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Quatrain de Charles Joseph de Ligne adressé à Goswin de Stassart, 12 octobre 1814

Par hazard (sic) on reçoit quelque fois à Cythere
Quelques myrthes fanés remplaçant les lauriers.
Mars m’aurait du garder dans ses guerriers.
À lui seul, plus qu’à d’autre, ayant taché de plaire

[Annotation du baron Goswin de Stassart, en dessous du quatrain]
Ces quatre vers sont de la main du maréchal Prince de Ligne, mort à Vienne le 13 décembre 1814 ; ils servent de réponse au quatrain que je lui avais envoyé pour son portrait ; ils se trouvaient joints à sa lettre du 12 octobre 1814. Le baron de Stassart

L’annotation du baron Goswin de Stassart en bas du document étudié ici permet de connaître son histoire et de le dater avec précision. Ce quatrain fut en effet joint à un Billet du matin, dormant encore après la fête de l’orangerie, texte rimé suivi d’une invitation du prince de Ligne datée du 12 octobre 1814. Le prince désirait en effet que le baron de Stassart vienne dîner le jour même pour le remercier des « présens qui me font le plus grand plaisir »1. En effet, à son arrivée à Vienne au début du mois d’octobre, Goswin de Stassart avait rencontré le feld-maréchal et lui avait offert une médaille de l’Athénée de Vaucluse et les Pensées de Circé2.

Goswin n’indique pas en dessous du quatrain s’il se rendit effectivement à ce dîner. Mais peu importe : le plus important dans ce document est tout d’abord l’amertume d’un prince qui, au crépuscule de son existence et toujours froissé de ne pas avoir été appelé aux plus hauts commandements dans les guerres contre la République française et Napoléon3, regrette la brièveté de sa carrière militaire : « Mars m’aurait du garder dans ses guerriers ». Nous avons vu en effet dans sa notice biographique que celle-ci, pour avoir commencé tôt, s’acheva trop rapidement aux yeux du prince qui n’eut plus d’autre choix que de célébrer la vie militaire au travers d’écrits nombreux et variés. Un simple coup d’œil sur les titres des titres des 34 volumes des Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires4 ne prouvent que trop l’importance du fait militaire dans la vie du prince de Ligne. Certes, le métier des armes était une tradition familiale mais elle n’était pas contraire aux désirs de Charles-Joseph qui nourrit très tôt des rêves de gloire militaire, lesquels ne se démentirent jamais comme le suggère notre quatrain : « Mars (…) à lui seul, plus qu’a d’autre, ayant taché de plaire ». Adulte, de Ligne fit part de ses premiers émois guerriers : « Je dévorais Quinte-Curce et les Commentaires [de César] que je trouvai dans une vieille bibliothèque du château de Baudour, et je croyais devenir ce qu’ils étaient. Le siège de Prague [1742], la sortie, l’escalade, me tournaient la tête. Cela me remit dans mon ardeur militaire. Je croyais devenir au moins un maréchal de Saxe… J’étais fou d’héroïsme. Charles XII et Condé m’empêchaient de dormir. Il me semblait que je devais l’emporter sur eux. Je me pâmais sur Polybe, je commentais les Commentaires de Folard »5. Cette passion l’amena même à vanter l’excellence à ses yeux d’un gouvernement militaire : « Si l’on disait à un souverain d’Europe : je vous souhaite un gouvernement militaire ; il vous dirait : vous êtes un courtisan. - Point du tout, Sire. Ce n’est pas à Votre Majesté que je pense, c’est à moi ; c’est à mes Paysans, dont je suis capitaine ; c’est aux bourgeois dont je suis lieutenant ; aux petits gentilshommes dont je suis le caporal. Nos auditeurs seraient nos présidents, nos quartiers-maîtres les financiers, nos aumôniers tout le clergé. Quelle régie simple et claire ! Quelle harmonie par toutes les dépendances ! Messieurs les philosophes crieraient à l’abomination. Ils ne savent pas qu’il n’y a rien d’arbitraire au service ; que chacun, en suivant les règles, peut porter plainte d’une injustice, être cassé, ou faire casser ; qu’un gouverneur de province serait comme un major, visitant sans cesse les casernes, les chambrées, pour voir si l’on est bien habillé, bien nourri, et point traité rigoureusement ; si personne n’abuse de son autorité ; si les femmes ont à travailler ; si les enfants sont bien élevés ; si les supérieurs connaissent le nom et le caractère des inférieurs, pour le prévenir des fautes, afin de ne pas avoir à les punir, etc »6. Son amour de la gloire militaire le poursuivit jusqu’à la fin. Dans son délire précédant la mort, « il croyait commander un corps d’armée et disait qu’il y avait quatre bataillons d’érésipèles qu’il nommait les jambes rouges »7.

Olivier Damme,
Archiviste de l'Académie

 1 Archives de l’Académie royale de Belgique, n° 19345/1178.

2 THIELEMANS M.-R., Goswin, baron de Stassart 1780-1854. Politique et Franc-maçonnerie, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008, p. 201 (Mémoire de la Classe des Lettres, in-8°, 3e série, tome XLV, n° 2050).

3 GUY B., « de Ligne, Charles-Joseph », in Nouvelle Biographie nationale, Bruxelles, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, t. III, 1994, p. 131.

4 Pour la source, cliquez ici

5 GUY B., « de Ligne, Charles-Joseph », op. cit., p. 130.

6 de LIGNE, C. - J., Mes écarts, Bruxelles, Editions Labor, 1990, p. 21, 22 (texte choisis par Roland Mortier, préface de René Swennen, lecture de Roland Mortier).

7 MANSEL P., Le charmeur de l'Europe, Charles-Joseph de Ligne (1735-1814), Paris, Stock, 1992, p. 271 (traduit de l'anglais par Françoise Adelstain).

Monographies et article
BRONNE C., Beloeil et la Maison de Ligne, Beloeil, 1979, 283 p.

DEROISIN S., Le Prince de Ligne, Bruxelles, Le Cri, Académie royale de langue et de littérature françaises, 2006, 219 p., ill. (préface de Simon Leys).

DU BLED V., Le Prince de Ligne et ses contemporains Paris, Calmann Lévy, 1890, 324 p. (préface de C. de Mazade).

DUMONT-WILDEN L., La Vie de Charles-Joseph de Ligne, prince de l’Europe française, Paris, Plon 1927, 379 p. (coll. Le roman des grandes existences, 10).

GILBERT O.P., Vie du feld-maréchal prince de Ligne : histoires sur l’histoire, Paris, Claude Aveline, 1922, 292 p.

GRENAUD P., Le charmant Prince de Ligne, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1999, 263 p.

GUY B., « de Ligne, Charles-Joseph », in Nouvelle Biographie nationale, Bruxelles, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, t. III, 1994, p. 128-136. Notice en ligne : ici.

LEURIDANT F., La bibliothèque des princes de Ligne, Bruxelles, L’Imprimerie (Anc. Établts Vve Monnom), 1916, 38 p.

LEURIDANT F., Une éducation de prince au XVIIIe siècle, Bruxelles : Maurice Lamertin : Marcel Hayez, impr, 1923, 80 p. (Mémoire de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, coll. In-8°, 2e série, t. XVIII, fasc. 1).

LEURIDANT F., Inventaire sommaire des Archives du château de Beloeil, Bruxelles, Maurice Lamertin, 1919, XI-154 p.

LEURIDANT F., Le Prince de Ligne, Madame de Staël et Caroline Murray, Bruxelles, Éditions des Annales Prince de Ligne, 1920, 17 p.

MANSEL P., Le charmeur de l'Europe, Charles-Joseph de Ligne (1735-1814), Paris, Stock, 1992, 322 p. (traduit de l'anglais par Françoise Adelstain).

OULIE M., Le prince de Ligne. Un grand seigneur cosmopolite au XVIIIe siècle, Paris, Librairie Hachette, 1926, 198 p. (coll. Figures du passé).

PASTEUR C., Le Prince de Ligne, l'enchanteur de l'Europe, Paris, Perrin, 1980, 347 p., ill. (coll. Présence de l’Histoire).

Le Prince de Ligne et son temps [Catalogue d’exposition, Château de Beloeil, 8 mai - 19 septembre 1982], Bruxelles, 1982, 132 p., ill.

SCHULSINGER J., Un précurseur du sionisme au XVIIIe siècle : le Prince de Ligne, Paris, Libraire internationale de Langue française, 1936, 31 p.

WAHLBRÖHL H., Der Fürst von Ligne, Genève, Librairie Droz, 1965, 118 p.

Œuvres du Prince de Ligne
DE LIGNE C.J., VERCRUYSSE J., GUY B., DELVAUX M., MOURIAU DE MEULENACKER P., Coup d’oeil sur Beloeil. Écrits sur les jardins et l’urbanisme, Paris, Honoré Champion, 2004, 622 p.

Fragments de l’histoire de ma vie / Charles Joseph de Ligne, établissement du texte, notes de Jeroom Vercruysse, Paris, Honoré Champion; 2008, 460 p. (Champion classiques : série littératures; 8)

Charles-joseph de Ligne. Oeuvres I, II, III, édition présentée par Roland Mortier, Bruxelles, Éditions complexes, 2006, 3 vol., 405-350-462 p.

Le lecteur trouvera les 34 volumes des Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires sous format PDF ici.

Bibliographies
DE BACKER H., Bibliographie du Prince de Ligne, Bruxelles, Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique, 1914.

VERCRUYSSE J., Bibliographie des écrits relatifs au Prince de Ligne, Bruxelles : Hayez, 1997, 201 p. (Nouvelles annales Prince de Ligne, Hors série, préface de Roland Mortier)

Revue
Les Annales Prince de Ligne sont parues de 1920 à 1938. Elles ont repris vie sous le titre des Nouvelles Annales Prince de Ligne en 1986

Correspondances
DE GONTAUT-BIRON LIGNE C. (éd.), Lettres de Catherine II au prince de Ligne (1780-1796), Bruxelles et Paris, G. van Oest & cie, 1924, 236 p.

JADOT J., « Une lettre inédite du Prince de Ligne », in Le livre et l’estampe, V, 1956, p. 32-36.

LEURIDANT F., Lettres & billets inédits du Prince de Ligne et de ses familiers, Bruxelles, Maurice Lamertin, F. De Keulener 1919, 169 p.

Charles-Joseph de Ligne

Charles-Joseph Né à Bruxelles le 23 mai 1735, décédé à Vienne le 13 décembre 1814.Charles-Joseph de Ligne naquit au sein d’une des plus prestigieuses familles de nos régions, famille dont les origines remontent au XIe siècle au moins et qui comptait des parentés dans tout l’Empire ainsi que dans beaucoup de familles nobles ou régnantes d'autres pays. Son enfance se déroula entre Bruxelles et Beloeil, où se trouvait le château familial. Son éducation fut confiée à plusieurs individus aux qualités parfois douteuses. Parmi eux, seul se distingua un jésuite, le Père de La Porte, qui sut éveiller la curiosité intellectuelle du Prince. Ce dernier ne manqua d’ailleurs pas de lui témoigner une grande reconnaissance par la suite. Le plus important dans son éducation fut la lecture de livres d’histoire ou de classiques de l’art militaire dont nous verrons, dans l’analyse, à quel point ils façonnèrent sa personnalité, en plus des valeurs de sa famille, essentiellement militaires. En toute logique, il épousa la carrière des armes et, dès l’âge de douze ans, se vit enrôlé comme enseigne dans le régiment de ligne que possédait son père. Il fut promu capitaine en 1755 et colonel-commandant en 1758 et participa à la Guerre de Sept Ans. En 1764, il devint général-major et en 1771 lieutenant général et propriétaire du régiment de Ligne Infanterie. Il participa au siège de Belgrade en octobre 1789 et reçut à cette occasion le titre de commandeur de Marie-Thérèse. Là s’arrêta sa carrière militaire : on ne fit plus appel à ses services et moins encore à ses connaissances en matières militaires, même si il fut nommé capitaine des Trabans de la Garde impériale en 1807 et feld-maréchal l’année suivante. Il n’eut d’autre choix que les lettres pour assouvir sa passion pour les armes même si il prit la plume à ce sujet bien avant la fin de sa carrière. On lui doit, par exemple, un Discours sur la profession des armes, rédigé à l’âge de 15 ans. Il convient toutefois de ne pas limiter son œuvre littéraire à cette thématique. Pour ne prendre que quelques exemples, le jardinage (Coup d’œil sur Beloeil, 1781) ou encore le théâtre (Lettres à Eugénie, 1774) furent l’objet de l’attention de l’écrivain de Ligne.
Son amabilité et l’élégance de son expression lui permirent de mener une vie mondaine qui l’amena à côtoyer tant les dirigeants les plus importants de son temps (Catherine II, Joseph II, Frédéric II, etc.) que les philosophes (Voltaire, Rousseau, Diderot, etc.). La mort de Joseph II et l’implication supposée du prince dans le déroulement de la Révolution brabançonne le fit s’éloigner un temps de la cour d’Autriche tandis que la Révolution française lui fermait définitivement les portes de celle de France. Sa haine des révolutionnaires n’était en effet pas feinte et il dut d’ailleurs prendre la route de l’émigration après la bataille de Fleurus (26 juin 1794) qui marquait la fin de l’Ancien Régime dans nos régions. Il ne revit d’ailleurs plus ni Beloeil ni Bruxelles et s’installa définitivement dans une demeure située sur le Kahlenberg, alors un peu en dehors de Vienne, et qu'il avait achetée en 1783. Cet exil loin de ses terres d’origine ne le rendit pas inactif. Dès 1795, il se mit à publier les premiers volumes de ses Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires mais il ne connut le succès qu’en 1809, avec la publication par Madame de Staël des Pensées et réflexions du Maréchal-Prince de Ligne. Il vit avec plaisir le Congrès de Vienne commencer et, toujours mondain, participa aux bals et soirées de la capitale autrichienne. Il mourut des suites d’un refroidissement attrapé lors d’un rendez-vous amoureux. Enterré le 15 décembre au Kahlenberg, sa dépouille fut suivie par un parterre de rois.

Portrait gravé : Le prince de Ligne, Couche fils sc.
Support : une feuille de papier

Hauteur 234 mm
Largeur : 148,5 mm

Cote : 19346/2850

Quatrain 
Support : une feuille de papier

Hauteur :119 mm
Largeur : 192 mm

Cote : 19346/2850