Lettre au baron Goswin de Stassart, 10 mars 1831
Bruxelles le 10 mars 1831
Venez quand cela vous conviendra et quand vous jugerez le moment le plus convenable de vous absenter sans nuire aux intérêts de votre province et sans faire souffrir madame la baronne de Stassart de votre absence en la réduisant momentanément à l’état de viduité. Vous voyez mon cher collègue que malgré mes nombreuses occupations je ne perds pas de vue les intérêts du beau sexe. Veuillez présenter mes respectueux hommages à madame et croyez aux sentiments que vous me connaissez.
[Apostille de la main de Stassart]
Sans réponse
[Verso]
Monsieur
Monsieur le baron de Stassart
Gouverneur de la Province de Namur
Namur
[Cachet de la poste de Bruxelles]
Bruxelles 10 mars 1831
[Cachet de la poste de Namur]
Namur 11 mars 1831
La rencontre dont il est question ci-dessus est celle durant laquelle le baron de Stassart devait prêter serment pour la présidence du Sénat. Goswin suivit le conseil de son correspondant et laissa de côté les affaires de la province de Namur (dont il était gouverneur) plus d’un mois plus tard. En effet, il prêta serment le 16 avril et rendit visite à Surlet de Chokier le jour d’avant. Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps : ils s’étaient rencontrés à Paris durant la période impériale1. Par la suite leurs chemins se croisèrent à nouveau, notamment dans le cadre de la vie politique du jeune État belge. Leurs politiques n’étaient d’ailleurs pas forcément convergentes. Ainsi, les deux hommes concoururent pour le poste du président de la Chambre qui échut à Surlet de Chokier le 11 novembre 1830. Stassart fut éliminé dès le second tour des votes mais obtint la vice-présidence2. Plus tard encore, en janvier 1831 pour être plus précis, les deux hommes s’opposèrent encore sur le choix d’un monarque pour la Belgique. Stassart était effectivement chef des partisans du duc de Leuchtenberg tandis que Surlet de Chokier dirigeaient ceux penchant plutôt pour le duc de Nemours3. Les relations entre les deux hommes ne semblent pas s’être dégradées pour autant : les autres lettres de Surlet de Chokier et les minutes des réponses de Stassart en notre possession semblent en attester. Les missives du régent ont toutes le même ton léger et comprennent toutes des compliments pour la baronne de Stassart. La lettre ci-dessus est toutefois la dernière envoyée par Surlet : les relations entre les deux hommes vinrent sans doute à cesser sitôt la carrière politique de Surlet de Chokier achevée.
1 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 332 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
2 Ibidem, p. 308, 309.
3 Ibidem, p. 320, 321.
RANCOIS L., Elite en Gezag. Analyse van de Belgische elite in haar relatie tot de politieke regimwisselingen, 1785-1835, Gand, Universiteit Gent, 1987 (thèse de doctorat inédite), p. 1450-1476.
FRANCOIS L., « Erasme Surlet de Chokier (1769-1839) : Schets van zijn politieke loopbaan », in Het Oude Land van Loon. Orgaan van de federatie der Geschied- en Oudheidkundige kringen van Limburg, XLIII, 1988, p. 5-26.
FRANCOIS L., « Surlet de Chokier », in Nouvelle biographie nationale, Bruxelles, Académie royale de Belgique, t. 3, p. 319-321.
GEORIS M., Le premier souverain de Belgique : le régent Surlet de Chokier, Bruxelles, Luc Pire, 2001, 87 p. (coll. Biographie / Luc Pire)
JUSTE T., Les fondateurs de la Monarchie belge : Le Régent Erasme Louis Surlet de Chokier, d’après ses papiers et d’autres documents inédits, Bruxelles, Muouardt, 1867, X-213 p.
Érasme Surlet de Chokier
Né à Liège le 27 novembre 1769, décédé à Gingelom le 7 août 1839. La famille de Surlet de Chokier était d’ancienne noblesse liégeoise1. Son père (Jean Guillaume Arnold) était seigneur de Gingelom et siégeait au conseil communal de Liège. Érasme était d’abord destiné à une carrière ecclésiastique mais les évènements révolutionnaires eurent raison de celle-ci. Quand les Liégeois se révoltèrent en 1789, il se rangea du côté des adversaires de l’évêque de Hoensbroeck et fut nommé aide-de-camp du général Donceel, commandant en chef de l’armée des patriotes. Il apporta également son aide aux Belges soulevés contre la domination autrichienne : le 12 octobre 1790, il obtint du Congrès un brevet de lieutenant au régiment d’infanterie. Quand l’évêque de Hoensbroeck et l’empereur Léopold II furent restaurés en Principauté de Liège et dans les Pays-Bas autrichiens, Érasme se retira de la vie politique. On ne le revit qu’en 1797 : il fut alors élu administrateur du département de la Meuse-Inférieure le 20 mai. Il n’occupa ce poste que de façon éphémère : il fut démis par le Directoire le 3 janvier 1798 en même temps que les « ci-devant nobles ». En mai 1800, il devint toutefois bourgmestre de Gingelom et, le mois suivant, membre du Conseil général du Département de la Meuse-Inférieure. En outre, il était devenu un riche notable grâce à l’achat de biens nationaux. Il se distingua également en s’attelant à l’amélioration de l’agriculture et de l’élevage, notamment du mérinos dont il s'enorgueillissait d’avoir été le premier à l’introduire en Belgique. En 1809, il fut promu capitaine de la Garde nationale et administrateur du Bureau central de Bienfaisance et des Hospices civils de Saint-Trond. En 1812, il devint président du Conseil général de la Meuse-Inférieure et automatiquement membre du Corps législatif. Il siégea dans cette institution jusqu’en 1814 et fut nommé la même année membre du Conseil d’Etat alors en session extraordinaire. En août 1815, il présida le Collège électoral de la Constitution à Hasselt. Bien que partisan du rattachement des provinces belges à la France, il accepta un mandat à la Deuxième chambre, sur désignation de Guillaume Ier, roi du Royaume des Pays-Bas. Admis également dans l’ordre équestre du Limbourg, il fut l’un des principaux porte-parole de la province. Il fit preuve d’indépendance et se distingua par son agressivité durant les débats parlementaires. Il se montra partisan d’une modernisation de la société (introduction du système métrique, etc.) et du respect des libertés constitutionnelles. Il s’opposa également à l’élargissement des pouvoirs du roi et plaidait en faveur du partage de compétences entre le souverain et le parlement. On se doute qu’il s’attira l’hostilité du pouvoir qui s’ingénia (et réussit) à empêcher sa réélection en 1818. Trois ans plus tard, il acquit une grande popularité en défendant Jean-François Hennequin (un vieil ami) devant la cour d’assises de Liège. En tant que bourgmestre de Maestricht, ce dernier avait refusé d’exécuter une loi illégale. Surlet de Chokier obtint l’acquittement d’Hennequin. Son statut d’opposant renforcé, il sollicita en vain une fonction dans le pouvoir judiciaire. Il fut toutefois nommé bailli puis bourgmestre de Gingelom en septembre 1824 et en juillet 1825. À l’époque, il était pour l’unionisme et se présenta sous cette étiquette durant la campagne électorale de 1828. Cette dernière fut victorieuse et, durant son mandat, son influeuce était très importante. Il s’exprimait toujours avec fougue, à ce point qu’on lui attribua le surnom de « Surlet de Choquant ». Comme en 1815-1818, il se battit pour préserver les droits du Parlement et s’opposa aux poursuites contre les journalistes. Il devint ainsi un des plus grands opposants au régime bien qu’il adopta une position modérée lors de l’insurrection de 1830. Toutefois, comme les réformes administratives lui semblaient insuffisantes, il rompit avec Guillaume Ier. Les 3 et 7 septembre 1830, il se prononça pour une séparation administrative immédiate entre le sud et le nord. Du 4 au 16 octobre, Surlet de Chokier fit partie du conseil siégeant à Anvers et qui devait fournir des informations au prince d’Orange (le fils du roi Guillaume pressenti un temps pour devenir souverain de la Belgique) pour la reprise en main des provinces du sud. Après la démission de ce conseil, il joua pleinement la carte belge. Il fut élu membre du Congrès national comme représentant de Hasselt. Au cours de la première séance, ses collègues le désignèrent président. Il est malaisé de cerner les opinions personnelles de Surlet à ce moment vu qu’il ne fit aucun discours et qu’il vota toujours avec la majorité. En adoptant un comportement contraire à celui qui était le sien avant cela, il se plaçait ainsi au-dessus de la mêlée et acquit la figure d’un conciliateur. Le 3 février 1831, le duc de Nemours fut nommé roi des Belges. Une délégation dont faisait partie Surlet se rendit à Paris pour informer le roi des Français de l’élection de son fils. Redoutant un conflit européen, Louis-Philippe refusa cette offre. Le gouvernement provisoire belge décida alors la création d’une régence et, le 24 février, Surlet de Chokier fut élu régent de la Belgique. Sachant que son pouvoir n’était que temporaire, il interpréta la constitution de façon minimaliste et cela d’autant plus qu’il n’avait ni de grandes ambitions ni l’étoffe d’un chef. Il n’était pas non plus favorable à l’accession de Léopold Ier au trône de Belgique. Quand celui-ci prit possession de sa charge, Surlet de Chokier fut couvert d’éloges mais celles-ci s’estompèrent bien vite quand on se rendit compte de l’impréparation de l’armée dans sa confrontation avec la Hollande (août 1831). On l’accabla également d’accusations d’orangisme ou de réunionisme. Surlet renonça à un siège permanent au Sénat et ne se présenta pas aux élections sénatoriales. Il se retira à Gingelom où il passa la fin de ses jours.
1 Pour cette biographie, nous nous sommes inspiré des notices de Luc François et de Théodore Juste (cf. orientation bibliographique).
Support : une feuille de papier, 5 plis, adresse au verso
Hauteur : 285.5 mm
Largeur : 402 mm
Cote : 19345/1816