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Lettre au baron Goswin de Stassart, 29 novembre 1839

                                                                                                                                                                                                                                                                    Seraing près Liège le 29 novembre 1839

 

                                                                                                                                         Monsieur le Baron de Stassart à Bruxelles

 

                                                                                                                                                                       Monsieur


Étant à la veille d’entreprendre un voyage de quelques mois, je regrette Monsieur, qu’avant mon départ je ne puisse m’occuper du placement de Monsieur Lintz, dans mes établissements, comme me le demande la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 22 courant ; si à mon retour il était sans emploi, alors je tâcherai de vous être agréable en lui donnant de l’occupation.
 

                                                                                                                             Agréez Monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.

                                                                                                                                                                     John Cockeril


Les commisaires

Soyez

Victor Bellefroid

[Apostille en haut à gauche, de la main de Soyez ?]

?

Envoyé copie à Monsieur Lintz le 29 novembre

[Adresse]

Monsieur Baron de Stassart Bruxelles

[Cachet postal]

Bruxelles 1 Décembre 1839

Au moment où John Cockerill rédigeait cette missive, on sait que son entreprise était en piteux état et faisait l’objet d’une mise en liquidation. Toutefois, comme nous l’avons vu dans la notice biographique, il disposa d’un sursis d’un an à condition cependant de continuer l’administration de ses affaires avec une commission composée de Max Lesoinne, J. Nagelmackers, L. Elias, F. Pirlot, F. Vanhulst, Victor Bellefroid et Désiré Soyez. Il n’était donc plus tout à fait libre de ses décisions comme l’indiquent les signatures de Bellefroid et Soyez reprises sur la lettre nous intéressant ici. Si le génie industriel de John Cockerill était en effet reconnu de tous, on se méfiait toutefois de la manière dont il administrait ses affaires, comme l’indique d’ailleurs un rapport du 21 août 1839 signé par le banquier Constantini et Arnould (directeur du ministère des finances), délégués du ministre des finances : « Il est reconnu que M. Cockerill, quoiqu’excellent sous le rapport de l’art, quoiqu’exerçant une grande influence dans la direction et le choix de ses ouvriers, administre mal ses affaires ; son ambition, son génie entreprenant, le portaient à étendre sans assez de discernement ses établissements à l’étranger, il s’intéressait partout sans s’enquérir des résultats, pourvu qu’il fît son apport de fonds en machines ; cependant ces machines représentaient des approvisionnements, de la main d’œuvre, des fonds engagés, des intérêts par avance, payés aux banquiers : c’étaient ensuite des constructions sans cesse nouvelles, des agrandissements souvent peu justifiés ; cet état des choses absorbait ses bénéfices, ses moyens d’actions, les ressources de son crédit et en définitive la dernière commotion financière qui a tari les ressources l’a renversé ». Par conséquent : « Il importe désormais que M. Cockerill soit exclusivement réduit à la direction des travaux, qu’il n’exécute que les décisions du conseil d’administration, que la signature ne lui soit déléguée que conjointement avec un autre administrateur. »1.

Nous avons mentionné dans la notice biographique le voyage de John Cockerill en Russie pour tenter de redresser la situation délicate de son entreprise. C’est évidemment cette expédition qui est mentionnée dans la lettre adressée au baron de Stassart. Quant à Louis Lintz, il était le petit-fils d’un ami de Goswin de Stassart et ce même ami était le fils d’un bourgmestre de Trêves qui avait accueilli Goswin et sa famille en 1789. Le père de Stassart, fidèle serviteur de la maison d’Autriche, avait en effet dû fuir les Pays-Bas autrichiens suite à la révolution brabançonne. Louis Lintz avait suivi des études « d’une manière très fructueuse » à l’Institut des Arts et des manufactures de Berlin puis à l’École centrale des Arts et Manufactures de Paris2. Il avait déjà visité les usines de Seraing grâce à Goswin et sollicita son appui le 20 novembre 1839 pour y travailler bénévolement3. Goswin écrivit à John Cockerill deux jours plus tard comme mentionné dans la lettre de ce dernier. Frappé par la mort à son retour de Russie, ce dernier ne put bien entendu s’occuper de Louis Lintz4. En juillet 1840, le baron de Stassart demanda donc à Charles Rogier -oncle selon lui d’un des commissaires mentionnés plus haut- quelques mots de recommandation pour Louis Lintz. La démarche s’avéra fructueuse et Lintz ne manqua pas de remercier vivement Stassart5.



1 HALLEUX R., Cockerill: deux siècles de technologie, Alleur-Liège, Éditions du Perron, 2002, p. 40, 41.

2 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 17 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050). Minute d’une lettre de Goswin de Stassart à Charles Rogier, 7 juillet 1840 (Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 19345-1180).

3 Lettre de Louis Lintz à Goswin de Stassart, Liège, 20 novembre 1839.

4 Minute d’une lettre de Goswin de Stassart à Charles Rogier, 7 juillet 1840 (Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 19345-1180).

5 Lettre de Louis Lintz à Stassart, 24 juillet 1840 (Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 19345-1180).

Atlas du portefeuille de John Cockerill ou description de machines d'épuisement, d'extraction, de fabriques, d'outillage, machines de bateaux à vapeur, locomotives et matériel de chemins de fer, roues hydrauliques, etc., etc., appareils de papeteries, de sucreries, moulins à farine, ventilateurs, etc., etc., construits dans les établissements de Seraing depuis leur fondation jusqu'à ce jour, publié avec l'autorisation de la Société Cockerill, Paris-Liège, 2 vol., 1866-1876, 185+98 planches hors texte.

110me anniversaire de la fondation des usines Cockerill 1817-1827
, Seraing, Établissements Cockerill, 1927, 165 p.

CHIFF E., « Une activité méconnue de John Cockerill : John Cockerill co-exploitant du siège-Sacré-français à Dampremy-Lodelinsart », in Documents et Rapports de la Société paléontologique et archéologique de l'arrondissement judiciaire de Charleroi, t. LX, 1986-1988, p. 145-155.

"Cockerill (John)", in HASQUIN H. (dir.), Dictionnaire d'Histoire de Belgique : Les hommes, les institutions, les faits, le Congo belge et le Ruanda-Urundi, Namur, Didier Hatier, 2000, 2e édition p. 123.

DENUIT D., John Cockeril, Bruxelles, Les Éditions de Belgique, 1934, 121 p. (coll. Les grandes Figures de Belgique).

FREMDLING R., « John Cockerill : Pionierunternehemer der belgisch-niederländischen Industrialisiering », in Zeitschrift für Unternehmensgeschichte, 26, 3, 1981, p. 179-193.

HALLEUX R., Cockerill: deux siècles de technologie, Alleur-Liège, Éditions du Perron, 2002, 223 p. (préface deAlain Bouchard).

HARTHAUG R., John Cockeril, Bruxelles, Imprimerie A.-N. Lebègue et Compagnie, 36 p. (Collection nationale, n° 17).

HUSTIN R., Les Cockerill et la cité de l’acier, Bruxelles, Office de publicité, 1944, 77 p.

JACQUEMIN P., John Cockerill (1790-1840). Sa vie industrielle, Liège, 1878, Typ. A. Bénard.

MAHAIM E., « Les débuts de l'établissement John Cockerill à Seraing. Contribution à l'histoire des origines de la grande industrie au Pays de Liège », in Revue universelle des mines, 4e s., XIII, 1906, p. 171-192.

MORREN ED. « Cockerill John », in Biographie nationale, IV, 1873, col. 230-239.

John Cockerill

Né à Haslingden le 30 avril 1790, décédé à Varsovie le 19 juin 1840. John Cockerill naquit dans le Lancashire et était le plus jeune des trois fils de William Cockerill1. Il resta en Angleterre jusqu’à l’âge de douze ans, au contraire de ses frères qui suivirent leur père dans ses pérégrinations sur le continent. Sa garde avait été confiée à un parent qui se décida difficilement à l’envoyer à l’école et ne le ménagea d’aucune manière : il fut employé aux travaux les plus rudes et subit de mauvais traitements.

En 1802, il rejoignit son père à Verviers. Il y fut initié aux arts mécaniques et, dès 1807, dirigea avec son frère James les ateliers que son père avait fondés à Liège pour la construction de machines à filer et à carder. En 1813, les deux frères épousent les deux sœurs Pastor d’Aix-la-Chapelle. Leur père prit sa retraite peu de temps après : James et John se retrouvèrent alors à la tête de l’entreprise Cockerill. La production de celle-ci prit un tournant décisif avec la construction de leur première machine à vapeur (système Watt et Evans) en 1815. À la même époque, John rencontra le monarque Guillaume Ier et, peu de temps après, de concert avec son frère, il demanda aux autorités de se porter acquéreur de l’ancienne résidence d’été des princes évêques de Liège à Seraing, les ateliers liégeois devenant trop exigus. L’opération eut lieu en janvier 1817 pour la somme de 45.000 francs. John en fit sa résidence et y installa le siège administratif de ses diverses entreprises et ses ateliers. En 1823, la construction d’un haut-fourneau au coke fut entamée : il ne fut mis à feu qu’en 1826 et son fonctionnement ne fut réellement satisfaisant qu’en 1830. En 1823 également, John racheta la part de son frère dans l’entreprise et en devint dès lors son seul propriétaire. Il chercha ensuite à contrôler l’approvisionnement en houille et acheta à cet effet la concession du charbonnage Henri Guillaume en 1826. Il était alors lié aux principales maisons des Pays-Bas et bénéficiait de prêts du gouvernement. L’État prit également des parts dans l’entreprise. La révolution de 1830 lui fut donc funeste et amena une chute de ses activités. Le gouvernement du jeune État belge devint propriétaire des parts du gouvernement des Pays-Bas. John Cockerill racheta les parts de l’État pour 3 479 680 francs payables en vingt termes, une opération aux lourdes conséquences. Les chemins de fer le sauvèrent : il fournit à l’État belge la première locomotive et les premiers rails pour les lignes reliant Bruxelles à Malines et Ans à Anvers. À cela, il faut ajouter les commandes de nombreux états germaniques soucieux de s’équiper en chemins de fer. À l’époque, l’entreprise Cockerill faisait la fierté de la région liégeoise et l’on ne manquait pas de la faire visiter aux politiques, aux écrivains et aux journalistes. Aux machines mentionnées plus haut, il faut ajouter à la production de l’usine de Seraing les machines à vapeurs applicables aux fabriques et aux usines, des roues et des presses hydrauliques, des machines pour la fabrication du sucre, d’autres pour les fabriques de fer, etc. En outre, la fabrique de Liège produisait toujours des machines textiles. Selon un contemporain (le comte de Becdelièvre), Cockerill possédait également un atelier pour chaudières à Sclessin, une fonderie pour le moulage à Tilleur, des filatures de laine peignée à Verviers et Aix-la-Chapelle, une papeterie et une fabrique de draps à Andenne, des filatures à Berlin et à Barcelone, un comptoir de vente à Amsterdam, etc. En outre, John Cockerill était commissaire de la Banque de l’industrie et de la fabrique de fer d’Ougrée, administrateur de la Société des Charbonnages de Sclessin et de la Société des Charbonnages et Hauts-Fourneaux de l’Espérance, président du Conseil de la Société des Charbonnages et Hauts-Fourneaux d’Ougrée.

La réussite n’était cependant pas toujours à l’ordre du jour. Ainsi le réseau du chemin de fer français lui échappa. Surtout, il fut durement touché par la crise des banques de 1837-1838 : le carnet de commandes se vida et les liquidités vinrent à manquer. Un problème arrivant rarement seul, un accident de voiture à Battice en septembre 1838 le tint immobilisé plusieurs semaines. Les affaires ne reprenant pas, John Cockerill dut se résoudre à la mise en liquidation en février 1839. Ses créanciers lui accordèrent malgré tout un sursis. Ce dernier fut fixée à un an par un arrêté du 30 avril à condition toutefois de continuer l’administration de l’entreprise avec une commission (cf. analyse). Les commissaires au sursis veillèrent à maintenir l’entreprise en activité pendant que John Cockerill tentait de faire redémarrer ses affaires en Russie et s’y rendit en novembre 1839. Ce qui se passa ensuite sur les terres du Tsar est encore aujourd’hui entouré de mystères, de même que les raisons de l’échec de ce voyage. C’est au retour de celui-ci qu’il tomba malade et s’éteignit à Varsovie.


1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré principalement de la notice de Ed. Morren et de l’ouvrage de Robert Halleux (cf. orientation bibliographique).

Support : une feuille de papier, cinq plis

Hauteur : 278 mm
Largeur : 433 mm

Cote  : 19345/443