Lettre au baron de Stassart, 13 février 1835
J’ai l’honneur de vous adresser un exemplaire des statuts de la Banque de Belgique approuvés par arrêté royal du 12 de ce mois.
Sa Majesté m’ayant autorisé à inscrire son nom à la tête des actionnaires, je serais également flatté Monsieur le Baron, de pouvoir vous compter parmi les premiers souscripteurs.
J’attendrai les ordres que vous voudrez bien me donner et vous prie d’agréer l’expression de ma haute considération.
Bruxelles le 13 février 1835
Monsieur le Baron de Stassart
Président du Sénat
[Apostille en haut à gauche, de la main du baron de Stassart]
Répondu le 15 février
La Banque de Belgique mentionnée ci-dessus fut constituée le 26 février 1835 avec un capital de vingt millions de francs. Ces capitaux étaient majoritairement d’origine française. Comme indiqué dans le courrier ci-dessus, Léopold Ier fut effectivement le premier souscripteur de ce nouvel établissement. Cette banque avait été conçue par certains milieux hostiles à la Société Générale pour contrecarrer autant que possible l’influence prépondérante de celle-ci dans l’économie belge. Charles de Brouckère fut le premier directeur de cette banque et exerça cette fonction jusqu'en 18391.
Que répondit le baron de Stassart à cette offre de Charles de Brouckère ? À ce jour, aucune monographie traitant de l’histoire de la Banque de Belgique n’a été rédigée et il est regrettable que Ben Serge Chlepner ne se soit pas occupé de cette tâche de son vivant2. Nous n’avons donc pu nous procurer une liste des souscripteurs de cette banque et le baron de Stassart n’a pas laissé de brouillon de sa réponse du même jour. On peut toutefois légitimement douter qu’il répondit par l’affirmative. Le président du Sénat avait en effet tissé des liens étroits avec la Société Générale dont il tirait de gros avantages pécuniaires3 et il est peu probable qu’il n’avait pas compris que la Banque de Belgique avait été conçue pour concurrencer la Société Générale. On ne peut toutefois pas exclure l’hypothèse d’une souscription en vue de complaire au souverain.
1 MABILLE X., TULKENS C.-X., VINCENT A., La Société Générale de Belgique, 1822-1997 : le pouvoir d'un groupe à travers l'histoire, s.l., CRISP, 1997, p. 26, 27. MABILLE X., « La Société générale de Belgique. Eléments pour une histoire de la Banque mixte 1822-1934 », in Courrier hebdomadaire du CRISP, 1993/29-30 (n° 1414-1415), p. 22, 23.
2 TILMAN S., Les grands banquiers belges (1830-1935) : Portrait collectif d'une élite, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2006, p. 33, 34 (Mémoires de la Classe des Lettres, coll. in-8°, 3e s., t.39).
3 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 401, 405 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
« De brouckère, Charles, Marie, Joseph, Ghislain », in DE PAEPE J.-L., RAINDORF-GÉRARD C. (dir.), GILLARD P., BRION R. (coll.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, Académie royale de Belgique, Commission de la Biographie nationale, 1996, pp. 115-116.
Charles de Brouckère, bourgmestre de la ville de Bruxelles, Bruxelles, Office de Publicité, 1860, 30 p.
JUSTE T., Charles de Brouckère, bourgmestre de Bruxelles, etc. (1796-1860), Bruxelles, 1867, 131 p. (coll. Les fondateurs de la monarchie belge).
MABILLE X., TULKENS C.-X., VINCENT A., La Société Générale de Belgique, 1822-1997 : le pouvoir d'un groupe à travers l'histoire, s.l., CRISP, 1997, p. 26, 27.
MABILLE X., « La Société générale de Belgique. Eléments pour une histoire de la Banque mixte 1822-1934 », in Courrier hebdomadaire du CRISP, 1993/29-30 (n° 1414-1415), p. 22, 23.
NOBLET S., Charles de Brouckère et ses principes d'économie politique, Mémoire en histoire de l’Université libre de Bruxelles.
TILMAN S., Les grands banquiers belges (1830-1935) : Portrait collectif d'une élite, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2006, p. 33, 34 (Mémoires de la Classe des Lettres, coll. in-8°, 3e s., t.39).
Charles de Brouckère
Né à Bruges le 18 janvier 1796, décédé à Bruxelles le 20 avril 1860. Charles de Brouckère vit le jour dans une famille de la noblesse(1). Son père avait été échevin du Franc de Bruges et sa mère était la fille de M. de Stoop, receveur général des États de Flandre. Ayant suivi ses parents à Bruxelles, le jeune Charles y fit des études brillantes au lycée de la même ville. Il se destinait alors à la carrière militaire. En 1815, il entra dans l’artillerie comme cadet. Promu au grade de sous-lieutenant assez rapidement, il ne participa toutefois pas à la bataille de Waterloo. Vers 1817, il rejoignit Maastricht, résidence du gouverneur du Limbourg qui n’était autre que son père. Il y étudia les mathématiques et la physique. En 1819, il contracta un brillant mariage et démissionna de son grade. Il choisit la fonction publique pour devenir chef de section au gouvernement provincial. Cinq ans plus tard, un canton rural l’envoya aux États provinciaux et ceux-ci le déléguèrent bien vite à la députation permanente. En 1826, les États limbourgeois le nommèrent membre des états généraux. Il était de tendance libérale, malgré les liens unissant sa famille au monarque. Il se distingua par sa philanthropie et ses idées avancées. Ainsi par exemple, il s’opposa à la peine de mort et se prononça pour la liberté de la presse avec vigueur, sans doute mû par son passé de rédacteur dans plusieurs journaux… Quoique toujours attaché à la dynastie, son activité libérale débordante lui valut l’hostilité du monarque. Cela ne l’empêcha cependant pas d’être réélu en 1829.
Au début de la Révolution belge, il était partisan d’une séparation administrative entre le nord et le sud avec une Belgique constituée sous la vice-royauté du prince d’Orange. Tout en défendant les intérêts des Belges à La Haye, il s’était d’ailleurs rapproché de ce prince. Toutefois, celui-ci perdit la confiance de son père, ce que Charles de Brouckère comprit bien vite et le détourna petit à petit de la monarchie… Le gouvernement provisoire le nomma membre de la commission chargée de présenter un projet de constitution. En outre, le district de Hasselt le choisit comme représentant au Congrès. Il se prononça contre la réunion à la France, même s'il supporta plus tard l’élection du duc de Nemours comme roi des Belges. Il vota aussi pour l’abolition de toutes distinctions d’ordres et défendit à nouveau la liberté de la presse. En outre, il soutint qu’il fallait un contrepoids à l’indépendance absolue du clergé et à la liberté complète de l’enseignement. Il vota pour l’établissement de la Régence : du reste, il connaissait Surlet de Chokier depuis longtemps. Il devint ministre des Finances deux fois, d’abord en février / mars 1831, puis de mars à mai de la même année. Il vota en juin contre l’élection de Léopold comme roi des Belges mais aussi contre le Traité des XVIII articles. Cela ne l’empêcha nullement d’accueillir le souverain le 21 juillet 1831 et d’en devenir le ministre de l’Intérieur du 3 au 16 août puis de la Guerre du 16 août 1831 au 15 mars 1832. Quelque peu fatigué des intrigues politiques, il quitta également le parlement en octobre de la même année. Il n’était toutefois pas question de sombrer dans l’oisiveté. Ainsi, il devint directeur de l’Hôtel des monnaies de Bruxelles en 1832. Il fut également l’un des fondateurs de l’Université de Bruxelles et en devint professeur, d’abord de mathématiques, puis d’économie politique. De plus le monde de la finance et de l’industrie ne lui était pas étranger. Outre la création de la Banque de Belgique (cf. analyse), il fonda également la Compagnie des Lits militaires (1835). Il présida la Société d’industrie du Luxembourg (1837), la S.A. des Charbonnages et Hauts Fourneaux de l’Espérance (1836-1857), la Société des Charbonnages de Bray, Maurage et Boussoit (1838), etc. En tout, Charles de Brouckère a exercé vingt mandats de société sur l’ensemble de sa carrière. Par ailleurs, ce franc-maçon(2) et libéral convaincu présida le Congrès des Économistes en 1847 et 1856 ou encore la Société belge d’Économie politique en 1860. Tout cela ne lui fit pas oublier la politique : après avoir été élu conseiller communal de Bruxelles en 1847, il reçut l’écharpe mayorale de la même ville l’année suivante. Il exerça cette charge jusqu’à son dernier souffle le 20 avril 1860. Six ans plus tard, une fontaine de Brouckère fut inaugurée à la Porte de Namur. Démontée en 1958, elle fut réinstallée à Laeken en 1977, sur le square Jean Palfyn. Une place célèbre de Bruxelles portant son nom fut officiellement inaugurée le 22 août 1897.
(1) Pour cette notice, nous nous nous sommes principalement inspiré des livres de Théodore Juste et de Samuel Tilman ainsi que de la petite biographie reprise dans l’ouvrage dirigé par Jean-Luc De Paepe (cf. bibliographie).
(2) Il adhéra à la loge des Amis Philanthropes (Bruxelles) en 1830.
Support : une feuille de papier
Hauteur : 259 mm
Largeur : 401 mm
Cote : 19345/299