Lettre au cardinal de Fleury, 18 juillet 1730
Je ne puis m’empêcher mon cher Cardinal de vous écrire aujourd’hui pour vous dire que l’on n’a jamais rien vu de si beau de si agréable et en même temps si magnifique que la fête de Mademoiselle de Clermont. Je ne m’en suis couché qu’à 4 heures mais je ne m’en ressens pas Dieu merci et ma santé est très bonne.
Je vous prie de faire mille compliments au Roi et de lui dire que malgré toutes les fêtes, je m’ennuie beaucoup de n’être point avec lui.
Je suis, mon cher résident, de cœur et d’âme à vous.
Marie
Ce 18
[Apostille d’une écriture différente de la reine]
La reine 18e juillet 1730
De cette fête organisée par Mademoiselle de Clermont (qui n’est autre que la surintendante de la maison de la reine), nous ne savons pas grand-chose. Cette soirée visiblement interminable n’est pas anodine. La reine était en effet enceinte du futur duc d’Anjou (Philippe) qui verra le jour peu de temps après, le 30 août pour être tout à fait précis. Il n’était sans doute pas opportun de se livrer à des activités aussi fatigantes en fin de grossesse. Marie était certainement consciente de son imprudence et elle n’ignorait pas que le cardinal de Fleury, son grand aumônier et par ailleurs principal ministre très influent de Louis XV1, connaîtrait un jour ou l’autre cet épisode, si ce n’était pas déjà le cas. Cela ne pouvait être indifférent à ce dernier vu l’importance d’une descendance abondante pour assurer la pérennité de la couronne de France. La reine voulait clairement rassurer le ministre (« ma santé est très bonne »).
Du reste, il ne faut pas interpréter au premier degré le ton mielleux de cette missive. On sait en effet que Marie Leszczynska et le cardinal se détestaient cordialement. Quand le duc de Bourbon et le cardinal de Fleury se disputèrent le pouvoir durant l’hiver 1725-1726, Marie prit parti pour le premier et tenta d’influencer son mari à ce sujet. Le rusé ecclésiastique réussit à évincer le duc et conçut une grande acrimonie envers la reine que rien ne parvint à dissiper par la suite. On conseilla alors à Marie d’amadouer Fleury autant que possible en lui demandant sans cesse conseil. S’ensuivit alors une correspondance portant souvent sur des affaires anodines et comprenant des flatteries sans nombre envers le vieil homme. Le but était évidemment de retrouver la confiance du roi tant on sait que le cardinal pouvait se flatter d’avoir quelque crédit auprès du souverain2.
1 MURATORI-PHILIP A., Marie Leszczynska : épouse de Louis XV, Paris, Pygmalion, 2010, p. 59, 74 (coll. Histoire des reines de France).
2 Ibidem, p. 84-85.
ANTOINE M., Louis XV, Paris, Fayard, 1989, 1089 p.
BERTIÈRE S., Les reines de France au temps des bourbons [3] La reine et la favorite, Paris, de Fallois, 2000, 559 p.
LEVRON J., Marie Leszczynska : "Madame Louis XV", Paris, Perrin, 2006, 259 p.
MURATORI-PHILIP A., Marie Leszczynska : épouse de Louis XV, Paris, Pygmalion, 2010, 310 p. (coll. Histoire des reines de France).
Son émission disponible sur Canalacademie : http://www.canalacademie.com/ida5672-Marie-Leszczynska-epouse-de-Louis-XV-la-reine-digne-et-fervente.html
Marie Leszczynska
Née à Trzebnica le 23 juin 1703 ; décédée à Versailles le 24 juin 1768. Marie Leszcynska était la fille de Catherine Opalinska et de Stanislas Leszcynska, tous deux héritiers de familles comptant parmi les plus riches et les plus influentes de Pologne1. Stanislas deviendra même roi de ce pays de septembre 1704 à juillet 1709. La défaite suédoise de Charles XII contre les armées russes à Poltava contraignit toutefois le père de Marie à abdiquer. Après bien des péripéties qu’il serait trop long de détailler ici mais qui bouleversa la vie de la petite Marie, Stanislas prit les rênes du petit duché de Deux-Ponts, situé entre la Lorraine, la Sarre et l’Alsace. Marie s’y installa en octobre 1714 et reprit ses études sous la direction Karl Friedrich Luther, lointain descendant du célèbre réformateur. Au contact des musiciens jouant des opéras pour son père, Marie prit également goût à la musique. La mort de Charles II, seul protecteur de Stanislas, jeta ce dernier et sa famille sur les chemins de l’exil. Ils trouvèrent refuge à Wissembourg, bourgade du nord de l’Alsace. Marie appréciait son nouvel habitat et se promenait de longues heures avec son père dans les campagnes alsaciennes. Elle lisait beaucoup (Corneille, Racine, Molière, etc.) et avait alors des connaissances étendues en histoire, en théologie et en sciences. Elle parlait également six langues avec aisance : le polonais, le français, l’italien, l’allemand, le suédois et le latin.
Ne pas marier la jeune femme était évidemment impensable à l’époque. On songea à plusieurs prétendants dont le marquis Courtanvaux ou encore le fils du margrave de Bade. Le projet le plus sérieux fut cependant une union avec le duc de Bourbon, jeune veuf sans enfant. Cependant, le duc de Bourbon devint entre-temps premier ministre et la raison d’État l’emporta sur ce projet de mariage. Il fallait en effet unir au plus vite le jeune Louis XV et Marie qui, jeune fille tranquille, sans influence ni danger pour le royaume, convenait parfaitement, même si elle était plus âgée que le jeune monarque de presque sept ans. Louis et Marie se marièrent le 5 septembre 1725 et leur union s’avéra heureuse dans un premier temps. Louis XV en était amoureux et s’acquittait de son devoir royal avec plaisir et grande régularité. Le couple dut toutefois attendre août 1727 pour que la reine accouche de deux jumelles : Marie Louise Élisabeth et Anne Henriette. Par la suite, la reine tomba enceinte quasi chaque année. Il faut signaler la naissance de Louis Ferdinand en septembre 1729, celui-là même qui eut pour enfants les trois derniers rois de France. À partir de 1733 toutefois, Marie dut composer avec les infidélités de son jeune mari. Marie était lucide : à son âge et à cette époque, elle était déjà une femme mûre et son physique était quelque peu alourdi par les grossesses successives et un appétit gargantuesque. Tout cela n’empêchait toutefois pas Louis de lui témoigner toujours de l’affection et de lui assurer par la même occasion une grossesse par an. Une fausse couche mit toutefois un coup d’arrêt définitif aux grossesses multiples de la reine. Après ce regrettable incident, le verdict des médecins fut en effet sans appel : la reine risquait la mort en cas de nouvelles couches. Dès lors, celle-ci ferma sa porte au roi qui se lassa de cette femme vieillissante et se consacra à ses innombrables maîtresses, officielles ou pas. Marie accepta stoïquement cette situation et ne se rapprocha du roi qu’une fois, en 1744. On croyait en effet la dernière heure du souverain venue mais cela ne fut qu’une courte parenthèse : les deux époux s’éloignèrent à nouveau l’un de l’autre, définitivement.
Marie Leszcynska fit contre mauvaise fortune bon cœur et vécut entourée d’un nombre réduit de proches. Elle dut faire le deuil de plusieurs de ses enfants et surtout de son père adoré. Elle lisait toujours beaucoup et s’adonna à la peinture même si son talent était médiocre. Elle soutint également des artistes comme François Boucher, Charles Coypel, etc. La musique égaya son existence dès son enfance comme nous l’avons vu plus haut. Elle jouait du clavecin, un peu de guitare et de la vièle médiocrement mais avec obstination. Elle communiqua cet amour de la musique à ses enfants qui s’avérèrent bien plus doués qu’elle. Terminons en signalant que la reine reçut le jeune prodigue Mozart (alors âgé de 7 ans) : celui-ci participa aux concerts de la reine et subjugua l’assemblée, y compris le roi davantage amateur de sonneries de chasse et de marches militaires habituellement.
1 Pour cette notice, nous nous sommes principalement inspiré de la biographie d’Anne Muratori - Philip (cf. orientation bibliographique).
Support : une feuille de papier
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Cote : 19346/2692
Enveloppe
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