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Lettre au baron de Stassart, 9 juin 1838

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Liège 9 juin 1838.

 


J’ai eu l’honneur de faire plus particulièrement votre connaissance chez mes parents de Soye et de manière à concevoir pour vous plus que de l’estime. C’est ce sentiment que vous avez su m’inspirer, qui m’engage aujourd’hui à faire une démarche peut-être un peu hardie, mais qu’à coup sûr vous ne sauriez désapprouver lorsque vous en connaitrez l’unique motif.

Je crois avoir acquis la certitude qu’en âme et conscience vous n’êtes pas tranquille sur la position que de très bonnes intentions sans doute vous ont fait prendre en acceptant le titre de Grand - Maître de la Franc-maçonnerie belge. Je voudrais vous rendre cette tranquillité, de tous les biens de la terre le plus précieux et auquel rien au monde ne saurait suppléer.

Permettez-moi donc, Monsieur le Baron, de vous dire avec toute la franchise que vous me connaissez : vos bonnes intentions ne suffisent pas, elles ne sanctifieront jamais le moyen parce qu’un des principes immuables de la morale, c’est que non sunt facienda mala ut eveniant bona. Or, pour un catholique, qui veut être et mourir tel, la participation à la maçonnerie est un mal pur et simple, c’est un péché grave, qui compromet le salut.

Quoique votre âge, votre expérience, une longue et brillante carrière, des talents supérieurs et d’incontestables services vous placent bien au-dessus de moi, daignez jeter un coup d’œil sur mes dernières publications, dont j’ose vous présenter un exemplaire. Et si jamais je pouvais être assez heureux que de porter la conviction dans l’âme d’un si respectable ami, j’espère qu’il ferait noblement, généreusement ce qui consolerait la Belgique si éminemment catholique, réjouirait de nombreux amis, et doublerait l’estime et la considération de ses sincères admirateurs.

Veuillez agréer, Monsieur le Baron, l’hommage de mon profond respect,


Corneille Evêque de Liège.

La missive ci-dessus s’inscrit dans le contexte du début du conflit qui opposa le clergé catholique et la franc-maçonnerie belges. En effet, suite à la création en 1837 d’une loge du Grand Orient de Belgique (La Fidélité) à Gand pour y contrer la maçonnerie de la ville restée orangiste, le clergé local avait pris peur, y voyant le début d’un essaimage de loges à travers le pays. Le discours d’installation de cette loge surtout l’avait ému : si il n’attaquait pas l’enseignement prodigué par l’Église, ne prônait-il pas la création d’écoles gardiennes, primaires et secondaires concurrentes ? Ne recommandait-il pas d’envoyer les élèves méritants  à l’Université de Bruxelles ? La question de l’instruction était donc à nouveau à l’ordre du jour et le clergé catholique n’entendait pas renoncer à sa volonté de monopole sur l’enseignement. Le clergé gantois s’émut de ce qu’il estimait être un danger auprès de Engelbert Sterckx, l’archevêque de Malines. Après consultation, ce dernier fit diffuser le 28 décembre 1837 une Circulaire relative aux Francs-Maçons adressée « par les Archevêques et Évêques de la Belgique à Messieurs les Curés de leurs diocèses respectifs ». Après avoir rappelé les différentes condamnations portées par différents papes envers la maçonnerie, cette circulaire ordonnait aux catholiques de ne plus participer aux travaux d’une loge maçonnique sous peine d’être indignes de recevoir l’absolution et les autres sacrements. En réponse, le baron de Stassart, alors Grand Maître du Grand Orient de Belgique, prôna la modération parmi ses rangs : une circulaire de l’institution adressée aux loges de son obédience datée de janvier 1838 autorisait « ceux des frères dont la conscience serait timorée ou dont les intérêts pourraient être froissés » à se retirer de leurs loges. Cette réaction mettait le baron de Stassart dans l’embarras : les loges mécontentes s’agitaient chaque jour un peu plus tandis qu’une campagne contre le libéralisme et la maçonnerie était menée par une partie de la presse.
C’est dans ce contexte que la missive de Corneille Van Bommel parvint au Baron de Stassart. Il s’agissait de frapper à la tête de la maçonnerie : après les formules de politesse habituelles, on voit que l’évêque de Liège adopte de suite un ton menaçant : quid du salut de l’âme du baron? « La participation à la maçonnerie est un mal pur et simple, c’est un péché grave qui compromet le salut »… Goswin de Stassart répondit le lendemain et contra fermement les attaques : maçon depuis 36 ans, n’avait-il pas rempli tous les devoirs de sa religion ? La maçonnerie belge n’a rien de commun avec les sociétés secrètes italiennes… En outre il rappelle la cas Velbruck , prince-évêque liégeois du XVIIIe siècle dont l’appartenance maçonnique n’était un secret pour personne. Il défiait Van Bommel de trouver quoique ce soit de répréhensible dans les préceptes maçonniques. Par conséquent, la lettre des évêques est une erreur et le baron de Stassart ne doute pas un instant que la population belge repoussera ce document ni n’admettra que l’on fit de la religion un instrument de domination temporelle. Cette charge ne pouvait que susciter une réaction du prélat liégeois. Celui-ci prit sa plume le 16 juillet et rappela que la maçonnerie belge ne peut échapper aux condamnations des chefs de l’Église. Velbruck ? Apprécié peut-être comme prince temporel, il n’a jamais fait autorité comme évêque et n’a même jamais été un évêque respectable… Déplorant que la maçonnerie intervienne contre l’influence de l’Église, celle-ci ne demande qu’une chose : que l’on cesse de dire que l’on peut être maçon et bon catholique. Le Grand Maître du Grand Orient de Belgique répondit le 2 juillet. S’appuyant sur un long exposé historique, il tente de démontrer que la maçonnerie belge n’a jamais été hostile au Trône et à l’Autel. Lui-même a toujours été favorable aux principes religieux et ne méritait en rien un tel outrage1. La passe d’armes prit fin à ce moment précis. Les deux hommes n’avaient pu se mettre d’accord : le pouvaient-ils ? Au vu du conflit opposant la maçonnerie belge et le clergé belge durant les décennies suivantes, cela est hautement improbable…

1 HASQUIN H., Les catholiques belges et la franc-maçonnerie. De la « rigidité Ratzinger » à la transgression ? , Waterloo, Avant-propos, 2011, p. 74-82 (préfaces de Éric de Beukelaer et de Eddy Caekelberghs). THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 388-395 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050). WITTE E., BORNÉ F. (éd.), Documents relatifs à la Franc-maçonnerie belge du XIXe siècle 1830-1855, 1973, p. 135-148 (Cahiers [du] Centre Interuniversitaire d'Histoire Contemporaine = Bijdragen [van het] Interuniversitair Centrum voor Hedendaagse Geschiedenis, 1973, no. 69). Les lettres et minutes des deux hommes sont repris dans le dossier 225 de la correspondance du baron de Stassart (Archives de l’Académie royale de Belgique, 19345).

CAPITAINE U., Notice sur R.A.C. Van Bommel, évêque de Liège, Liège, Carmanne, 1853, 95 p. (Biographie liégeoise, 3)

DE SMET J.J., « Bommel (Corneille-Richard-Antoine Van)  », in Biographie nationale, Bruxelles, H. Thiry - Van Buggenhoudt, 1868, t. 2, col. 667-671.

DIEUDONNÉ P., Corneille Van Bommel et le Jansénisme, In Leodium, Juillet-Décembre, 2012, tome 97 (7-12), p.49-106.

DIEUDONNÉ P., Corneille Van Bommel (Leyde, 1790 - Liège, 1852) : prêtre enseignant, écrivain militant, évêque missionnaire, Liège, Société d’art et d’histoire du diocèse de Liège, 2015, 119 p.

HASQUIN H., Les catholiques belges et la franc-maçonnerie. De la « rigidité Ratzinger » à la transgression ? , Waterloo, Avant-propos, 2011, 275 p. (préfaces de Éric de Beukelaer et de Eddy Caekelberghs).

HANSON M., « CRA van Bommel (1829-1852) en het middelbaar onderwijs in het bisdom Luik », in Trajecta. Tijdschrift voor de geschiedenis van het katholiek leven in de Nederlanden, 1993, 2/4, p. 344-361

JANSSEN A.M.P.P., « Het bezoek van de Luikse bisschop van Bommel aan Maaseik en omstreken (1836),deel 2 : Heppeneert », In De Maaseikenaar. Periodiek contactblad uitgegeven door de Culturele Raad Maaseik, 2001, XXXII/1, pp.27-29 ; XXXII/2, pp.77-78 ; XXXII/3, pp.125-126.

MONCHAMP G., « L'évêque Van Bommel et la Révolution belge : Discours », In Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques et de la Classe des Beaux-Arts, 1905, p. 393-488 (paru en volume séparé : L'évêque van Bommel et la révolution belge, Liège, Dessain H., 1905, 391-488 p.)

WITTE E., BORNÉ F. (éd.), Documents relatifs à la Franc-maçonnerie belge du XIXe siècle 1830-1855, 1973, VIII-821 p. (Cahiers [du] Centre Interuniversitaire d'Histoire Contemporaine = Bijdragen [van het] Interuniversitair Centrum voor Hedendaagse Geschiedenis, 1973, no

Corneille-Richard-Antoine Van Bommel

Né à Leyde, le 5 avril 1790 ; décédé à Liège le 7 avril 1852. Corneille Van Bommel était issu d’une ancienne famille de commerçants. Sa première éducation fut assurée par sa mère et un prêtre français émigré en Hollande mais cette instruction fut de courte durée puisqu’il perdit sa mère en 1805, deux ans après la mort de son père. Il fut envoyé au collège de Willingsbegge (près de Munster) où il suivit des cours dispensés par des prêtres français réfugiés. Ceux-ci le poussèrent à faire des études supérieures. Contre la volonté de sa famille, il décida ensuite d’embraser l’état ecclésiastique : il fut ordonné prêtre en 1816. De retour en Hollande, il fonda un collège catholique à Hageveld, près de Harlem. Cet établissement acquit rapidement une bonne réputation mais fut fermé par les autorités. Le roi Guillaume lui proposa la présidence du collège philosophique mais il déclina l’offre. Bien plus, il rejoignit l’opposition composée alors des catholiques et des libéraux ligués contre le pouvoir royal. Il fit paraître anonymement les Trois chapitres sur les arrêtés du 20 juin 1829 ainsi qu’un Essai sur le monopole de l’enseignement aux Pays-Bas. Cela ne l’empêcha en rien d’être désigné évêque de Liège le 15 novembre 1829, charge dont il s’acquitta jusqu’à son dernier soupir.

Il réorganisa son diocèse et porta son attention sur l’enseignement clérical, à tous les niveaux. C’est lui par exemple qui proposa la création d’une université catholique de Malines en 1833. On s’étonnera donc peu qu’il ne vit dans la création de l’Université de Bruxelles qu’une manœuvre des loges pour s’opposer à l’université malinoise. Il espérait un réveil des consciences grâce à la circulaire du 28 décembre 1837 (cf. analyse) (1). Il était également le rédacteur d’un Exposé des vrais principes sur l’instruction primaire et secondaire, considérés dans ses rapports avec la religion (Liège, 1840). Il s’était également prononcé sur la hiérarchie de l’Église et son pouvoir dans un Sermon sur la primauté du souverain pontife (Liège, 1838).

1 HASQUIN H., Les catholiques belges et la franc-maçonnerie. De la « rigidité Ratzinger » à la transgression ? , Waterloo, Avant-propos, 2011, p. 77 (préfaces de Éric de Beukelaer et de Eddy Caekelberghs).

Lettre

Support : une feuille de papier

Hauteur : 263 mm
Largeur : 411 mm

Cote : 19345/225

Portrait
« M. Gr C.R.A. VAN BOMMEL, Evêque de Liège », Lith. de H. Dessain

Hauteur : 216 mm
Largeur : 150 mm

Cote : 19345/225