur le vu de l’approbation du censeur, et sans avoir lu l’ouvrage, et a promis qu’à l’avenir il serait donné plus d’attention à ces annonces ; il a rejeté, avec quelque raison, la faute sur le censeur, qui, en supposant même que l’ouvrage lui ait paru ne rien contenir qui dût en empêcher l’impression, aurait dû faire à Monsieur le Garde des Sceaux une observation sur le titre, l’avertissement et la requête ridicule que l’auteur avait mis à la tête de sa prétendue découverte. J’ai au surplus, eu l’honneur d’écrire à Monsieur le Garde des Sceaux au sujet des annonces de livres faites dans les journaux, et je lui ai notamment fait part de votre étonnement, Monsieur, sur celle concernant l’ouvrage du Sieur Trottier. Je suis bien persuadé que ce ministre en témoignera son mécontentement au censeur.
La lettre de Monsieur De Fouchy a paru hier dans le journal de Paris. Les éditeurs ne connaissant pas encore vos intentions, lorsqu’elle a été imprimée, n’y ont ajouté aucune note ; mais les autres papiers publics ne parleront surement de cette pitoyable brochure, qu’en faisant connaitre qu’elle n’a été ni imprimée par ordre du gouvernement, ni présenté au Roi et destiné à l’éducation de Monseigneur le Dauphin.
Je suis avec respect

Monsieur


Votre très humble et très obéissant seviteur
Lenoir

[apostille en haut à gauche de la première page]
??? Montesquiou ???

[apostille en dessous de la date]
Monsieur Le Noir
Le Sieur Trottier
?

L’honnêteté nous oblige à reconnaître nos lacunes en astronomie. Le jugement sévère de Lenoir est-il pour autant pertinent ? Empreint d’une prétention certaine, le titre de l’ouvrage mentionné ci-dessus1 laisse déjà perplexe. Surtout, le fait de ne pas trouver une seule biographie de René Trottier donne un indice probant sur la pertinence de cet ouvrage. Malgré tout, celui-ci a été commenté par la suite, toujours négativement. Le premier à avertir le public de le médiocrité de l’ouvrage ne fut rien moins que Jean-Paul Grandjean de Fouchy, Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des Sciences de Paris, comme mentionné par Lenoir dans la missive ci-dessus. Dans la livraisons du Journal de Paris datée du 7 octobre 1784, De Fouchy y désavouait les assertions de l’auteur au sujet de l’Académie contenues dans le titre. En outre, il raconta qu’une des parties de l’ouvrage avait été effectivement présentée à l’Académie en novembre 1780 et qu’il avait été désigné comme l’un des examinateurs du mémoire de René Trottier. Or, le mémoire était si mauvais que : « par égard même pour l’auteur, nous n’en fîmes pas de rapports, et il est d’autant plus faux que sur notre rapport l’Académie l’ait honoré de son suffrage ». On trouve dans une publication de l’Académie des Sciences russe un compte rendu de l’ouvrage, plus court mais tout aussi sévère : « cette découverte prétendue est au-dessous de toute critique »2. Avant d’être livré à la critique rongeuse des souris, l’ouvrage fut l’objet d’une dernière analyse par Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande, un des membres de l’académie thérésienne. Dans sa Bibliographie astronomique, Lalande, après avoir souligné le mensonge de Trottier quant au prétendu jugement de l’Académie des Sciences de Paris, souligna que « l’auteur (…), au lieu du mouvement annuel de la terre, imagine un mouvement d’ascendance perpendiculaire, aussi bête que son mensonge est impudent. »3.

Au-delà de la mythomanie et de l’incompétence de René Trottier, ce document souligne cruellement les lacunes de la censure française sous l’Ancien Régime : il n’était visiblement pas difficile de se réclamer frauduleusement de l’Académie des Sciences et de la Maison royale en évitant les ciseaux d’Anastasie. Lenoir ne se fait d’ailleurs aucune illusion sur la négligence du censeur4.

1 Découverte des principes de l'astronomie (…) qui ont obtenu la pluralité des voix ou suffrages de l’Académie, et dont l’impression vient d’être ordonnée par le gouvernement, avec démonstration de l'absurdité de tous les systèmes astronomiques publiés et enseignés jusqu'à présent. Ouvrage présenté au Roi, destiné à l’éducation de Monseigneur le Dauphin, et mis à la portée de tout le monde par René Trottier, Paris, chez l’Auteur (…) Nyon le jeune, 1784, 51 p.
2 Nova acta Academiae Scientiarum Imperialis Petropolitanae Tomus II, Praecedit historia ejusdem Academia ad annum MDCCLXXXIV, Petropoli Typis Academiae Scientiarum MDCCLXXXXVIII, p. 24.
3 Bibliographie astronomique ; avec l’histoire de l’astronomie depuis 1781 jusqu’à 1802 (…), A Paris, De l’imprimerie de la République, An XI - 1803, p. 593.
4 « Il a rejeté avec quelque raison la faute sur le censeur. Pour la question de la censure à Paris avant la Révolution française ; on consultera avec intérêt l’ouvrage de N. Herman-Mascard, La censure des livres à Paris à la fin de l’Ancien Régime (1750-1789), Paris, Presses Universitaires de France, 1968, 147 p., préface de Jean Imbert (Travaux et recherches de la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris, série « sciences historiques » - n° 13)

 

BLÉCHET F., « La bibliothèque royale à la vieille de la Révolution : l’administration de Le Noir, 1784-1789 », in Annales historiques de la Révolution française, n° 264, 1986, p. 203-216.

CHEVALIER P., “Les philosophes et le lieutenant de police J.-Ch.-P. La Noir (1775-1785), in Mémoires de la Société académique de l’Aube, CIV, 1964-1966, p. 225-247.

CHIRON Y., « Lenoir ou Le Noir (Jean-Charles-Pierre) », in BALTEAU J., PREVOST M., CHIRON Y. (dir.), Dictionnaire de biographie française, fasc. CXXII, 2012, col. 337-339.

DARNTON R. « Le lieutenant de police J.C.P. Lenoir, la Guerre des Farines, et l'approvisionnement de Paris à la veille de la Révolution », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 16, 1969 ; p. 611-624.

DE SARS M., Le Noir, lieutenant de police 1732-1807, Paris, Hachette, 1948, 287 p. (coll. De l’histoire).

DE VIGUERIE J., Histoire et dictionnaire du temps des Lumières. 1775-1789, Paris, Laffont, 1995, p. 1110-1111.

LEFEBVRE G., « les papiers de Lenoir », in Annales historiques de la Révolution française, t. IV, 1927, p. 300.

MILLIOT V., Un policier des Lumières. Mémoires de J.-C.-P. Lenoir, ancien lieutenant général de police de Paris, écrits en pays étrangers dans les années 1790 et suivantes, Seyssel, Champ vallon, 2011, 1141 p. (coll. Les Classiques de Champ vallon).

VIDIER A., « Le Noir, bibliothécaire du roi (1784-1790), ses démêlés avec Carra », in Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île-de-France, 1924, LI, p. 1-13.

Jean-Charles-Pierre Lenoir ou Le Noir

Né à Paris le 10 décembre 1732, décédé dans la même vile le 17 novembre 1807. Jean-Charles-Pierre Lenoir avait pour parents Anne-Marie Le Noir de Condré et de Jean-Charles-Joseph Lenoir, conseiller du Roi, lieutenant particulier au Châtelet de Paris1. Il fut élève du collège Louis-le-Grand pour ensuite mener des études de droit de janvier 1749 à décembre 1751. Grâce à une dispense d’âge, il obtint à moins de vingt ans une charge de conseiller au Châtelet. À la mort de son père, il hérita de la charge de ce dernier en décembre 1754. En novembre 1759, il acquit la charge de lieutenant criminel dans la juridiction de Paris. Nommé également maître des requêtes ordinaires de l’hôtel du roi en juillet 1765, il siégea à la chambre royale de Rennes en novembre de la même année puis à la chambre criminelle de Saint-Malo en janvier 1766.
C’est toutefois en août 1774 que sa carrière prend un tournant décisif : on lui confia en effet le poste de « Lieutenant général de police de la prévôté et vicomté de Paris ». Lorsque survint la fameuse « guerre des farines », Lenoir s’opposa au ministre Turgot. Ce dernier, après avoir imposé la liberté du commerce des grains dans tout le royaume, confia la direction des approvisionnements de Paris au Contrôle de Paris, alors qu’elle était dans les mains du Lieutenant général de Paris jusque-là. Lenoir n’acceptait pas cette décision et était également opposé à la liberté illimitée du commerce du grain. C’est toutefois Turgot qui imposa ses vues et Lenoir fut contraint de démissionner le 8 mai 1775. Il retrouva toutefois son poste de Lieutenant général l’année suivante et le conservera neuf ans durant. Au cours son mandat, il sut se montrer protecteur envers certains philosophes comme Diderot et Rousseau mais il fit exécuter l’ordre du roi qui envoyait Beaumarchais en prison après la représentation du Mariage de Figaro (avril 1784).
En mai 1785, il fut nommé au Conseil royal de Finances et dut de ce fait abandonner son poste de Lieutenant général. Un an auparavant, il avait également acheté la charge de maître de librairie et celle de garde de la Bibliothèque du Roi (actuelle Bibliothèque nationale de France), une fonction qu’il exerça jusqu’en 1789, de même que celle de conseiller royal. Il imposa diverses réformes à la Bibliothèque. Il augmenta le budget de 60 % et les salaires du personnel. Il compléta la législation sur le dépôt légal et, surtout, ouvrit l’établissement au public tous les jours et non plus deux jours par semaine. Toutefois, sa gestion de la bibliothèque fut remis en cause publiquement via des brochures conçues par ses ennemis comme : L’an 1787. Précis de l’administration de la Bibliothèque du Roi, sous M. Le Noir (1787 et 1788 pour la deuxième édition) ou encore Lettre à un ami sur la suppression de la charge de bibliothécaire du Roi, et sur un moyen d’y suppléer, aussi économique qu’avantageux aux lettres (1787).
Les attaques contre Lenoir ne cessèrent pas à l’approche de la Révolution. L’agitation parisienne et la réquisition d’une partie des bâtiments de la Bibliothèque l’incitèrent à quitter la France. Il gagna la Suisse mais, suite à l’entrée des troupes françaises en 1798, il s’installa à Vienne. Il rentra en France en novembre 1801 et fut radié de la liste des émigrés le 11 septembre 1802. Bonaparte lui accorda une pension qui lui permit de se retirer à Crosnes pour rédiger ses mémoires, commencées dès 1790. Cet ouvrage considérable de 1450 folios fut l’objet d’une édition partielle en 2011 (cf. bibliographie).

1 Cette notice biographique est inspirée en grande partie par celle conçue par Y. Chriron (cf. bibliographie).

Support : une feuille de papier

Hauteur : 302 mm
Largeur : 404 mm

Cote : 19346/2756