Lettre au baron Goswin de Stassart, 4 juin 1813
Police générale Paris, le 4 juin 1813.
2éme division
J’apprécie, Monsieur, les difficultés que vous avez rencontrées dans l’exécution du 5 avril dernier. L’état que vous m’avez adressé, le 5 mai suivant, présente clairement la situation de votre travail aujourd’hui qu’il doit être terminé, je vous prie de m’en faire connaître les résultats, en suivant le même mode d’indication de la classe, de la fortune et des qualités personnelles des individus de votre département destinés à entrer dans le 2ème régiment des gardes d’honneur.
Rien n’a dû mieux vous convaincre que l’opération actuelle, Monsieur, de la nécessité de compléter une bonne statistique générale, surtout en ce qui concerne les jeunes gens appartenant aux familles les plus marquantes.
Agréez, Je vous prie, Monsieur, les assurances de ma considération la plus distinguée.
Le duc de Rovigo
Monsieur le préfet des Bouches de la Meuse
[Note de Stassart]
?
En garder copie et me remettre l’original
[Adresse]
Monsieur le préfet des Bouches de la Meuse, à La Haye
La question de la constitution de quatre régiments de la Garde d’honneur est bien connue des historiens1. Ilexistait déjà des gardes d’honneur citadines. Réminiscences de l’Ancien Régime, leurs rangs étaient composés des jeunes gens des meilleures familles. Formées spontanément selon toute vraisemblance, elles accueillaient le chef de l’État, mais aussi les évêques et les préfets. Toujours soucieux du renouvellement de ses troupes, L’empereur vint vite à penser que ces gardes pacifiques pouvaient très bien rejoindre les champs de bataille. Il fit un premier essai en 1805 en lançant un appel à des gardes volontaires mais la victoire d’Austerlitz mit le projet en veille. Un an plus tard toutefois, il forma cinq compagnies de gendarmes d’ordonnance équipées à leurs frais. Devant l’hostilité de la Garde impériale toutefois, elles furent rapidement dissoutes. Les terribles pertes dans la cavalerie durant les campagnes calamiteuses d’Espagne et de Russie remirent le projet à l’ordre du jour. Avec le décret du 5 avril 18132 évoqué ci-dessus, Napoléon demandait aux fils de notables de s’enrôler dans les nouvelles Gardes d’honneur. Jusque-là, le mécanisme de remplacement évitait le champ de bataille à cette jeunesse dorée. Comme on peut l’imaginer aisément, les classes aisées n’entendaient pas livrer leur progéniture aussi facilement. Elles s’employèrent donc à contourner la volonté impériale en comptant sur la bonne volonté du préfet. Il s’agissait en effet de désigner à ce dernier des jeunes gens peu fortunés dont l’équipement était financé par un fonds commun financé en grande partie par les familles des jeunes gens qui auraient dû partir.
En tant que préfet du département des Bouches de Meuse (celui-là même comprenant La Haye), le baron de Stassart dut composer avec l’hostilité du patriciat pour la levée des gardes d’honneur. Si ses collègues des départements de Zuiderzee et de la Frise désignèrent d’office les futures gardes, Stassart fit savoir dans un premier temps qu’il approuverait une liste de volontaires proposée. Cette attitude conciliante fut dénoncée à Savary et Stassart fut forcé d’imiter les préfets des deux départements susdits. Les résistances furent nombreuses et augmentèrent d’autant la haine de la population contre le préfet. Stassart réussit malgré tout à lever le contingent nécessaire et combla ainsi les attentes de l’Empereur qui lui accorda une gratification de 12.100 francs. Certains dans l’entourage de Savary lui firent savoir que le préfet n’arriva à enrôler que ceux qui n’eurent pas l’opiniâtreté de résister jusqu’au bout, ce qui n’est sans doute pas invraisemblable3.
Nous doutons que Stassart ait envoyé le rapport demandé par Savary. Outre l’absence d’une habituelle mention « répondu », nous n’avons pas trouvé trace dans nos archives. Son existence n’en est pas pour autant improbable.
1 BUCQUOY E.L., Les Gardes d’honneur du Premier Empire, Nancy, A. Crépin-Leblond, 1908 XXIV-487 p. DEPREAUX A.L., les Gardes d’honneur d’Alsace et de Lorraine, Paris, J. Leroy, 1913, IV-175 p.. COUVREUR H., Histoire des Gardes d’honneur belges, d’après des documents inédits (1813-1814), Bruxelles, L’avenir, 1941, 146 p. (Publications de la Fourragère. Prix Cavens 1938).CARROT G., « Gardes d’honneur », in TULARD J. (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, vol. 2 p. 848-849. Notre texte s’inspire principalement de ces ouvrages.
2 DUVERGER J.B., Collection complète des lois, Décrets, Ordonnances, réglemens (…) , Paris, Guyot et Scribe, 1836, tome XVIII, p. 285-287
3 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 165-170 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
GOTTERI N. (éd.), La police secrète du premier empire : bulletins quotidiens adressés par Savary à l’Empereur, Paris, Honoré Champion, 1997-2004, 7 tomes.
LE CLERE M., « Savary (Jean-Marie, René) », in TULARD J. (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, vol. 2 p. 731-734.
LENTZ T., Savary, le séide de Napoléon, Paris, Fayard 2001, 556 p.
MELCHIOR-BONNET B., Un policier dans l’ombre de Napoléon : Savary, duc de Rovigo, Paris, Perrin, 1962, 352 p.
Les mémoires du duc de Rovigo (8 volumes), Éditions d'Héligoland, 2010, 7 volumes (réédition)
Jean-Marie, René Savary, duc de Rovigo
Il naquit à Marcq, dans l’actuel département des Ardennes et était le troisième fils du capitaine-major du château de Sedan. À l’âge de onze ans, il rejoignit les rangs du collège Saint-Louis à Metz. Il semble avoir été un élève moyen
Le 1e octobre 1790, il s’engagea volontairement comme cavalier au sein du régiment Royal Normandie. Il y mena sa première opération de police en réprimant une émeute dans les rues de Nancy. Contrairement à beaucoup de ses camarades qui choisirent la voie de l’émigration, il ne trahit pas la Révolution. Cette fidélité et une belle témérité sur les champs de batailles lui valurent une belle ascension : aide-de-camps, capitaine, chef d’escadrons, etc. Il rejoignit l’Armée d’Egypte où il fut l’aide de camps du général Desaix. Il fit bonne impression sur celui-ci, et, par ricochet, sur Bonaparte et cela d’autant plus qu’il faisait preuve d’une obéissance sans faille. Pour lui marquer sa confiance, le futur Empereur lui accorda le poste de colonel commandant de la légion de gendarmerie d’élite. Il donna toute la mesure de son talent dans les affaires de police : le Premier Consul lui confia d’ailleurs des enquêtes délicates comme lors de la première disgrâce de Fouché ou encore en Vendée. Ses états de service ne l’empêchèrent pas cependant de participer à la parodie du procès du duc d’Enghien et de s’assurer de l’exécution de ce dernier dans un fossé du château de Vincennes. Quoique fâché de la hâte de son serviteur, Napoléon ne le sanctionna pas et le nomma même général de division le 1er février 1805. Lors de la campagne de 1806, il revint à des actes purement militaires et fut placé à la tête d’un régiment de hussards. On le vit charger à la tête des fusiliers de la Garde et obtint la capitulation de plusieurs villes. L’Empereur l’utilisa ensuite comme diplomate auprès de la Cour de Saint-Pétersbourg où il fut très mal reçu. Napoléon ne lui en tint pas rigueur et le nomma duc de Rivago en février 1808 puis l’envoya auprès du roi d’Espagne. Il réussit fort habilement à aligner celui-ci sur les vues de l’Empereur. Les opérations militaires espagnoles (en remplacement de Murat) furent par contre moins heureuses, surtout lors de la capitulation des régiments du général Dupont (22 juillet 1808).
Le 3 juin 1810, il succéda à Fouché à la tête de la police. Cela fit l’effet d’une bombe dans l’opinion. Sa réputation de brutalité et son rôle dans l’exécution du duc d’Enghien l’avaient précédé…. Il se révéla un ministre redoutable, en instaurant un renseignement très efficace et n’hésitant jamais à réprimer les opposants. La conspiration du général Malet (1812) échappa toutefois à sa vigilance, ce qui lui valut d’être enfermé quelques heures le 23 octobre, avant d’être libéré suite à l’arrestation de Malet. Cet épisode malencontreux ne porta pas ombrage à sa carrière, que du contraire. Rentré en décembre, Napoléon le nomma au Conseil de régence. Après l’abdication de l’empereur, il se réfugia dans son château de Nainville. Il fit tout pour le retour de son maître. Durant les Cents-Jours toutefois, il ne retrouva pas son poste de ministre de la police : il dut se contenter de devenir inspecteur général de la gendarmerie et pair de France. Bien forcé de suivre son maître après Waterloo, il tenta de fuir le bateau de ce dernier mais fut rattrapé par les Anglais. Il fut enfermé à Malte de septembre 1815 à avril 1816. Il réussit à s’évader, tenta de faire du commerce à Smyrne mais échoua dans cette nouvelle vie. Il vécut également en Autriche, à Londres et finit démuni à Hambourg (1819). Il voulut revenir en France mais avait été condamné à mort par contumace le 25 décembre 1816. Trois ans plus tard jour pour jour, il fut acquitté par le Conseil de Guerre de Paris. Il proposa ses services au souverain à deux reprises mais l’exécution du duc d’Enghien hantait toujours les esprits : ce fut une fin de non-recevoir. Il lui fut même signifié de ne plus approcher des tuileries, ce qui provoqua son courroux. Mû par la vengeance, il publia une partie de ses mémoires en 1828 mais prit soin de se retirer à Rome pour ne pas subir l’ire du roi. Après la révolution de 1830, le nouveau souverain se montra plus ouvert aux compétences de Savary et lui confia le commandement en chef du corps d’occupation en Afrique. Il s’y laissa mener par ses vieux démons (surveillance de Malt, massacre d’une tribu, etc.) mais le climat eut des effets délétères sur sa santé qui le forcèrent à rentrer en France en mars 1833. Le 2 juin, il rendit son dernier soupir à Paris.
Support : une feuille de papier
Hauteur : 305 mm
Largeur : 398 mm
Cote : 19345/1666