Lettre au baron Goswin de Stassart, 26 août 1817
Spa ce 26 aout 1817
Monsieur le Baron,
J’ai été fort sensible à la lettre que vous venés (sic) de m’adresser de Liège, ainsi qu’aux choses flatteuses qu’elle contient pour moi. Je suis charmé de voir en vous le désir de vous attacher à ma personne, et c’est avec peine que je me vois obligé pour le moment de refuser votre demande, cependant si j’avais plus tard besoin de vos services et de votre aptitude au travail j’espère pouvoir toujours compter sur vous, et sur vos bonnes dispositions envers celui qui est avec les sentiments de la plus parfaite estime.
Guillaume Prince d’Orange
Enveloppe
A Monsieur
Monsieur le Baron de Stassart
Hotel de Hollande
Namur
[Cachet]
96
Spa
[Apostille de la main du baron de Stassart]
Prince d’Orange
Le début de l’ère hollandaise de notre pays fut pour le moins difficile pour le baron de Stassart, cet ancien serviteur de Napoléon1. Il s’agissait en effet de retrouver une place digne d’importance et Goswin se dépensa sans compter pour courtiser les puissants du jour, toujours en vain. La missive nous intéressant ici témoigne d’une de ses démarches envers le prince d’Orange. Les archives de notre institution restent muettes quant au poste convoité vainement par le baron. On sait toutefois qu’il rencontra le prince d’Orange en séjour à Spa dans le courant du mois d’août 1817. L’entrevue provoqua son enthousiasme, à ce point qu’il écrivit à son sujet dans une lettre à Jean Hubert Hubin :
« Brave comme Alexandre et bon comme Titus,
Quel heureux avenir présagent ses vertus »2
Cela n’était pas la première fois que l’ancien serviteur de l’empereur cultivait les muses pour le futur roi des Pays-Bas. Presque deux ans avant, il avait été reçu en audience par le prince héréditaire. Enchanté par l’accueil de ce dernier, Stassart conçut L’aigle et le milan, une fable chantant la gloire du milan (le prince d’Orange blessé à Waterloo) et la défaite de l’aigle (Napoléon). Cette fable était accompagnée d’une adresse3 reprise dans les œuvres complètes du baron de Stassart :
« Vous que les plus nobles travaux
Placent au temple de la Mémoire,
Prince, modèle des héros,
Vous qu’à vingt ans couronna la victoire,
Du milan et de l’aigle accueillez bien l’histoire,
De l’aigle on voit en vous la générosité,
Mais non l’orgueilleuse fierté …
Votre destin jamais peut-il être semblable ?
Rassurons-nous ! votre bonté
Rendrait même le joug aimable,
Vous possédez l’art de gagner les cœurs,
Heureux secret peu connu des vainqueurs »4.
Ces flatteries un peu excessives ne rapportèrent rien à son auteur mais ne l’empêchèrent nullement de se livrer à nouveau à ce genre de démarche en 1819 en faisant publier dans le journal L’oracle un texte rimé au ton -disons- populaire et intitulé : Les adieux d’un grenadier belge5. Il conçut également d’autres vers à la même époque pour les mêmes raisons6. Stassart convoitait alors une pension de préfet qu’il avait réclamé au roi Guillaume. Sans doute jugeait-il mettre toutes les chances de son côté en usant de ce genre de flagornerie envers le fils du souverain…7 . La pension lui fut accordée de 1820 jusqu’au 8 janvier 1830 quand le pouvoir le priva de celle-ci suite à ses prises de positions de Stassart en faveur des opposants dans une Belgique en pleine agitation prérévolutionnaire. Les portes du prince d’Orange lui étaient d’ailleurs fermées depuis un certain temps8 et les deux hommes ne semblent plus avoir entretenu de relations par la suite. Rien d’étonnant quand on se souvient du rôle politique joué par le baron au début de l’indépendance de la Belgique9.
1 Une « Traversée du Désert » selon son biographe, Marie-Rose Thielemans (THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 187-246 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
2 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart (…), op. cit., p. 228.
3 Ibidem, p. 218, 219.
4 DUPONT DELPORTE P.N., Œuvres complètes du baron de Stassart de l’Académie royale des sciences, des lettres et des arts de Belgique, de l’Académie de Turin, de l’Institut de France, etc. Correspondant de la Commission d’histoire attachée au ministère de l’Instruction publique, à Paris publiées et accompagnées d’une notice biographique et d’un examen critique des ouvrages de l’auteur (…) Nouvelle édition, Paris, chez Firmin Didot frères, libraires imprimeurs de l’Institut de France rue Jacob, n° 56 et chez les principaux libraires de Paris et des départements, 1855, p. 78.
5 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart (…), op. cit., p. 236. DUPONT DELPORTE P.N., Œuvres complètes du baron de Stassart (…), op. cit. p. 163.
6 DUPONT DELPORTE P.N., Œuvres complètes du baron de Stassart (…), op. cit. p. 163.
7 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart (…), op. cit., p. 236-241.
8 Ibidem, p. 284. Archives de l’ Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 19345/875, lettre de Stassart au prince d’Orange, Bruxelles le 30 mai 1829.
9 Cf. notre analyse de l’autographe de Léopold Ier.
COLENBRANDER H.T., De afscheiding van België, Amsterdam, J.M. Meulenhoff, 1936, p. (Nederlandsche Historische Bibliotheek, vol. 1).
COLENBRANDER H.T., De Belgische omwenteling, 's-Gravenhage : Martinus Nijhoff, 1905. - 211 p.
COLENBRANDER H.T., Gedenkstukken der Algemeene Geschiedenis van Nederland, van 1795 tot 1840, 's Gravenhage, Nijhoff, 1905-1908, 6 vol. (coll. Rijks Geschiedkundige Publicatiën, 1-6).
COLENBRANDER H.T., Willem I, koning der Nederlanden, Amsterdam : Meulenhoff, 1931, 377 p. (coll. Nederlandsche historische bibliotheek, XVIII).
COLENBRANDER H.T., Willem II, koning der Nederlanden, Amsterdam : Meulenhoff, 1938, 263 p. (coll. Nederlandsche historische bibliotheek, XXII).
DE MÉRODE-WESTERLOO, Souvenirs du comte de Mérode-Westerloo sénateur du royaume ancien envoyé extraordinaire près S. M. I. R. A., Bruxelles, Imprimerie Ch.-J.-A. Greuse, 1845-1846, 2 tomes, VI-412-452 p.
"Guillaume II", in HASQUIN H. (dir.), Dictionnaire d'Histoire de Belgique : Les hommes, les institutions, les faits, le Congo belge et le Ruanda-Urundi, Namur, Didier Hatier, 2000, p. 324.
JANSEN H.P.H., TAMSE C.A., Nassau en Oranje in de Nederlandse geschiedenis, Alphen aan den Rijn, Sijthoff, 1979, 422 p.
SCHMITZ Y., Guillaume Ier et la Belgique, Bruxelles, A. Goemaere, 1945, 369 p.
STRAUVEN F., « Le Palais des Académies. Genèse et histoire du bâtiment », in HASQUIN H., STRAUVEN F., Aedes Academiarum. Les Académies et leur Palais, Bruxelles, Racine, 2010, p. 55-103.
VAN ZANTEN J., Koning Willem II, Amsterdam, 2013, 600 p.
WITTE E., La construction de la Belgique, Bruxelles, Le Cri, 2010, 231 p. (Nouvelle histoire de Belgique, 1828-1847 ; traduit du néerlandais par Anne-Laure Vignaux).
Guillaume II d'Orange
Né le 6 décembre 1792 à La Haye, décédé le 17 mars 1849 à Tilbourg (Pays-Bas). Guillaume Frédéric était le fils aîné de Guillaume Frédéric d’Orange Nassau et de Wilhelmine de Prusse(1). Il ne grandit pas en Hollande mais à la Cour de Prusse et mena ses études secondaires au sein de l’Académie militaire de Berlin. Son père (alors Guillaume VI) lui donna rapidement des responsabilités politiques en l’envoyant en Angleterre en 1809 pour consolider les liens avec ce pays. Il espérait aussi un mariage de son fils avec Charlotte, la fille aînée du roi Georges III. Si ce dernier projet capota lamentablement quelques années plus tard, Guillaume n’en fit pas moins bonne impression au sein de la Cour et rejoignit les rangs de l’université d’Oxford. En 1811, Guillaume VI nourrit des ambitions militaires pour son fils : il réussit à le faire devenir aide de camp de Wellington. Ce dernier apprécia les qualités de Guillaume et ne manquait de louer son courage sur les champs de bataille de la péninsule ibérique. En outre, sa popularité en Angleterre n’avait cessé de croître au point qu’en cas de rétablissement de la Maison d’Orange en Hollande, on songeait bien davantage à lui dans un premier temps pour diriger ce pays, au détriment de son père, peu apprécié outre-manche. Ce dernier réussit toutefois à inverser la tendance et à se faire apprécier lors d’un séjour en Angleterre en 1813, malgré les réussites militaires de son fils. La même année, Guillaume quitta l’Espagne et regagna La Haye. Il fut déçu par son pays natal : parlant à peine le néerlandais, sa personnalité exubérante était à l’opposé du style de vie rigide de ses nouveaux compatriotes…
Deux ans plus tard, sa réputation militaire atteignit son apogée lors de la bataille de Waterloo. À la tête d’un bataillon belgo-hollandais, il résista aux troupes du Maréchal Ney le 16 juin 1815. Deux jours plus tard, lors de la bataille proprement dite, il combattit héroïquement à la tête de ses troupes et fut blessé par une balle de fusil. Il fut couvert d’honneurs et le Tsar Alexandre Ier lui accorda la main de sa fille, Anna Pavlovna. À la suite de ce fait d’armes également, il fut reçu triomphalement à Bruxelles et quantités de manifestations furent organisées en son honneur. À peine intronisé dans cette ville, son père (devenu entretemps Guillaume Ier roi des Pays-Bas) reçut une demande des États Généraux consistant à offrir un palais à Bruxelles et un domaine à Tervuren au prince héréditaire. D’accord pour lui offrir le domaine, le roi était hostile à l’idée d’un nouveau palais : ne serait-il pas ainsi considéré comme le souverain des Pays-Bas méridionaux ou un vice-roi attendant sa succession au trône ? C’en était trop pour ce monarque aussi soucieux de son autorité que peu populaire dans nos contrées du fait de son caractère reprenant tous les stéréotypes du caractère hollandais. Une solution fut trouvée sur proposition de la ville de Bruxelles : le prince fut hébergé dans l’aile gauche de l’actuel Palais des Nations. Le prince et son épouse occupèrent les lieux pendant quatre ans et s’y pluent : le palais avait l’avantage de se trouver dans la partie de la ville occupée par la noblesse et les missions diplomatiques. Durant cette période, les relations entre Guillaume Ier et son fils se détériorèrent : ce dernier soutint les parlementaires opposé au régime autoritaire du roi. Le 29 décembre 1820, le feu réduisit en cendre la résidence princière. Le prince rappela à son père la proposition des États Généraux de 1815. Le souverain ne voulait toujours rien entendre dans un premier temps mais, après quelques mois de conflit avec son fils et un projet de loi introduit à la Chambre des représentants visant à consacrer un million de florins à l’édification d’un palais, il finit par approuver cette construction. Ce palais, l’actuel Palais des Académies hébergeant notre institution, fut achevé à la fin de 1824 et les quatre années suivantes furent consacrées à l’aménagement intérieur et aux travaux de finition. Le palais ne fut toutefois occupé par les princes qu’une seule année, d’octobre 1828 à septembre 1829. Lorsqu’éclata la révolution belge en août 1830, le prince d’Orange se trouvait à La Haye. Le 4 octobre, il reçut l’autorisation de reprendre provisoirement l’administration des provinces méridionales au nom du roi. Le 8 octobre, De Brouckère lui proposa le trône au nom du gouvernement de Bruxelles. Il accepta mais, bien vite, le courant républicain mena campagne contre lui. Le roi fut affecté par la conduite de son fils et le rappela à ses côtés. Plus tard, les troupes du nord bombardèrent Anvers le 27 octobre 1830. Le roi fut alors considéré comme un ennemi et les chances du prince s’amenuisèrent considérablement. Le sort de la Belgique se négocia alors à Londres et le prince s’y rendit pour y défendre ses ambitions même si son père ne voulait pas de son fils comme monarque d’une Belgique reconnue de fait dès novembre 1830. Toutefois, le contexte insurrectionnel de l’Europe joua contre Guillaume et, après l’échec de la candidature du duc de Nemours, Léopold de Saxe Cobourg fut sollicité par les intervenants de la conférence de Londres. C’en était fini de la couronne belge pour Guillaume qui dut attendre l’abdication de son père en 1840 pour devenir roi sous le nom de Guillaume II. En 1848, il accorda une constitution plus libérale à son pays.
(1) Pour cette notice, nous nous sommes inspiré de la biographie de Guillaume II écrite par Herman Theodoor Colenbrander, de l’article de Francis Strauven, des monographies d’Yves Schmitz et d’Els Witte et de la notice parue dans le dictionnaire d’Hervé Hasquin.
Lettre
Support : une feuille de papier, bords dorés
Hauteur : 182 mm
Largeur : 236 mm
Cote : 19345/875
Enveloppe
Support : une feuille de papier, bords dorés
Hauteur : 183 mm
Largeur : 233 mm
Cote : 19345/875