Lettre de Carlotta Grisi à Henri-Joseph Schuermans, 11 décembre 1847
2 Rue Grange Batelière
Le 11 décembre [1847]
Monsieur le Président,
Je m’empresse de vous remercier des choses aimables que vous voulez bien m’écrire dans votre lettre que je reçois ce matin. Ce qui m’est venu de Bruxelles a toujours été pour moi une source de satisfaction. J’ai lu avec infiniment de plaisir les deux lettres jointes à la vôtre, et je suis heureuse de penser que le lit fondé par moi à votre Hospice a été conféré par la Ville à la malheureuse vieille aveugle la Veuve Frank.
Vous m’aviez promis votre concours le plus complet Monsieur le Président, et j’ai à vous remercier d’avoir accomplis (sic) votre promesse avec une si aimable ponctualité. Je ne laisserai échapper aucune occasion de vous en témoigner ma reconnaissance et j’espère qu’il s’en présentera dans le courant de l’année 1848.
Veuillez recevoir Monsieur le Président l’assurance de mes sentiments dévoués et bien affectueux,
Carlotta Grisi
Sophie Glansdorff1 et Walter Leclercq2 [les autres textes sont des mêmes auteurs].
1 Collaboratrice scientifique. Histoire, Arts, Cultures des Sociétés anciennes, médiévales et modernes. Université libre de Bruxelles, 50, avenue F.D. Roosevelt CP 133/01, 1050 Bruxelles. Contact : Sophie.Glansdorff@ulb.be
2 Collaborateur scientifique. Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine. Université libre de Bruxelles, 50, avenue F.D. Roosevelt CP 133/01, 1050 Bruxelles. Contact : Walter.Leclercq@ulb.be
La lettre de Carlotta Grisi à Henri-Joseph Schuermans - le père - fait partie de la collection des autographes du baron Goswin de Stassart conservée dans les archives de l’Académie royale de Belgique. Le baron de Stassart était un fervent amateur d’autographes de personnalités diverses et variées. Afin de remercier le baron pour l’amitié que lui portait son père, Henri Schuermans (1825-1905) - le fils - offrit quelques lettres1 qui « émanent de Mesdames Rachel, Taglioni, Cerrito, Lucile Grahn, Doche, Carlotta Grisi, Lavoye (de l'Opéra Comique), de Messieurs Chollet, Frédérick Lemaître, puis encore de Madame Pleyel, de Messieurs Jaëll (pianiste), et Vieuxtemps, et enfin du père Lacordaire, qui serait sans doute fort surpris de se trouver en aussi agréable compagnie2 ».
Cette lettre constitue un témoignage des actions de bienfaisance menées notamment par des artistes. Sous la présidence de Henri-Joseph Schuermans (1843-1852), la Société royale de Philanthropie de Bruxelles fondée en 1828 organisa plusieurs représentations afin de lever des fonds. Outre Carlotta Grisi, se sont produites sous les auspices de la Société les plus illustres danseuses de la scène internationale, dont les trois autres créatrices du Pas de Quatre : Lucile Grahn (1819-1907), Fanny Cerrito (1817-1909) et Maria Taglioni (1804-1884).
En novembre 1847, Carlotta Grisi donna un florilège de son répertoire dont le Diable à quatre ou encore Esméralda. « Elle a été applaudie à outrance et pour ainsi dire enterrée sous les fleurs3 ». Elle clôtura son séjour bruxellois en faveur de la Société royale de Philanthropie par une nouvelle représentation de Terpsichore sur terre, ballet fantastique créé à son intention la même année à Bruxelles par Jean-Baptiste Barrez (1792-1868). La danseuse fut enchantée d’apprendre que les fonds récoltés furent consacrés an soutien d’une certaine « veuve Frank » atteinte de cécité. Il était d’usage à l’époque d’offrir des lits, dont certains portaient en dédicace le nom des bienfaiteurs4.
Quant à la promesse de Schuermans vis-à-vis de Carlotta Grisi, l’état actuel des connaissances ne permet de la déterminer.
1 Voir la mention de ce don dans : THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 572 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
2 Archives de l'Académie royale de Belgique, 19345/1733, lettre de Henri Schuermans au baron Goswin de Stassart daté du 4 février 1852.
3 X. X., « Chronique dramatique et musicale », dans L’Indépendance belge, 325, 21 novembre 1847, p.1.
4 SCAILLET Th., La Société Royale de Philanthropie. Histoire d’une institution au service des aveugles et des démunis, Bruxelles, 2011, p.91.
LACOSTE-VEYSSEYRE Cl., Théophile Gautier. Correspondance générale. Tome I, Genève, Librairie Droz, 1985, Librairie Droz, p.402-406.
LEE C., Ballet in Western Culture. A history of its origins and evolution, New York/London, Routledge, 2002, 368 p.
SCAILLET Th., La Société Royale de Philanthropie. Histoire d’une institution au service des aveugles et des démunis, Bruxelles, 2011, 304 p.
STACCIOLI R., « Grisi », dans Dizionario Biografico degli Italiani 59, 2002, p. 703-708.
THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, 832 p. (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).
TOURNEUR V., « Schuermans (Henri-Charles-Anne-Paul-Guillaume) », dans Biographie Nationale, t. 37, 1964, coll. 666-671.
Carlotta Grisi
Carlotta Grisi est née à Visinada (Istrie), le 25 juillet 1819, dans une famille d’artistes : ses cousines Giuditta et Giulia, nièces de la cantatrice Giuseppina Grassini, étaient elles-mêmes chanteuses de renom.
Carlotta, après avoir fait ses classes de danseuse et chanteuse à la Scala de Milan, se produisit sur plusieurs scènes italiennes à partir de 1832. Elle rencontra à Naples le danseur et maître de ballet français Jules Perrot, qui la fit se produire à Vienne et à Londres. Avec le soutien de Perrot, elle fut ensuite engagée par l’Opéra de Paris, où elle fit ses débuts en 1841. C’est à ce moment qu’elle conquit l’admiration de Théophile Gauthier, qui ne devait jamais se démentir ; cette même année, il écrivit pour elle le libretto de Giselle, un triomphe pour Carlotta qui devint une icône du ballet romantique. Trois ans plus tard, à Londres, désormais séparée de Perrot, elle participa au fameux Pas de quatre chorégraphié par son époux, avec les célèbres ballerines Maria Taglioni, Fanny Cerrito et Lucile Grahn. Les années suivantes la virent se produire à Londres, Paris, Saint-Pétersbourg, Varsovie. En 1855, elle se retira de la scène et, installée à Genève, se consacra à l’éducation de sa fille, née d’un prince Radziwill. Elle mourut à Genève le 20 mai 1899.
Support : 1feuille pliée en deux
Hauteur : 212 mm
Largeur ; 272 mm
Cote : 19346/2059
Illustration : Mademoiselle Carlotta Grisi dans le rôle Giselle. [Album de l’Opéra 42], Jules Challamel, Paris Challamel édit. R. de l’Abbaye, Imp. Bertauts Paris,[1842]. Copyright : Gallica / BNF.