Lettre au baron Goswin de Stassart, 27 septembre 1810
Paris, le 27 septembre 1810.
Vous serez étonné sans doute en voyant à la fin de cette lettre le nom demi - barbare d’une personne dont vous vous rappelez à peine peut-être, et qui vient cependant vous demander un service important qui aura la plus grande influence sur sa carrière future. Mais Monsieur le préfet, ma confiance, ou plutôt ma témérité, doit être excusée par l’accueil flatteur que vous voulûtes bien me faire lorsque, à votre dernier séjour à Bruxelles, j’eus l’honneur de vous être présenté chez Monsieur l’avocat Tarte, par votre obligeance connue et par le plaisir que vous avez toujours pris à vous rendre utile à vos compatriotes. C’est en cette dernière qualité surtout, Monsieur, que je réclame vos bontés pour moi.
Voici de quoi il s’agit. Je désire occuper une des places d’inspecteur auprès la comptabilité du mobilier de la couronne, que Sa Majesté vient de créer en faveur des auditeurs près de son Conseil d’État. Monsieur le comte Daru, intendant des biens de la couronne, aura la plus grande influence sur ces nominations, j’ose vous demander une lettre pour ce conseiller d’État que je lui présenterai moi-même. Je sais monsieur que vous êtes très lié avec lui et qu’un mot de votre part assurerait probablement la réussite de mon affaire. Veuillez Monsieur accéder à ma demande quel qu’indiscrète qu’elle puisse être. Soyez persuadé que je n’oublierai jamais le service que vous pouvez me rendre, et que je m’estimerai heureux si l’occasion se présente de vous donner un témoignage de ma vive reconnaissance.
Agréez je vous prie l’hommage du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être
L. Van Gobelschroy auditeur au Conseil d’État
Hôtel des Milords rue du mail
P.S. Monsieur Tarte m’honorait de son amitié. Je joins ici un certificat qu’il a bien voulu me donner lorsque je cessai de fréquenter son cabinet.
[Apostille en haut à gauche de la main de Goswin de Stassart]
Répondu le 5 octobre
En 1810, Louis Van Gobbelschroy n’était pas encore le puissant ministre de l’Intérieur du Royaume des Pays-Bas. Il n’était qu’auditeur de première classe au Conseil d’État et dut se résoudre à solliciter l’appui du baron de Stassart pour obtenir cette place tant convoitée d’inspecteur de la comptabilité du mobilier de la couronne. Il avait vu juste au sujet des relations d’estime liant le comte Daru à Goswin de Stassart : l’ouvrage de Marie-Rose Thielemans fourmille d’exemples à ce sujet1.
Les archives du Baron de Stassart conservées par notre académie ne contiennent malheureusement pas le certificat de l'avocat Tarte pas plus que la réponse de Goswin de Stassart à Louis Van Gobbelschroy. Ce dernier ne fut toutefois jamais nommé inspecteur. En 1810 en effet, les places échurent à Le Coulteux de Canteleu2 et Henri Beyle3, plus connu sous le nom de Stendhal4.
1 C’est par exemple Daru qui demanda à Napoléon de conférer la croix de la Légion d’honneur à Goswin de Stassart en juillet 1807 (THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 81, Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
2 S’agit-il de du comte Jean Barthélemy Le Couteulx de Canteleu (Rouen, 4 mars 1746 - Farceaux, 18 septembre 1818), financier, homme politique, cofondateur et premier président de la Banque de France ou son fils le comte Barthélemy Alphonse ? La seconde hypothèse semble la plus probable, bien que nous ne disposons pas de suffisamment d’informations à son sujet dans le Dictionnaire de biographie française (CHAMPY P., « Le Couteulx de Canteleu (comte Barthélemy-Alphonse) » ; CHAMPY P. et M. ZYLBERBERG, « Le Couteulx de Canteleu (comte Jean-Barthélemy) », in BALTEAU J., PREVOST M., LOBIES J.-P. LOBIES, Dictionnaire de biographie française, Paris, Letouzey et Ané, fasc. CXVII, 2007, col. 590-592).
3 LABAT-POUSSIN B., Inventaire du Garde-Meuble (Révolution - Empire), Paris, Archives nationales, 2005, p. 230, 386.
4 Henri Beyle, dit Stendhal, né à Grenoble le 23 janvier 1783, décédé à Paris le 23 mars 1842. Écrivain réaliste et romantique dont les romans les plus célèbres sont Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme et, dans une moindre mesure, Lucien Leuwen.
DER KINDEREN J., Inventaris van het archief van Pierre-Louis-Joseph-Servais Van Gobbelschroy (1814-1830), Brussel, Algemeen Rijksarchief, 2009, 23 p. (Algemeen Rijksarchief, inventarissen 441).
RAMAER J.C., « Gobbelschroy (Mr. Pierre Louis Joseph Servais van) », in MOLHUYSEN P.C., KOSSMANN FR. K. H. (réd.), Nieuw nederlandsch biografisch woordenboek, IX, Leiden, 1933, col. 291; 292.
VAN KALKEN F., « Van Gobbelschroy (Mr. Pierre Louis Joseph Servais) », in Biographie nationale, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant, t. 26, 1936-1938, col. 412-416.
WITTE E., Het verloren koninkrijk. Het harde verzet van de Belgische orangisten tegen de revolutie. 1828-1850, De Bezige bij Antwerpen, 2014, 687 p.
Pierre-Joseph-Servais-Louis Van Gobbelschroy
Né à Louvain, le 10 mai 1787 ; décédé à Woluwe-Saint-Lambert, le 3 octobre 1850. Il était le fils de Michel - Joseph, professeur à l’Université de Louvain. Il fit ses premières années d’études sous la direction de son père et défendit sa thèse de licence en droit en 1807 en obtenant la plus grande distinction. Durant les dernières années de l’Empire, il fut successivement auditeur de première classe au Conseil d’État (1810), sous-préfet à Gand (1812) et à Deventer (1813).
En 1814, il choisit de servir le Royaume des Pays-Bas. L’année suivante, il fut nommé secrétaire de la Secrétairerie d’État à Bruxelles et secrétaire du Cabinet du roi. Il gagna bien vite la confiance de Guillaume Ier et servit avec zèle la politique religieuse joséphiste du monarque. Nouvelle promotion en 1825 : il se vit confier le poste de ministre de l’Intérieur. Avec cette nomination, le souverain voulait s’attirer la sympathie des principaux libéraux belges dont Van Gobbelschroy était l’ami. Celui-ci tenta d’ailleurs de rallier ces derniers en adoptant une politique modérée. Quant aux affaires religieuses, il tenta de rapprocher les vues de son monarque avec celles de la cour de Rome. En 1826, il parvint à faire réunir à son département la direction du culte catholique. Quand il fallut négocier avec Rome pour la signature du Concordat du 18 juin 1827, il se distingua par une tactique modérée. On sait que ce Concordat indisposa les libéraux belges. En les ménageant par différentes manœuvres, Van Gobbelschroy se mit à dos les catholiques et dut finement négocier avec le délégué du Saint-Siège à Bruxelles durant l’hiver 1828/1829. Durant la seconde moitié de l’année 1829 et l’année suivante, le roi fit des concessions à l’opposition, notamment en séparant la direction des affaires du culte catholique du ministère de l’Intérieur pour en faire un département spécial confié à un catholique belge. Peu de temps auparavant, Van Gobbelschroy avait quitté l’Intérieur pour le nouveau département des Colonies et de l’industrie. Durant la Révolution belge, il fit preuve d’une loyauté sans faille envers son souverain. Le 13 septembre 1830, il quitta Bruxelles dans l’entourage du prince Guillaume d’Orange. Il fit partie de l’éphémère gouvernement de ce dernier établi à Anvers. Toutefois, lorsqu’il constata que certains députés belges poussaient Guillaume à prendre la tête du mouvement révolutionnaire, il donna sa démission.
Durant les années suivantes, il milita vainement en faveur de la réunification du royaume orangiste, notamment à Paris où il devint une espèce d’ambassadeur de l’ombre et tenta de concilier l’opinion publique française et les vues du roi Guillaume.
Support : une feuille de papier
Hauteur : 250 mm
Largeur : 405 mm
Cote : 19345/822