Lettre au baron Goswin de Stassart, 7 octobre 1836

Régence [passage illisible] Bruxelles, le 7 octobre 1836
de la
Ville de Bruxelles.
Bureau.
Rép. N°
Objet :

                                                                                                                                               Le Bourgmestre,
                                                                                                            A Monsieur le Baron de Stassart Gouverneur du Brabant

                                                                                                                                         Monsieur le Gouverneur,


Kats (le prédicateur) et Michaels doivent obtenir leur mise en liberté sous caution, ce soir. Monsieur l’administrateur de la Sureté me mande qu’il est informé qu’on doit leur donner une sérénade ce soir. Monsieur l’administrateur de la Sureté ajoute que d’après rapport à lui parvenu, Kats aurait convoqué les membres de son meeting pour aller le recevoir à sa sortie de prison &c &c.
J’ai pris, Monsieur le Gouverneur , les mesures de précautions nécessaires et requis qu’une force suffisante, infanterie et cavalerie, soit tenue consignée dans les casernes à la disposition de Messieurs les commissaires de police. Je ferai surveiller pendant la soirée et la nuit les lieux où des rassemblements sont à craindre. J’ai cependant lieu d’espérer que les mesures prises demeureront, au moins en partie sans emploi. Veuillez bien toutefois, Monsieur le Gouverneur, recevoir mes excuses et mes regrets de ne pouvoir profiter ce soir de l’invitation dont vous avez bien voulu m’honorer et agréer les assurances nouvelles de ma respectueuse considération comme de mon entier dévouement.

Rouppe


[ ? ]

Les précautions prises ici par le bourgmestre Rouppe peuvent paraître excessives (infanterie et cavalerie mobilisées), d’autant plus qu’il semble penser qu’il n’y aura pas de débordements, du moins en partie… Il n’est pas impossible que Rouppe avait toujours à l’esprit l’émeute de 1834 anti orangistes durant laquelle il fut quelque peu dépassé par les évènements (cf. notice biographique). Il est certain toutefois qu’il prenait au sérieux le « prédicateur » Kats et son complice Michaels1. Il avait raison : le premier était très connu pour son activité politique inspirée du babouvisme, ce mouvement se réclamant des théories de François Noël, dit Gracchus Babeuf, révolutionnaire français de tendance communiste2. Jacob Kats publiait depuis juin 1836 une feuille ouvrière intitulée : Den Waren Volksvriend et, surtout, organisait Les meetings flamands (évoqués ci-dessus par Rouppe) destinés à initier des ouvriers illettrés et non électeurs à la conduite des affaires publiques3… On comprend que les activités de Jacob Kats aient inquiété les autorités d’un royaume alors sous le régime du suffrage censitaire, et cela encore pour quelques décennies. L’influence de Kats inquiéta même jusqu’au roi qui, à deux reprises, ordonna à ses ministres de le soudoyer ou de l’arrêter. Du reste, Kats fut roué de coups, arrêté et condamné à plusieurs reprises4.
Ces alarmes semblent avoir été vaines : nous n’avons trouvé trace de violences pour ce jour d’octobre 1836 dans la littérature5, ni dans la correspondance échangée entre le bourgmestre et le baron de Stassart et conservée en nos murs. Comme le second détestait Kats6, des troubles auraient certainement été évoqués dans ces échanges essentiellement basés sur le maintien de l’ordre dans la ville et la surveillance de certains individus, notamment Kats7.

1 Nous n’avons pas réussi à identifier le dénommé Michaels. Seul un ouvrage écrit par André Boland mentionne ce personnage sans nous donner une quelconque indication biographique (Le procès de la révolution belge : Adolphe Bartels, 1802-1862, Namur, Presses universitaires de Namur, 1977, p. 213.
2 Révolutionnaire français, né à Saint-Quentin le 23 novembre 1760, décédé à Vendôme le 27 mai 1797. Il publia en 1789 un Cadastre perpétuel prônant l’égalité fiscale, des secours publics pour les pauvres, l’éducation pour tous, etc. Il se tourna ensuite vers le journalisme et fut nommé administrateur du département de la somme en septembre 1792. Après la chute de Robespierre, il mena d’abord une campagne contre les Robespierristes avant de s’éloigner des Thermidoriens, surtout après avoir été incarcéré sept mois à Arras pour un article contre Tallien. En novembre 1795, il publia le Manifeste des plébéiens où il prônait la propriété collective des terres. Le 30 mars 1796, un Directoire secret de salut public fut créé et avait pour but de mener une conjuration contre le pouvoir. Outre Babeuf, on y trouvait Antonelle, Maréchal, Buonarroti, etc. Ce mouvement fut bien vite infiltré par la police qui arrêta Babeuf. Le Directoire voulait se débarrasser au plus vite de cet agitateur. Un procès à la Haute Cour de Vendôme eut lieu du 27 février au 26 mai 1797. Babeuf fut condamné à mort et guillotiné le lendemain de la fin du procès. (WARTELLE F. « Babeuf François-Noël, dit Camille, puis Gracchus », in SOBOUL A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 2005, 1989, p. 63-66 (rééd. Quadrige, 2005) ; TULARD J., FAYARD J.-F., FIERRO A., Histoire et dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Paris, Robert Laffont, 2002, p. 553-554).
3 KUYPERS J., « Kats (Jacob) », in Biographie nationale, Bruxelles, Émile Bruylant, t. 31, 1962, col. 499. Sur Jacok Kats, voyez du même auteur : Jacob Kats, agitator, Brussel, De Wilde Roos ; S. W. Druk. Lucifer, 1930, 248 p.
4 Ibidem, col. 501.
5 Le journal L’indépendance belge indique toutefois dans son édition du lendemain que Kats et Michaels furent libérés pour la somme de 800 francs. Nul doute que des troubles autour de cette libération auraient été évoqués.
6 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 352 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
7 Ibidem, p. 349.

DEMARBAIX E., « Européen avant la lettre et Bruxellois d'adoption : Nicolas Rouppe entre 1768 et 1830 », in Cercle d'histoire de Bruxelles et Extensions, n°70, déc.2000, p.3-8.

BROERS F., « Les bourgmestres francs-maçons de Bruxelles », in Cercle d'histoire de Bruxelles et Extensions, déc. 2001, n°4, p.15-19

DU BOIS A., Les bourgmestres de Bruxelles. 1830-1897, Bruxelles, Weissenbruch P., 1897,156 p.

FRANCOIS L., « Nicolaas Rouppe (Rotterdam 1768 - Brussel 1838) , " l'homme de toutes les classes et de toutes les nuances d'opinion " », in Tijdschrift voor Brusselse geschiedenis, 1987, nr.1-2, p. 45-110.

FRANCOIS L., « Rouppe, Nicolas, politicus », in Nationaal biografisch woordenboek, Brussel, Paleis der Academien, t. 6, 1974, col. 831-836.

FRIS V., « ROUPPE (Nicolas-Jean) », in Biographie nationale, Bruxelles, Émile Bruylant, t. 20, 1908-1910, col. 229-236.

LAPORTE J., « Joannes Nicolaas Rouppe », in Vlaamse Stam, 36, mars-avril 2000, nr. 3-4, p. 100-107.

VANHAMME M. « Nicolas-Jean Rouppe, bourgmestre de Bruxelles de 1830 à 1838 », in Brabant. Bulletin d'information de la fédération touristique de la province de Brabant, 1981, n° 4, p. 2-11.

WITTE E., Politieke machtsstrijd in en om de voornaamste Belgische steden 1830-1848, Brussel, 1973, 2 boekdeel, 491-133 p. (Coll. Histoire, série in-8° / Historische Uitgaven, reeks in-8°, nr. 37).


 

Nicolas-Jean Rouppe

Nicolas-Jean était le fils du médecin Louis Rouppe et d’Angelina Kochs1. Il était le deuxième fils d’une famille de 12 enfants. On connait peu de choses de ses premières années. On sait toutefois qu’il fut licencié de la Faculté des Arts de Douai le 27 juin 1789. Il rejoignit ensuite l’Université de Louvain et y mena des études pour devenir prêtre. Toutefois, les idées du temps commencèrent à l’influencer. Il quitta d’ailleurs le séminaire en 1794 et, attiré par les évènements révolutionnaires, rejoignit Paris pour y mener des études au sein de l’École normale supérieure. Il revint ensuite à Louvain et fut nommé greffier adjoint de la Municipalité du canton de Louvain. Peu de temps après, il devint Commissaire du Directoire exécutif pour la même administration et, plus tard, exerça la même fonction pour l’Administration municipale du Canton de Bruxelles.
La place de Commissaire fut ensuite supprimée et Rouppe resta un temps sans fonction pour être ensuite désigné conseiller de Préfecture de la Dyle. Très vite toutefois, il devint maire de Bruxelles jusqu’en 1802. Très populaire, il eut toutefois le tort de prendre la défense de notables bruxellois emprisonnés suite à des accusations de contrebande. Cette démarche ne plut pas à Paris et il fut démis de son poste par le ministre Chaptal le 23 janvier 1802. Convoqué à Paris, il fut même arrêté et détenu au Temple avant d’être rapidement relâché. Toujours populaire, il fut élu juge de paix à son retour. Fouché s’opposa à son installation, l’exila à 30 kilomètres de Bruxelles et le mit sous surveillance policière. Il put malgré tout assister à la réception de Napoléon à Bruxelles le 21 juillet 1803. Durant les années suivantes, Rouppe n’exerça que des fonctions secondaires, à l’exception peut-être de son poste d’inspecteur général de la prison de Vilvorde. Il eut à cœur en effet d’en faire un modèle d’établissement pénitentiaire tant d’un point de vue disciplinaire que de celui de l’hygiène. Il conçut d’ailleurs un livre intitulé Tableau statistique de la maison de détention et de refuge de Vilvorde qu’il remit en mains propres au roi Louis-Napoléon de Hollande.
À la chute de l’empire, Rouppe fut destitué : il ne remplit d’ailleurs pas de charges publiques sous la période hollandaise. Il exerça un temps le métier d’avocat mais se distingua surtout par son soutien à l’opposition en se liant avec Louis de Potter et les chefs du parti libéral. On s’étonnera peu dès lors qu’il joua un rôle lors de la Révolution belge. Lors de celle-ci, il négocia avec les autorités hollandaises. Il fit d’ailleurs partie d’une commission consultative créée par le prince d’Orange en septembre 1830. Par la suite, Rouppe fut accusé de tiédeur mais cela ne l’empêcha pas d’être nommé bourgmestre de Bruxelles le 22 octobre 1830 par 497 voix contre 468. Le 4 novembre, il fut également nommé membre suppléant du Congrès national mais, comme le comte Cornet de Grez refusa son poste, il devint membre effectif et se distingua par son activité. Plus tard, il fut élu député de Bruxelles au second tour des premières élections législatives (12 septembre 1831) et fit partie de l’opposition libérale.
En tant que bourgmestre de Bruxelles, il assura l’ordre en ces temps troublés. Ce fut lui qui complimenta Léopold Ier quand ce dernier fit son entrée à Bruxelles le 21 juillet 1831. Lorsque les troupes hollandaises tentèrent d’envahir nos régions en août 1831, il sut maintenir l’ordre dans la capitale et motiver l’opinion publique par un discours vibrant. La même année, il dut faire face à une épidémie de choléra dans Bruxelles. Il put juguler le mal aux prix de mesures radicales. En 1834, il dut également réprimer une émeute contre certains orangistes. Lui-même fut pris à parti par la foule et ne put empêcher la destruction presque complète des hôtels du duc d’Ursel et du baron de Bethune. Plus positif fut la création de l’Université libre de Bruxelles dont Rouppe s’occupa activement. Il prononça d’ailleurs un discours lors de la séance d’installation de cette institution le 20 novembre 1834.
Il se retira de la Chambre en 1836 pour se consacrer entièrement à Bruxelles jusqu’à la fin de ses jours. Après sa mort, pour perpétuer sa mémoire, il fut décidé d’attribuer son nom à une place de Bruxelles bien connue de nos jours pour y accueillir les festivités du 1er mai.

1 Pour cette notice, nous nous sommes inspiré principalement des travaux de L. François, V. Fris et Jos Laporte (cf. orientation bibliographique).

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