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Lettre au Chevalier Edmond Marchal, 8 mai 1891

64 Avenue Road
Regents Park
London N.W.
8 May 1891.


Sir,

I yesterday found lying for me at the Athenaum Club, your letter informing me that the Royal Academy of Belgium have elected me as a Foreign Associate.

Of course I cannot but appreciate the honour done me by the Academy in thus proposing to affiliate me to their body ; and were it not that there stand in the way insurmountable difficulties, I should accept with thanks.

I have, however, on all similar occasions, for reasons which it would occupy much space to again specify, declined academic honours ; and I cannot now, without slights to other learn bodies, accept any.

Perhaps I cannot do better than copy the last two paragraphs of a letter written by me to the French Academy in May 1883, on the occasion when they elected me:

“ Beyond these general reasons which sway me, there is a special reason. Already on three successive occasions I have declined a correspondentship accorded to me by a foreign academy. Manifestly I cannot now accept a correspondentship from the French Academy without passing a deliberate slight upon each of these three academies. As it would be improper to do this, there remains no alternative for me but to persist in the course which I have already pursued, and again to decline.
“ Conscious as I am that the members of the Academy of moral and Political Sciences in electing me by so large a majority have testified in a marked way their sympathy, and in a measure their approval, I regret that I am obliged thus to respond in what seems an ungracious manner. But, as will be seen, the motives which prompt me are strong, and the last of them peremptory.”

I need scarcely say that having taken this course when the French Academy proposed to honour me, it is impossible to do otherwise than repeat it now that the proposed honour comes from the Belgian Academy.

With expressions of regret,
Believe me,
Faitfully yours,

Herbert Spencer



M. Marshal
Secretary of the
Royal Academy
Brussels

[Apostille en haut à gauche, dans une écriture différente :]
Classe des lettres
Sce du 1 juin 1891

Herbert Spencer fut nommé associé lors de la séance du 4 mai 1891 par 12 voix contre 7 et 1 vote blanc1.

Herbert Spencer a réagi à cette invitation par la lettre datée du 8 mai 1891. Cette lettre et sa traduction figurent dans le dossier de Spencer2. Spencer décline l’offre arguant du fait qu’il avait déjà refusé des places dans d’autres Académies. Son principal biographe, Duncan, confirme d’ailleurs ces propos3 et cite la liste de tous les titres prestigieux qui ont été proposés à Spencer. Duncan signale que Spencer a décliné la plupart des invitations, dont celle de la Royal Society.
Dans sa lettre à l’Académie belge, Spencer invoque principalement l’argument selon lequel accepter l’honneur venu de Bruxelles équivaudrait à offenser les autres institutions. Spencer reprend alors le contenu de la lettre qu’il avait envoyé à l’Institut de France en 1883. À cette époque déjà, il avait pris la résolution de décliner tout honneur semblable.

Le refus d’Herbert Spencer, qui pourrait être le seul du genre à l’Académie belge, fut acté lors de la séance du 1er juin 1891. Lors de l’élection suivante, en 1892, le nom de Spencer ne figurerait pas sur le bulletin.

Plusieurs explications peuvent être apportées pour mieux comprendre cette série de refus. Des raisons personnelles tout d’abord : Spencer ne s’est jamais inscrit dans un cursus académique. Il en a gardé une grande méfiance pour les institutions de ce genre, trop conservatrices à son goût. D’autre part, il ne supportait plus à ce moment les activités mondaines, surtout s’il devait y prendre la parole. Il n’était pas avide non plus des honneurs officiels puisqu’il refusa par exemple de rencontrer le tsar de Russie, à Londres, malgré la demande insistante du premier ministre.

Il existe également des raisons liées à son système philosophique. En effet, la morale définie par Spencer recommande de limiter les honneurs et distinctions diverses, tout comme les blâmes ou la flatterie d’ailleurs. C’est dans la partie Bienfaisance de ses Principes de la Morale que Spencer développe cette argumentation selon laquelle les éloges seront moins recherchés. Dans le futur…« L’homme obéira à des mobiles plus élevés que le désir d’être loué ; moins appréciée, la louange sera plus rare. »4. Aux yeux de Spencer, ces mobiles plus élevés proviennent d’une sympathie généralisée entre tous les hommes, que l’évolution fera immanquablement advenir, comme on peut le lire dans la philosophie synthétique.

En refusant son élection à l’Académie belge, Spencer a probablement eu l’intention de montrer qu’il était dans un stade évolutif plus avancé que ses contemporains.

François-Xavier HEYNEN

1 Archives de l'Académie royale de Belgique, n° 9405.
2 Archives de l'Académie royale de Belgique, n° 11967.
3 Pour la liste complète, voir DUNCAN D., Life and letters of Herbert Spencer, London, Williams & Norgate, 1911, p. 588-589.
4 SPENCER H., Le rôle moral de la bienfaisance, traduit par M.E. Castelot, Paris, Editeurs Guillaumin, 1895, p.96.

BECQUEMONT D., « Herbert Spencer : progrès et décadence », in Mil neuf cent, n°14, 1996, p. 69-88.

BECQUEMONT D., MUCCHIELLI L., Le cas Spencer, Paris, Presses universitaires de France, 1998, IX-368 p. (coll. Science, histoire et société, 1998).

BECQUEMONT D., OTTAVI D. (dir.), Penser Spencer, Presses universitaires de Vincennes, 2011, 232 p. (coll. La Philosophie hors de soi).

BLOT Y., Herbert Spencer: un évolutionnisme contre l’étatisme, Paris, Les Belles Lettres, 2007, 328 p. (coll. Penseurs de la Liberté, 1).

BOUDON R., BOURRICAUD F., « Herbert Spencer ou l’oublié », in Revue française de sociologie, vol. XXV, n°3, 1984, p. 343-351.

CAZENEUVE J., « Société industrielle et société militaire selon Spencer », in Revue française de sociologie, vol. II, n°2, 1961, p. 48-53.

COLLINS F. H., Résumé de la philosophie de Herbert Spencer, traduit et adapté par Henry de Varigny, Editeur Félix Alcan, Paris, 1900.

COMPAYRE G., Herbert Spencer et l’Education scientifique, Paris, Editeur Paul Delaplane, 1901, VI-116 p. (coll. Les Grands Educateurs).

DUNCAN D., Life and letters of Herbert Spencer, Williams & Norgate, London, 1911, XIII-621 p.

DURANT W., Vies et doctrines des philosophes : Platon, Aristote, Bacon, Spinoza, Voltaire, Kant, Schopenhauer, Spencer, Nietzsche, Paris, Editeur Payot, 1938, 487 p. (coll. Bibliothèque historique).

FRANCIS M., Herbert Spencer and the Invention of Modern Life, Acumen, 2007, XIV-434 p.

HOLMES B., « Herbert Spencer (1820-1903) », in Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris, UNESCO, Bureau international d’éducation, vol. XXIV, n° 3/4, 1994 (91/92), p. 553-575.

LALANDE A., La dissolution opposée à l’évolution dans les sciences physiques et morales, Paris, Edition Félix Alcan, 1899, VIII-492-30 p.

OFFER J., Herbert Spencer, Critical assessments of Leading Sociologists, Londres/New York, Routledge, 2000, 4 vol.

TAYLOR M. W., The philosophy of Herbert Spencer, London, Continuum, 2007, XIII-183 p. (coll. Continuum studies in philosophy).

TORT P., Spencer et l’évolutionnisme philosophique, Paris, Presses universitaires de France, 1996, 127 p. (coll. Que sais-je ?).

VERDEAU P., « Sur la relation de Bergson à Spencer », in Annales bergsoniennes, vol. III Bergson et la science, Presses universitaires de France, 2007, p. 361-376.

Herbert Spencer

Herbert Spencer est né à Derby en 1820 dans une famille située socialement dans la classe moyenne et religieusement dans la branche radicale. L’éducation d’Herbert Spencer est assurée par son père et par son oncle; elle se limitera à cet enseignement. Dans son autobiographie, Spencer se souvient avoir bénéficié de beaucoup de libertés, non seulement dans ses mouvements mais également dans ses remarques vis-à-vis des ouvrages étudiés. Toutefois, une maxime lui était imposée : établir sans cesse le lien entre les causes et les effets. Spencer ne se départira jamais de ce principe, que l’on peut retrouver à travers toute son œuvre.

Sa jeunesse est intellectuellement dissolue. Il est à la fois journaliste et ingénieur pour les chemins de fer. Il occupe cette dernière fonction sans être titulaire d’un diplôme idoine. De plus, il crée ou imagine des inventions diverses dans l’espoir d’en tirer un profit. Cette passion, très particulière pour un philosophe, le poursuivra toute sa vie.

Herbert Spencer va s’orienter vers l’écriture, à travers ses articles dans un premier temps et ensuite grâce à ses livres. Après des débuts précaires, il connaît un très grand succès non seulement en Angleterre mais également dans le reste du monde et plus particulièrement aux Etats-Unis.
En 1858, il décide de se lancer dans son œuvre majeure qui l’occupera durant quarante ans : la philosophie synthétique. Ce texte de plusieurs milliers de pages montre comment l’évolution s’applique à l’ensemble de l’univers et conduit inéluctablement à un monde pacifié. L’évolution dont il est question est chronologiquement antérieure à celle présentée par Darwin qu’elle tente d’ailleurs d’absorber. Pour Spencer, la fraction d’évolution étudiée par Darwin peut se résumer à l’expression de « la survie du plus apte ». L’entreprise spencérienne est tellement globalisante que de nombreux articles et livres écrits avant cette date seront réintégrés dans le corpus.

Hors de cette construction titanesque, deux ouvrages assureront à Spencer une renommée internationale. Il s’agit dans les deux cas d’un recueil de quatre articles : Education (1861) et The man versus the State (1884). Le premier présente les vues de Spencer sur l’enseignement. L’auteur insiste sur l’auto-apprentissage des étudiants et sur l’importance des savoirs utiles (au détriment des études classiques). Le second est probablement celui qui a le plus porté préjudice à Spencer. En effet, Spencer s’y livre à une critique excessivement virulente des pouvoirs étatiques, en particulier du communisme et du socialisme. Le XXe siècle s’achève et tout se passe comme si Spencer ne percevait pas la situation sociale dramatique dans laquelle se trouvent des tranches entières de la population. Ce texte sera interprété par certains comme une justification du socio-darwinisme ou d’autres politiques ultra-libérales.

Il ne faut toutefois pas oublier que Spencer sera toute sa vie un pacifiste convaincu, qui dénoncera à plusieurs reprises les visées impérialistes de son pays. Il est également un défenseur des droits personnels de chaque individu, dans une conception très proche des actuels Droits de l’Homme. Bien que n’ayant jamais été inscrit dans une université et n’ayant aucune formation académique, Spencer a fréquenté des personnalités scientifiques de tout premier plan. Il était ainsi membre de l’Athenaeum club de Londres et faisait partie du prestigieux X Club.
Il est décédé le 8 décembre 1903 à Brighton. Ironie de l’histoire, sa tombe est aujourd’hui en face de celle de Marx, à Londres.

François-Xavier HEYNEN

Support : cahier de papier, de 4 pages

Hauteur : 325 mm

Largeur : 205 mm

Cote : 11967