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Lettre à Rita Lejeune, circa novembre 1934

Lettre

Hotel Pierre 1er (…)

Mademoiselle,

Votre étude est extrêmement remarquable. J’en vois peu qui, dans un cadre aussi restreint aient traité le sujet avec une telle pénétration, une telle profondeur ; j’ajoute : une telle justesse dans l’énoncé des motifs, et l’analyse.

Je souhaite bien vivement que cette étude ait une suite.

Veuillez croire à ma gratitude et à ma respectueuse sympathie.

Jules Romains

Auriez-vous l’amabilité d’envoyer un exemplaire de votre tirage à part à M. André Cuisenier, 54 rue Denfert Rochereau, Paris (V). Merci.

[Apostille en haut à gauche de la main de Rita Lejeune] 

c.r. des Hommes de bonne volonté


Enveloppe

Hotel Pierre 1er (…)

Mademoiselle Rita Lejeune Docteur en philosophie et lettres

Aux bons soins de l’Essai.

revue universitaire liégeoise

Université de Liège
10 boulevard Saucy 10 Belgique

[cachet de la poste]

Paris - 34

6XI34.15 h

Av. Marceau

[Apostille en haut à gauche de la main de Rita Lejeune] 

Paris, 1934

Cette lettre rappelle celle d'André Gide mise en ligne durant le mois de décembre 2012. Tout comme Gide, en effet, Jules Romains se montre très satisfait d’un article de Rita Lejeune1 livrant une analyse des six premiers volumes des Hommes de bonne volonté2, ouvrage écrit entre 1932 et 1946. On le serait à moins ! Rita Lejeune commence en effet son texte en comparant Les Hommes de bonne volonté avec la Comédie humaine3 de Balzac. Vers la fin de son texte, elle s’en explique d’ailleurs plus longuement : « Il ne paraît pas que les lecteurs de la Comédie humaine aient pu ressentir, dès les premiers volumes, cette impression d’attente anxieuse. Jules Romains nous donne donc certainement un plaisir différent, plus rare. Il nous donne aussi la sensation d’être plus vibrant que Balzac et, sinon plus compréhensif, du moins plus évocateur ; il a un merveilleux pouvoir de se glisser dans la peau de ses personnages. Balzac sait agir et penser comme les êtres qu’il met en scène : Romains, au surplus, sait sentir comme eux, désirer comme eux, respirer de leur souffle, avoir leurs réflexes - tout un côté physique, intime et sensuel que Balzac ignore »4.

Rita Lejeune ne se limite cependant pas à cette comparaison flatteuse : la description des six premiers volumes des Hommes de bonne volonté est émaillée de considérations toutes plus louangeuses les unes que les autres : « qualités éminentes d’observation et de style »5, « épanouissement aussi lent que merveilleux de caractères et d’êtres qui forment une frondaison palpitante »6, etc. Elle met également en évidence la « nouvelle technique du roman » utilisée par l’écrivain français, ce que l’on a appelé alors l’unanimisme. Celui-ci peut être défini7 comme la description par les hommes de lettres de l’« âme collective » d’une société transcendant les individus8. Jules Romains en fut le promoteur et conçut Les sentiments unanimes et la poésie, manifeste de l’unanimisme paru dans Le penseur en 19059.

Bref, même si Rita Lejeune émet parfois quelques réserves10, le ton général de son article est très élogieux. Il n’est donc pas surprenant que Jules Romains lui demande d’envoyer un exemplaire de son tiré à part à André Cuisenier, un critique littéraire qui consacra pas moins de trois volumes à l’œuvre du promoteur de l’unanimisme11.


1 « une nouvelle formule de Roman : « Les hommes de bonne volonté » de Jules Romains », in L’Essai, no 1, 1934, p. 7-13. Nous tenons ici à remercier Mademoiselle Madeleine Tyssens pour nous avoir fourni cet article, introuvable dans les bibliothèques belges.

2 Leurs titres respectifs sont : Le 6 octobre (1932), Crime de Quinette (idem), Les amours enfantines (idem), Éros de Paris (idem), Les superbes (1933) et Les humbles (idem), in MADELÉNAT D., « Romains Jules », in DE BEAUMARCHAIS J.-P., COUTY D., REY A., Dictionnaire des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1984, vol. 2, p. 2122.

3 « une nouvelle formule de Roman : « Les hommes de bonne volonté » de Jules Romains », op.cit., p. 7.

4 Ibidem, p. 12.

5 Ibidem, p. 7.

6 Ibidem, p. 10

7 Même si Koenraad Geldof pense impossible une définition de l’unanimisme (GELDOF K., « Le roman unanimiste ou le risque de narrer : présence du marxisme dans Les hommes de bonne volonté et Problèmes européens de Jules Romains », in VIART D., Jules Romains et les écritures de la simultanéité : Galsworthy, Musil, Döblin, Dos Passos, Valéry, Simon, Butor, Peeters, Plissart, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, p. 69-73).

8 Encyclopedia Universalis, thesaurus, vol. 4, p. 3166.

9 Encyclopedia Universalis, thesaurus, vol. 4, p. 3719.

10 Jules Romains : « jette dans le débat (…) une masse de faits et d’idées qui gagneraient à être davantage ordonnés et discernés » ; son style est « un peu trop abondant parfois », in « une nouvelle formule de Roman : « Les hommes de bonne volonté » de Jules Romains », op.cit., p. 7, 13.

11 Cf. orientation bibliographique. Les titres des trois volumes sont : Jules Romains et l'unanimisme (1935), L’art de Jules Romains (1945) et Jules Romains et les « Hommes de bonne volonté » (1954).

Articles et monographies relatives à Jules Romains

BERRY M., Jules Romains, sa vie, son œuvre, Paris, Éditions du Conquistador, 1953, 308 p.

BOURIN A., Connaissance de Jules Romains, Paris, Flammarion, 1961, 233 p.

CUISENIER A., Jules Romains et l’unanimisme, Paris, Flammarion, 1935-1954, 3 vol., 329-280-285 p.

DEGRAEVE D., La part du mal : essai sur l’imaginaire de Jules Romains dans les Hommes de bonne volonté, Genève,Droz, 1997, 309 p.

FIGUERAS A., Jules Romains, Paris, Seghers, 1967, 226 p.

MADELÉNAT D., « Romains Jules », in DE BEAUMARCHAIS J.-P., COUTY D., REY A., Dictionnaire des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1984, vol. 2, p. 2120-2124.

NIDERST A., Jules Romains, les illusions perdues, Paris, Alain Baudry, 2008, 99 p.

RONY O., Jules Romains, ou l'appel au monde, Paris, Robert Laffont, 1992, 708 p.

VIART D., Jules Romains et les écritures de la simultanéité : Galsworthy, Musil, Döblin, Dos Passos, Valéry, Simon, Butor, Peeters, Plissart, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, 305 p.

Sources éditées

MARTIN C., Correspondance André Gide-Jules Romains, Paris, Flammarion, 1976, 244 p.

RONY O., Correspondance Jacques Copeau-Jules Romains, Paris, Flammarion, 1978, 286 p.

Revues

Cahiers Jules Romains
, 1976-1990.

Bulletin des amis de Jules Romains
, 1974-199?

Louis Henri Jean Farigoule, dit Jules Romains

Né à Saint-Julien-Chapteuil (Haute-Loire) le 26 août 1885, décédé à Paris le 14 août 1972. Jules Romains, de son vrai nom Louis Henri Farigoule1, était le fils de Marie Richier (dont on sait peu de chose) et d’un instituteur parisien, Henri Farigoule. Le jeune Louis passa sa prime enfance à Paris dans un quartier modeste de Montmartre et rejoignait son village natal en été. Ses études secondaires se déroulèrent au sein du Lycée Condorcet : le jeune Louis s’y montra particulièrement brillant. Il devait rejoindre ensuite les rangs de l’École normal supérieure en 1906, suivant ainsi les volontés paternelles. Trois ans plus tard, il obtint l’agrégation de philosophie. Entretemps, il s’était adonné à la versification et ses premiers textes étaient déjà marqués par l’unanimisme. En 1904, son premier volume de poèmes parut sous le titre de L’âme des hommes. Dès cet ouvrage, il utilisa le pseudonyme de Jules Romains.

Durant l’automne 1909, il devint enseignant au lycée de Brest puis fut nommé à Laon en octobre 1910. Il se rendait à Paris dès que possible pour y fréquenter ses proches du monde artistique de l’époque : Apollinaire, Picasso, Duhamel, etc. Il continuait à publier des livres de poésie comme par exemple le Premier livre de prières (1909). Mais le dramaturge, puis le romancier, perçaient sous le poète quand il rendit public L’armée dans la ville et Mort de quelqu’un (1911).

Au commencement de la Grande Guerre, il fut mobilisé pour diriger le Service des allocations aux mobilisés. Durant le conflit, sa foi en l’unité de l’Europe s’affermit et il écrivit à cet effet Pour que l’Europe soit, ouvrage qui ne sera toutefois publié qu’en 1930. Après le conflit, il continua un temps sa carrière dans l’enseignement avant de se consacrer entièrement à la littérature en 1919. Dès lors, son œuvre ne cessa de s’étoffer : Donogoo-Tonka ou les miracles de la science, Cromedeyre (1920), Lucienne (1922), Petit traité de versification (1923), etc. En 1923, il rejoignit les rangs du PEN club (P pour publicists, E pour essayists, N pour novelist), une association internationale d’hommes de lettres ayant pour but la promotion de la paix et de la liberté. Au cours d’un congrès du PEN club de 1926 à Berlin, il se fit remarquer par un discours intitulé : Sur le chemin de l’amitié franco-allemande. C’est durant cette période qu’il acquit sa notoriété avec des pièces de théâtre comme Knock ou le Triomphe de la médecine, Amédée ou les Messieurs en rang (1923), Démétrios, Le Dictateur2 (1926), etc. À la fin des années 1920, sa célébrité était devenue mondiale. En 1932, il fit paraître les premiers volumes d’un roman-fleuve intitulé Les hommes de bonne volonté : cela fut de suite un grand succès et la critique était unanime à reconnaître les qualités de l’ouvrage. Il continuait parallèlement à lutter sans relâche pour la paix et le maintien de la démocratie. Il se prêta même à des rencontres avec les Allemands comme par exemple Otto Abetz et Goebbels. Il effectua aussi plusieurs missions diplomatiques. Son activité s’intensifia encore quand il devint président du PEN club international en 1936. Revenu toutefois de ses illusions, il comprit en 1939 que ses rêves de paix devenaient chaque jour plus hypothétiques. Il s’exila aux États-Unis en juillet 1939 avant de se rendre à Mexico en 1942. Il continua à donner des conférences portant sur les fautes d’avant-guerre et écrivit d’autres tomes des Hommes de bonne volonté ainsi que plusieurs pièces de théâtre. Il ne revint définitivement à Paris qu’en 1946, année où il fut élu à l’Académie française. Il remplaçait Abel Bonnard, radié pour indignité nationale. Par la suite, les opinions politiques de Jules Romains évoluèrent vers le conservatisme. Partisan de l’Algérie française, il mena le cartel des non contre le général de Gaulle lors du referendum de 1962.

1 Pour cette notice, nous nous sommes principalement inspirés de l’ouvrage de Madeleine Berry (cf. orientation bibliographique) et du texte du site de l’Académie française (http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jules-romains).

2 Une pièce qui lui valut de se rapprocher d’Édouard Daladier.

Lettre

Support : une feuille de papier

Hauteur : 181 mm
Largeur : 273 mm

Cote : 19349

Enveloppe

Hauteur : 96 mm
Largeur : 146,5 mm

Cote : 19349